En pleine pénurie, le retour de la moutarde française

Avec la pénurie de graines de moutarde étrangères, les producteurs français voient leurs commandes augmenter. - Flickr/CC BY 2.0/Marco Verch Professional Photographer
Avec la pénurie de graines de moutarde étrangères, les producteurs français voient leurs commandes augmenter. - Flickr/CC BY 2.0/Marco Verch Professional Photographer
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Quotidien AgricultureLes pots de moutarde ont récemment disparu de nos supermarchés. En cause, la guerre en Ukraine et la sécheresse au Canada, principaux pays producteurs. Pour pallier cette pénurie, des producteurs français relancent cette culture.
Landrais (Charente-Maritime), reportage
La récolte vient d’avoir lieu à Landrais, où Laurent Pinaud est paysan en agriculture biologique depuis 1995. Ici, en plus du blé, du maïs et des haricots, il cultive aussi des graines de moutarde. Comme quelque 300 autres producteurs français, ses graines permettront de créer une moutarde made in France. Un produit devenu précieux dans notre pays, à l’heure où les pots ont disparu des étals de nos supermarchés.
Alors que le Canada et l’Ukraine couvraient largement les besoins des Français en moutarde, le dérèglement climatique et les conflits ont bousculé les calendriers. L’invasion de l’Ukraine, 4e producteur mondial, par la Russie, 2e producteur mondial, a mis à mal ce marché. Impossible pour la France de miser sur sa seule production française : la culture de moutarde a presque disparu du pays depuis la Seconde Guerre mondiale, à tel point que la production française couvre seulement un tiers des besoins nationaux [1]. Résultat : la pénurie s’est répandue aux quatre coins du monde, provoquant une augmentation des prix.
« L’Ukraine et la Russie produisent principalement des graines de moutarde jaune Sinapis alba, qui sont utilisées pour la moutarde d’Alsace ou en Allemagne. Or pour la moutarde de Dijon, nous avons besoin des graines brunes Brassica juncea », détaille Luc Vandermaesen, directeur général de l’entreprise Reine de Dijon, troisième fabricant français de moutarde. Problème : les graines brunes dont il est question proviennent du Canada, frappé de plein fouet par le réchauffement climatique.

En juillet 2021, le dôme de chaleur qui a provoqué la mort de plus de 700 personnes, et détruit notamment le village de Lytton dans l’ouest canadien, a décimé les champs de moutarde. Selon la commission canadienne des grains, la production en 2021 a été réduite de moitié comparé à 2020, passant de 98 800 tonnes à 49 955 tonnes.
« Une culture assez risquée et fragile »
En Charente-Maritime, la Coopérative régionale d’agriculture biologique (Corab) a eu le flair de relancer la production de graines bio brunes et jaunes juste avant la pénurie. Forte de 150 producteurs sur 6 000 hectares, la Corab a repris la culture avec une dizaine d’agriculteurs, comme Laurence et Laurent Pinaud. Ils se sont mis à en semer en 2019 pour diversifier leurs cultures. Ils en ont récolté 5,8 tonnes en 2021, et comptent en produire encore plus les années à venir. « Il y avait une très belle occasion avec ces plantations. Avec la moutarde canadienne, on ne sait pas ce qu’il y a dedans. Ici on a de la terre, faut y aller ! » lance Laurent Pinaud, depuis sa ferme de La Devise.
« Cette année on a récolté entre 15 et 20 tonnes, ça progresse, précise Thibault Bourgeois, le responsable commercial de la Corab. Mais on n’est pas dans la course aux volumes et aux surfaces. On cherche surtout un modèle viable économiquement et agronomiquement pour les exploitants. On a obtenu des graines de bonne qualité, mais ça reste une culture assez risquée et fragile. »

Produire de la moutarde biologique reste un défi. Deux espèces de coléoptères, l’altise et le méligèthe, s’attaquent régulièrement aux feuilles. Pour pallier ce problème, Laurent Pinaud utilise du savon noir avec du purin d’orties, mais les résultats ne sont pas spectaculaires. Il a donc décidé de semer à la volée des graines de moutarde et de lentille. « J’ai mis de la lentille blonde pour attirer les insectes. C’est le médicament pour mes moutardes », raconte-t-il. En prime, cultiver la moutarde nécessite peu d’eau et conserve mieux les sols avec un couvert végétal conséquent.
La Bourgogne met les bouchées doubles
À Dijon, capitale mondiale de la moutarde, on n’avait jamais totalement lâché la graine, notamment grâce à l’Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne, qui existe depuis trente ans. Biologique ou conventionnelle, cette culture ne faisait plus rêver, jusqu’à ce que le dôme de chaleur canadien puis la guerre rebattent les cartes.
« Ce désintérêt a complètement disparu, car les prix sont remontés. On trouve aujourd’hui plus d’agriculteurs qui s’y mettent, on a plus de terres et donc plus de chance d’avoir de meilleures récoltes. On veut tout rapatrier de l’étranger et on espère doubler nos productions en 2023. D’ici deux ou trois ans, les Français auront dans leur assiette 100 % de moutarde française », prévoit Luc Vandermaesen. Il cite également un programme de recherche pour créer de nouvelles variétés et développer le bio.
Pour les graines de moutarde de Charente, les premiers acheteurs se sont d’ores et déjà manifestés, comme la marque Les 3 Chouettes, qui a précommandé 5 tonnes auprès de la Corab. Les fondatrices Élodie Germain et Delphine Dubois ont visité les cultures de Laurent et Laurence Pinaud, elles veulent ainsi mettre en avant « les producteurs qui travaillent la terre sans chimie ». Vendre des produits made in France reste leur principal moteur, car « il est crucial de relocaliser. Adieu les cornichons d’Inde, les tomates de Chine pour le Ketchup et la moutarde du Canada ». Les graines produites en Charente seront conditionnées telles quelles pour faire des pickles, qui seront servis à l’apéro sur du pain. La moutarde française est donc bel et bien de retour.