Endettement, isolement… L’association Solidarité Paysans tend la main aux agriculteurs en détresse

Confronté à l'endettement et à l'isolement, l'éleveur Laurent Le Meitour a fait appel à l'aide de l'association Solidarité Paysans. - © Elsa Gautier / Reporterre
Confronté à l'endettement et à l'isolement, l'éleveur Laurent Le Meitour a fait appel à l'aide de l'association Solidarité Paysans. - © Elsa Gautier / Reporterre
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AgricultureContre la « maltraitance humaine » des agriculteurs, l’association Solidarité Paysans de Bretagne soutient 350 personnes chaque année. Parmi eux, beaucoup d’éleveurs laitiers, comme Laurent Le Meitour qui témoigne de « dix ans de galère ».
Silfiac (Morbihan), reportage
Laurent Le Meitour, 52 ans, et sa mère Danielle, 78 ans, nous accueillent ce lundi de fin novembre autour d’un café et d’une part de quatre-quart dans la salle à manger de la ferme familiale, à Silfiac, en plein centre-Bretagne. Aujourd’hui accompagné par l’association Solidarité Paysans, l’éleveur bovin a décidé de témoigner des « dix ans de galère » qui ont ruiné son exploitation laitière et sa vie personnelle. Car Laurent ne le cache pas, s’il n’avait pas son fils de 11 ans, il aurait bien pu, il y a quelque temps, « se foutre en l’air ».
Pour Laurent, les ennuis ont commencé il y a dix ans. Installé en Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) depuis 1995 avec sa mère, l’agriculteur élevait alors des taurillons et des vaches laitières de race montbéliarde. Rejoint en 2009 par sa compagne, il a agrandi sa ferme et modernisé sa salle de traite. Ses vaches produisaient à l’époque 7 500 litres de lait chacune, qu’il livrait à l’entreprise Lactalis.
Un tank pas au goût des vaches
En 2010, un technicien du groupe Lactalis a procédé au changement du « tank », le réservoir de lait de l’exploitation. La nouvelle installation électrique semblait poser problème car, peu de temps après, Laurent a constaté que « la prise du tank a flambé ». Mais d’autres soucis l’accaparaient : ses vaches rechignaient désormais à entrer en salle de traite. Rapidement, leur production s’est effondré à 5 000 litres et la qualité du lait s’est dégradée. La mortalité des bêtes est en hausse. « Au niveau fertilité, je n’avais plus de veaux. » La situation économique de la ferme a plongé.

Laurent raconte avec une colère contenue l’engrenage dans lequel il s’est alors trouvé pris. Rapport du Groupement de défense sanitaire, contrôle laitier, suivi alimentaire par un technicien : les intervenants se sont succédés sur la ferme à partir de 2014 sans élucider le problème. En 2016, du fait de la dégradation de la qualité, l’éleveur a subi plusieurs arrêts de la collecte de son lait.
« C’est ta faute, tu sais plus soigner tes bêtes. »
Insidieusement, c’est la compétence de Laurent qui a été incriminée : « C’est ta faute, tu sais plus soigner tes bêtes. » Comble de l’humiliation, l’agriculteur a même été invité à refaire trois fois une formation pour réapprendre à traire ses vaches… « J’ai pété un câble », confesse Laurent.
En 2017, l’éleveur a finalement fait venir un magnétiseur sur la ferme. Ce dernier fut formel, le problème venait de la laiterie où se trouve le tank. Laurent lança alors la bataille avec Lactalis pour faire changer le réservoir et le câblage électrique. Il a obtenu gain de cause. Miracle : les bêtes sont de nouveau entrées en salle de traite et la qualité du lait s’est améliorée. Mais sur le plan financier, « le mal était fait ». Lorsque Laurent s’est décidé à faire appel à l’aide de l’association Solidarité Paysans, sa situation économique avait atteint un point critique.
Des producteurs de lait en graves difficultés
Paysan à la retraite et président de l’association Solidarité Paysans Bretagne, Paul Renault rappelle que si chaque histoire est unique, la situation de Laurent Le Meitour est loin d’être un cas isolé : « En un an la Bretagne a perdu 590 élevages laitiers ! » Chaque année, l’association reçoit en moyenne une quarantaine d’appels par département d’agriculteurs en graves difficultés. Les producteurs laitiers représentent 42 % des situations accompagnées. Et la conjoncture économique actuelle, avec la hausse du prix des matières premières, fragilise de nombreuses exploitations. En 2021, en Ille-et-Vilaine, l’association a déjà reçu 57 demandes d’aide. « On est débordés de travail », confirme Élisabeth Chambry, directrice de Solidarité Paysans Bretagne.
Contre la « maltraitance humaine » qui touche les travailleurs du monde paysan, l’association propose d’abord une écoute pour rompre l’isolement et sortir de la culpabilisation. Elle met en place avec les agriculteurs volontaires comme Laurent, un accompagnement à la fois technique, économique et juridique, dans le but de préserver l’emploi. « C’est lui qui va choisir comment rester paysan », insiste Paul Renault.

Depuis 18 mois, un tandem composé de Claire Scrigniac, salariée de l’association Solidarité Paysans et de Philippe Le Bot, paysan retraité bénévole, aide ainsi Laurent à voir le bout du tunnel. L’une des premières démarches a été de faire redémarrer le suivi comptable de l’exploitation, interrompu pour cause d’impayés. Puis un dossier administratif a été monté pour que Laurent puisse accéder au RSA. Aujourd’hui, l’éleveur et son binôme d’accompagnateurs planchent sur le futur de la ferme. Mis en relation avec le réseau Civam [1], qui forme les paysans à des pratiques « plus autonomes et plus économes », Laurent souhaite concentrer son activité sur les vaches allaitantes, « en extensif », en privilégiant l’autonomie fourragère.
Pour compenser ses pertes, l’éleveur réclame toujours 150 000 € à Lactalis, responsable du problème technique et propriétaire du tank. Il a écrit en 2017 au patron du puissant groupe laitier, Emmanuel Besnier… « Ça n’a pas trop plu. » Aujourd’hui, l’expertise entamée pour établir le préjudice de Laurent « patine ». Les dommages et intérêts ? « Ça va prendre 15 ans… J’y compte pas trop. »
Un plan pour les agriculteurs en difficulté
Le ministère de l’Agriculture a présenté, ce mardi 23 novembre, une feuille de route « pour la prévention du mal-être et l’accompagnement des agriculteurs en difficulté ». Il met 12 millions d’euros par an sur la table, et un dispositif « territorialisé ». Il promet notamment la création de cellules dédiées au « mal-être agricole » dans chaque département, et un réseau de sentinelles pour aller vers les agriculteurs. L’association Solidarité Paysans a boudé la présentation de cette feuille de route. Certes, elle « salue le suivi envisagé après une tentative de suicide, l’accompagnement des familles endeuillées, […] l’accès au service de remplacement en cas d’épuisement professionnel ». Mais pointe des mesures qui ne s’attaquent pas aux « responsabilités collectives », à savoir au système agricole qui provoque cette détresse. « Il est urgent d’interroger ce modèle industriel de développement agricole qui engendre isolement, surcharge de travail… Ce dont les paysans ont besoin aujourd’hui, c’est de pouvoir vivre dignement de leur travail, de retrouver une autonomie décisionnelle, de pouvoir retrouver la maîtrise de leur exploitation », souligne l’association.