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Climat

Faute de neige, y aura-t-il encore des JO d’hiver ?

Le peu de neige au début de la descente olympique de ski alpin des JO d'hiver de Pékin, le 2 février 2022

Les Jeux olympiques d’hiver sont en péril. Ceux de Pékin, qui s’ouvrent le 4 février, manquent de neige. Et sans réduction massive des émissions de gaz à effet de serre, seule une ville auparavant hôte pourrait de nouveau accueillir la compétition, selon une étude.

La vingt-quatrième édition des Jeux olympiques (JO) d’hiver, qui s’ouvre le 4 février à Pékin (Chine) avec un manque important de neige, pourrait-elle être une des dernières ? C’est ce que suggère une étude publiée le 10 janvier dans la revue Current Issues in Tourism. Ses auteurs montrent que le changement climatique limitera très fortement le nombre de lieux bénéficiant de conditions météorologiques adaptées aux sports d’hiver. D’ici à la fin du siècle, sans réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, une seule ville — sur les vingt-et-une villes où se sont tenus les JO d’hiver depuis leur lancement en 1924 — sera suffisamment froide et enneigée pour accueillir cet évènement.

Afin de parvenir à ces résultats, l’équipe internationale de chercheurs a sondé plus de 300 entraîneurs et athlètes de haut niveau. Leurs témoignages leur ont permis de déterminer dans quelles conditions les sportifs dont la discipline est représentée aux Jeux olympiques d’hiver peuvent concourir de manière performante et sécurisée. Lorsque la température est trop élevée, la neige peut en effet manquer ou devenir lourde, ce qui la rend « dangereuse à grande vitesse ». La fréquence cardiaque des athlètes peut également s’emballer.

Les auteurs de cette étude ont ensuite comparé ces critères météorologiques à deux scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) : le scénario RCP2.6, qui décrit la manière dont le climat évoluera si les objectifs de l’Accord de Paris sont atteints, et le scénario RCP8.5, qui s’appuie sur une hypothèse de poursuite de la trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre. Dans le premier cas, la température des villes olympiques au mois de février (durant lequel se tiennent les JO) devrait augmenter en moyenne de 2,7 °C d’ici 2080. Dans le second, les scientifiques s’attendent à un réchauffement de 4,4 °C.

Au Japon, Sapporo pourrait être l’unique ville à accueillir une nouvelle fois les JO d’hiver. Flickr/CC BY-NC-ND 2.0/David McKelvey

Résultat : seule la ville de Sapporo, au Japon, pourrait de nouveau accueillir les Jeux olympiques d’hiver à la fin du siècle. La probabilité pour que les conditions météorologiques soient défavorables aux athlètes serait suffisamment faible pour qu’ils puissent continuer à s’adonner au biathlon, au saut à ski ou au bobsleigh en toute sécurité. Les vingt autres villes hôtes des Jeux devraient en revanche raccrocher bâtons et patins. Le risque qu’il fasse doux ou que la neige soit de mauvaise qualité serait trop important pour que les athlètes puissent participer sereinement à la compétition.

Si les États parviennent à se libérer rapidement des combustibles fossiles et atteignent la neutralité carbone avant la fin du siècle, la situation pourrait être un peu plus enthousiasmante. Huit hôtes historiques des Jeux (parmi lesquels Vancouver, Salt Lake City, Calgary et Lillehammer) pourraient accueillir à nouveau des compétitions. Un grand nombre de villes historiquement associées aux sports d’hiver, comme Chamonix ou Turin, resteraient cependant hors jeu.

6,3 °C en février

Les effets du changement climatique sur les sports d’hiver se font déjà ressentir, explique le géographe Daniel Scott, auteur principal de cette étude. Entre 1920 et 1950, la température moyenne des villes accueillant les épreuves s’élevait à 0,4 °C au mois de février. Elle atteint aujourd’hui les 6,3 °C. Le paysage des Jeux olympiques d’hiver contemporains n’a plus grand-chose à voir avec celui des premières éditions. Dans un récent rapport, des chercheurs de l’université Loughborough de Londres, du Sport Ecology Group et de l’association britannique Protect our Winters rappellent que les épreuves de hockey sur glace, de patinage artistique, de patinage de vitesse et de curling pouvaient autrefois avoir lieu à l’extérieur. Depuis les années 1980, en raison des conditions climatiques, elles ont systématiquement lieu dans des patinoires réfrigérées.

Un petit tour vers les archives permet également de se rendre compte de l’ampleur des changements en cours. Les photos des JO d’hiver de Chamonix, en 1924, montrent les sportifs concourir au creux de montagnes blanchies. À Pékin, cette année, les skieurs dévaleront pour la première fois des pentes entièrement recouvertes de neige artificielle. Les premières images des lieux montrent de maigres coulées blanches au milieu de vallons bruns. La région est certes en pleine saison sèche, « mais la neige artificielle est de plus en plus utilisée depuis les années 1990 », explique Daniel Scott à Reporterre.

En 2010, lors des Jeux olympiques de Vancouver, les organisateurs avaient été contraints de transporter de la neige par hélicoptère. Les autorités russes ont quant à elles dû constituer des réserves de neige pendant un an pour que les Jeux de Sotchi de 2014 puissent avoir lieu. 80 % de la neige était artificielle. Quatre ans plus tard, à Pyeongchang (en Corée du Sud), 90 % des flocons provenaient de canons. Un processus polluant, gourmand en énergie et en eau : plus de 185 millions de litres seront nécessaires à l’enneigement des flancs de montagne où auront lieu les Jeux cette année, selon les organisateurs.

Enneigement à Chamonix, durant les JO d’hiver de 1924. Gallica.bnfr.fr/Bibliothèque nationale de France

Des entraînements à l’autre bout du monde

En France, le directeur du Comité de ski de Savoie (l’une des « pépinières » des futurs champions) se dit « préoccupé » par les conséquences du réchauffement climatique sur son sport. Aujourd’hui âgé de 67 ans, Bernard Flammier a commencé la compétition dans les années 1970. « Le ski a été toute ma vie », confie-t-il. Dans sa jeunesse, les skieurs de haut niveau pouvaient s’entraîner « quasiment toute l’année » : « Le slogan de Tignes [un domaine skiable], c’était 365 jours de ski par an », se souvient-il. Les glaciers sur lesquels il dévalait les pistes dès le mois d’octobre sont aujourd’hui fermés à l’automne. Entre fin août et fin novembre, ses équipes doivent parfois se rendre en Norvège, en Suisse, en Italie ou en Autriche pour trouver des glaciers enneigés. Les équipes nationales prennent quant à elles régulièrement l’avion pour s’entraîner sur les cimes de l’hémisphère Sud.

Bernard Flammier n’est pas le seul à s’inquiéter. 89 % des athlètes interrogés par Daniel Scott et son équipe estiment que le changement climatique affecte les conditions dans lesquelles ils concourent. « À Sotchi, en 2014, beaucoup d’athlètes n’ont pas pu finir l’épreuve de slalom géant, raconte le géographe. Ils expliquaient qu’ils avaient du mal à descendre, qu’ils n’arrivaient plus à foncer. » Le nombre de blessures graves a été multiplié par six lors des Jeux paralympiques d’hiver de 2010 et de 2014. Selon une étude, cette hausse spectaculaire serait due à l’augmentation de la température. « Ces athlètes ne sont pas subitement devenus moins bons ni les épreuves plus difficiles, estime Daniel Scott. Mais la neige était de moins bonne qualité. »

« Je n’ai qu’une trentaine d’années et j’ai déjà observé des changements effrayants dans la manière dont se forme la glace et le paysage des glaciers, confie le champion de ski acrobatique Philippe Marquis dans le rapport publié par Protect our Winters. Où en serons-nous dans cinq ans ? Dix ans ? Cinquante ans ? » Tout dépendra, selon Daniel Scott, de l’ambition des États.

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