Fournier, précurseur de l’écologie

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Culture et idéesIl y a de temps à autres des publications qui sortent de l’ordinaire car elles nous rappellent les moments importants et les occasions perdues de notre jeunesse. C’est le cas de l’ouvrage consacré à Pierre Fournier, précurseur de l’écologie paru aux éditions Buchet-Chastel tout récemment dans la collection Les Cahiers Dessinés en 2011. Pour les vieux militants, ce sont les balbutiements de la cause écologique dans le contexte des « trente glorieuses » qu’ils revivent à la lecture de cet ouvrage écrit par sa femme Danielle et par Patrick Gominet. Pour la jeune génération de militants écolos, lire ce témoignage revient à découvrir que la crise écologique aujourd’hui abondamment médiatisée ne date pas d’hier et qu’au début des années 70, tout avait déjà été dit sur cette question par une minorité de militants contestataires de l’ordre économique dominant. Mais à l’époque, ce cri de révolte contre la destruction de la nature était resté inaudible, surtout à partir des années 80 avec le triomphe du libéralisme économique.
Pierre Fournier est le représentant de la génération de 68 qui est celle du baby-boum, mais aussi celle de la société de consommation et de ses ravages. Décédé prématurément d’une crise cardiaque en 1973 à l’âge de 35 ans après avoir lancé le premier hebdomadaire écologiste La Gueule Ouverte, Fournier collabore dès 1966 comme dessinateur journaliste à l’hebdomadaire satirique bien connu de ma génération, Hara-Kiri, devenu ensuite Charlie Hebdo.
Dans le contexte post soixantehuitard marqué par un gauchisme dominant, l’irruption de la question écologique dans la société industrielle bouleversait toutes les représentations idéologiques héritées du XIX ième siècle. De sensibilité politique plutôt droitière, Fournier consacrait ses chroniques à la critique du Progrès dans un journal gauchiste dirigé par des personnes de sensibilités anar comme Cavanna et Bernier dit le professeur Choron. D’où ses critiques sans concessions des positions de la Droite comme de la Gauche et son rejeton gauchiste.
Ses chroniques étaient consacrées à tous les aspects de la crise écologique, de l’énergie nucléaire à l’agriculture industrielle avec sa cohorte de pesticides en passant par l’urbanisation et la démographie galopante. Il ne s’agissait rien moins que de jeter les bases d’une « révolution écologique ». Sans que le terme de « décroissance » ait été employé, tout le discours de Fournier y aboutissait. Quand on relit ses chroniques à quarante ans de distance, on ne peut qu’être frappé par leur totale actualité et par le regret que cette voix solitaire n’ait pas à l’époque rencontré davantage d’échos, cela nous aurait évité de nous retrouver aujourd’hui dans une situation globale, beaucoup plus dégradée et peut être irréversible.
Ce regret est d’autant plus fort que Pierre Fournier avait également jeté les bases du mouvement écologiste par son militantisme antinucléaire. Les chantiers nucléaires de Fessenheim et de Bugey devaient connaître en effet les premières manifestations antinucléaires. En 1972, eu lieu sur le site de la centrale nucléaire de Bugey, la plus grande manifestation d’opposants au nucléaire civil et militaire réunissant plus de 15.000 personnes, jeunes pour la majorité. Y ont collaboré des personnalités comme le mathématicien Grothendieck, médaille Fields, Jean Pignero représentant de l’APRI ainsi que le professeur Lebreton déjà critique de la croissance et d’autres noms bien connus des ex jeunes des années post soixante-huit.
Cet événement politique majeur fondateur du mouvement écolo, est malheureusement resté à peu près ignoré des Français car sévèrement censuré par la plupart des médias. Dans cet ouvrage, des correspondances au vitriol de Pierre Fournier aux rédactions de quotidiens comme Le Monde sont d’ailleurs citées.
Le militantisme de Pierre Fournier devait être brutalement interrompu par sa mort qui a représenté une perte de leadership irremplaçable pour le mouvement écolo, d’autant plus que son positionnement très radical, s’il était resté en vie, l’aurait mis à l’abri des tentations de la politique et de toute forme de récupération politicienne comme celle du Grenelle.
L’ouvrage consacré à Pierre Fournier, outre l’actualité de ses chroniques, présente aussi un intérêt par les dessins de l’auteur et les photos qui vous remettent dans le bain de l’époque où l’on constate que dans ces réunions et ces manifestations, l’âge moyen des militants ne dépassait pas de trente ans. D’ou une nostalgie certaine à la lecture de cet ouvrage consacré à une personnalité hors du commun, à laquelle sa femme Danielle a voulu rendre justice pour qu’elle ne tombe pas dans l’oubli. Nostalgie mais aussi une colère rentrée face à une société qui est restée aveugle vis-à-vis de la gravité d’une question dont l’enjeu est la survie, non pas de la planète comme on l’entend souvent dire, mais de l’humanité.
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• Pierre Fournier, précurseur de l’écologie, Les Cahiers dessinés, 2011.