France Nature Environnement, premier lobbyiste de France ? La bonne blague !

Dans un classement mêlant entreprises comme le Medef et ONG, France Nature Environnement a été classée « premier lobby de France »... Cette dénomination absurde agace le président de l’association qui souligne que parmi leurs 850 000 « lobbyistes de la nature », 99 % sont bénévoles. Et rappelle : « Nous nous battons pour la préservation d’un monde vivable ; pas pour le profit. »
Arnaud Schwartz est président de France Nature Environnement.
Le gros avantage du télétravail, c’est que l’on peut traînasser un peu plus le matin. Du coup, jeudi 29 avril, au lieu d’être sur mon vélo en route vers le bureau, je terminais mon petit-déjeuner en écoutant le journal de 8 heures de France Inter. À l’annonce d’une étude sur l’action des lobbys dans notre pays, je tendis l’oreille… et manquai m’étrangler en entendant ces mots : « France Nature Environnement, 1er lobbyiste de France ! »
Était-ce une blague ?
Non, ça n’en avait pas l’air. Selon le journaliste, la toute jeune start-up Smart Lobbying avait travaillé six mois pour arriver à cette conclusion. Au journal de 8 heures, sur la première radio de France… Évidemment, ce n’est pas sérieux.
Le classement dont il était question est basé sur des données publiques : celles de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui impose à tous les organismes ayant recours au plaidoyer et au lobbying de déclarer le montant annuel qu’ils consacrent à ces activités. France Nature Environnement, fédération des associations de protection de l’environnement sur tout le territoire français, l’a fait de manière exhaustive, transparente et honnête.
Deux millions de personnes sont sensibilisées chaque année grâce à notre réseau d’éducation à la nature
Oui, sa raison d’être est de porter haut le message de la protection de la nature et de l’environnement auprès des décideurs publics et économiques, des élus nationaux et locaux, des journalistes, des leaders d’opinion, des juges mais aussi auprès des enfants, de leurs parents, de leurs grands-parents. Soit deux millions de personnes sensibilisées chaque année grâce à notre réseau d’éducation et de sensibilisation à l’environnement et à la nature ! Alors oui, la substance même de notre travail, c’est le plaidoyer. Nous y consacrons toutes nos forces, toute notre énergie, tous nos moyens – environ quatre millions d’euros par an. C’est notre budget annuel global : il couvre l’ensemble de nos actions, y compris l’éducation, la sensibilisation, la communication... Toutes nos activités nourrissent, crédibilisent, portent notre plaidoyer, c’est pour cela, que, dans un souci de transparence totale, nous les avons déclarées. Manifestement, d’autres ont une approche différente, sélectionnant soigneusement leurs dépenses, les fractionnant, pour réduire les montants affichés.
Le principe de base de ce classement est déjà très discutable. Confondre, sous une même appellation de « lobbyiste », celles et ceux, très souvent bénévoles, qui défendent l’intérêt général, les biens communs, et celles et ceux, professionnels généralement bien nantis, qui défendent des intérêts privés et lucratifs n’est-il pas problématique ?

À France Nature Environnement, nous préférons parler de « plaidoyer » pour désigner nos activités, car oui, nous sommes les défenseurs de la nature et de l’environnement. Si l’objectif est le même que celui des « lobbyistes » – emporter la décision –, l’objet de notre combat diffère totalement du leur. Nous nous battons pour la préservation d’un monde vivable ; pas pour le profit. Dans cette étude, notre fédération se retrouve devant Total, Sanofi, Suez, Veolia… dont les pratiques de lobbying consistent à défendre leur business model et leurs intérêts. Comparons ce qui est comparable...
L’assimilation de ces deux « mondes » est d’autant plus gênante que, sur le terrain, le rôle de « lobbyiste de la nature » n’est pas toujours très drôle. Nos plus de 850 000 « lobbyistes de la nature », dont 99 % sont bénévoles, font entendre la voix de la nature, la voix de l’environnement, la voix des scientifiques aussi, dans des commissions, auprès des pouvoirs publics, devant des tribunaux, sur des stands dans les kermesses, lors de sorties pédagogiques, dans toutes les instances et à toutes les occasions possibles. Ils y consacrent leur temps libre, parfois au détriment de leur vie familiale ou professionnelle, et pourtant voient régulièrement leur légitimité et leur champ d’action contestés, tant par les pouvoirs publics que, parfois, par les représentants d’intérêts économiques qu’ils empêchent de polluer en toute tranquillité.
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Dans les cas les plus graves, cela se traduit par des menaces, des maisons et des véhicules dégradés, des locaux saccagés, des passages à tabac aussi. Oui, en France, dans les années 2020.
Qui peut sérieusement penser que France Nature Environnement aurait le plus important budget lobbying de France ?
En reprenant telles quelles les données de la HATVP, sans analyse, sans réflexion, sans recul sur ce qu’elles disent, la start-up Smart Lobbying offre aux représentants d’organisations professionnelles bien plus riches que nous, bien plus puissantes que nous, bien plus influentes que nous, la possibilité de nous traiter de « premiers lobbyistes de France ». C’est davantage que tristement ironique : c’est dangereux.
Parce que s’il y a bien un sujet à traiter à la suite de cette étude, c’est la question de l’honnêteté et de la sincérité des déclarations auprès de la HATVP. Il y aurait là une belle enquête à mener. Car qui peut sérieusement penser que France Nature Environnement dispose du plus important budget lobbying de France, parmi les 2 337 organisations répertoriées par l’étude ? Plus important que celui des organisations patronales, comme le Medef, des groupements d’intérêts économiques, comme la Fédération bancaire française ?

Mais rêvons un peu ! Oui, fermons les yeux et rêvons que nous avons désormais les moyens des ambitions que, tous, collectivement, nous devrions avoir pour notre climat, notre environnement, la biodiversité, nos rivières, nos océans, l’air que nous respirons… Nous pouvons enfin réduire notre empreinte écologique, freiner la dégringolade affolante des populations d’insectes, d’oiseaux, de mammifères. Sortir l’agriculture de son addiction à la chimie. Et construire des politiques publiques qui associent santé des écosystèmes et santé des humains… Hélas, il faut déjà rouvrir les yeux.
Donc, oui, France Nature Environnement consacre quatre millions d’euros par an à promouvoir ses causes. C’est beaucoup, et nous remercions tous nos soutiens pour leur générosité et leur confiance. C’est beaucoup, et tellement peu par rapport aux moyens des représentants des grands intérêts économiques.