Gaz de schiste en Algérie et permaculture en Tunisie - Le voyage au FSM

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Mines et métaux MondeSous la pluie, le Forum social mondial s’est poursuivi à Tunis. Dans cette grande foire des luttes écologiques et sociales, les reporters ont rencontré les Algériens en lutte contre le gaz de schiste et imaginé une autre agriculture pour le Maghreb.
- Tunis, reportage
La pluie a inondé jeudi 26 mars le Forum social mondial qui se tient à Tunis, à l’université Manar, jusqu’à la fin de la semaine. Ce qui n’a pas empêché discussions, ateliers et réflexions de se poursuivre ardemment. Chaussures mouillées, nos pas nous ont conduit du gaz de schiste algérien aux mines péruviennes en passant par la permaculture en Tunisie.
En Algérie, une bataille cruciale contre le gaz de schiste

Un atelier sur le gaz de schiste… animé par des pro-gaz de schiste
« Le gaz de schiste, source d’énergie alternative sans danger ». En lisant le programme, les visiteurs du FSM ont pu croire à l’oubli du point d’interrogation, ou à une blague. Le nom de l’association organisatrice de l’atelier, l’Association algérienne de l’hydrogène énergie (A2H2), laissait planer le doute. Mais la présence d’un responsable de la Sonatrach, (l’entreprise publique algérienne chargée de mener les opérations d’exploration dans le pays), en tant qu’intervenant, a contribué à créer une ambiance électrique dans la salle. Pour la plupart des opposants au gaz de schiste, cet atelier est une imposture. Difficile d’imaginer, en effet, un débat sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes animé par un représentant de Vinci…
Accompagné de Mahmah Bouziane, secrétaire général de l’A2H2, qui soutient l’extraction du gaz de schiste, Khalil Kourtoubi a développé les arguments de la compagnie face aux protestations du public. « Il faut peut-être améliorer les points faibles de la fracturation hydraulique, mais s’il y avait le moindre risque, moi-même je ne le ferai pas. On n’utilisera pas une technique qu’on ne sait pas maîtriser ». Selon lui, la différence entre les opérations menées en Amérique du Nord et les projets pilotes lancés en Algérie réside dans la quantité d’eau et de produits chimiques.
« Si on creuse à 1 700 m, ce qui n’est pas très profond, la température de l’eau n’est pas aussi élevée qu’à 3 000 m, on n’est pas obligé d’utiliser des produits chimiques », a-t-il assuré. Avant de se lancer dans une tirade dithyrambique : « Je suis comme vous, je parle avec mon cœur… Et puis la crédibilité d’un pays est dans ses réserves ».
Réponse cinglante d’un jeune Algérien : « Mais on s’en fout du gaz de schiste ! Le secteur agricole est condamné, la jeunesse est condamnée ». Dans la foule, Othmane s’interroge à voix haute : « L’Algérie a-t-elle fait suffisamment d’efforts pour éviter d’avoir à exploiter le gaz de schiste ? »
Le débat, qui vire parfois à la foire d’empoigne, pourrait durer des heures. La salle finit par se vider. En sortant, on discute avec Fateh. Il a 31 ans. Algérien, il a quitté son pays et vit maintenant en France. Mais cet ancien militant au sein de la ligue algérienne des droits de l’homme poursuit son combat contre les gaz de schiste, au sein de l’organsiation politique Action Citoyenne pour l’Algérie. "Depuis juin, je me bats bec et ongles pour cette cause. Pour nous, c’est une priorité, mais nos voix sont étouffées. Le centre de la mobilisation se trouve dans le sud du pays, à El Salah. Il y a eu plusieurs manifestations en début d’année, très violemment réprimées. Tout comme la marche organisée à Alger le 24 février."

Outre la répression, les opposants se heurtent à une opacité complète en matière d’information. « La phase d’exploration des sites concernés a débuté il y a quatre ans. Aujourd’hui, tout laisse à penser que l’exploitation a commencé, mais impossible d’avoir une information claire sur la question. Total a annoncé être en phase de production avant de faire machine arrière et de retirer l’annonce de son site web. Pourtant, une loi a été votée en décembre 2013, donnant le feu vert pour l’exploitation des gaz de schiste en Algérie ». Si Fateh ne perd pas espoir, il sait que le combat sera ardu.
Pour lui, la question du gaz de schiste est avant tout politique : « Dès lors que l’exploitation est plus couteuse que le développement des énergies renouvelables, et que le gouvernement persiste malgré l’opposition populaire, on comprend qu’il y a de fortes pressions exercées par les lobbies de l’énergie ». Et de conclure : « Rien ne sera réglé si on ne commence pas par s’attaquer au problème de la démocratie dans le pays : un régime inféodé aux puissances occidentales via des contrats avec des entreprises transnationales ». La suite ? « Action citoyenne pour l’Algérie envisage des actions en France contre Total, ainsi qu’une manifestation en mai à Paris ».
La permaculture et l’agroécologie pour l’agriculture du Magrheb

Et si l’agriculture biologique pouvait sauver l’agriculture de la Tunisie - et de ses voisins ? C’est ce qu’a défendu l’Association tunisienne pour la permaculture dans un atelier tenu sur ce thème. L’agronome Saoussen Benzarti-Hamdi a décrit la crise dans laquelle se trouve l’agriculture de la Tunisie, qui était il y a trois mille ans, « le grenier à blé de Rome ». Mais aujourd’hui, les 4,5 millions d’hectares du pays cultivables souffrent d’une érosion rapide et d’un morcellement des parcelles qui conduit les paysans à la misère. Et dans les grandes cultures du nord-ouest, qui ne tiennent qu’à coup d’engrais et de pesticides, les jeunes ouvriers agricoles souffrent de salaires très bas et d’un chômage en-dehors des saisons de culture. « Ils veulent travailler, ils veulent avoir une vie », dit Mme Benzarti-Hamdi. A ces maux, les militants de l’agriculture bio veulent répondre par leurs techniques, qui enrichissent le sol, favorisent la biodiversité, répondent à l’érosion - et créent des emplois.
Alors, l’agriculture alternative peut-elle se développer en Tunisie ? Réponse de Nessrine Ben Khalifa, militante de l’Association tunisienne de permaculture
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« Il n’y a pas d’acquis, mais des conquis »
Comment faire face à la criminalisation des mouvements sociaux et syndicaux ? Des représentants d’associations et de syndicats de plusieurs pays ont tenté de répondre à cette question récurrente, dès lors qu’une contestation sociale s’organise. Du Burundi à la Belgique, en passant par le Congo ou le Canada, la répression orchestrée par les pouvoirs publics prend des formes différentes, mais poursuit un même but : étouffer la révolte sociale.
Au Burundi, la société civile tente de se mobiliser contre le coût de la vie ou la perspective d’un troisième mandat du président. « Systématiquement, les manifestations sont interdites, déplore une jeune militante. Dans d’autres cas, comme pour la presse, une nouvelle loi comporte des dispositions liberticides, dont l’obligation pour les journalistes de révéler leurs sources ». Malgré tout, la population s’organise. « Nous avons lancé le mouvement du ’Mardi vert’, les manifestants étaient vêtus de vert, en solidarité avec les détenus qui sont vêtus d’uniformes de cette couleur ».
En Belgique et au Canada, aussi, des grèves syndicales ou étudiantes ont été réprimées de différentes manières. Soutien de milices privées pour empêcher l’installation de piquets de grève, procédures judiciaires conduites en urgence, adoption de lois fourre-tout et liberticides…
Pour les militants, la solution passe par la mobilisation de l’opinion publique, à travers la médiatisation des actions. Agir, y compris de manière illégale, en pratiquant la désobéissance civile. À ce titre, les récentes luttes pour l’environnement en Europe, et la création des ZAD, est un exemple à suivre. Un activiste belge résume l’enjeu : « Ce que l’on appelle les acquis, ce sont en réalité des conquis, grâce à des luttes collectives. Il faut avoir en tête que la solution, c’est nous ! »
Imposer aux multinationales le respect des droits
Si, dans les pays riches, les grandes entreprises respectent à peu près les lois sur le travail et sur l’environnement, il en va très différemment dans les pays du sud. Là, directement ou par leurs filiales, les multinationales profitent de lois moins strictes, d’administrations plus faibles, de la corruption des élites et de la pauvreté. Un atelier a confronté les expériences et discuté des remèdes. En partant d’exemples précis, comme en République démocratique du Congo, où la société pétrolière française Pérenco exploite le pétrole dans des conditions désastreuses. Ou au Pérou, où les compagnies minières tentent d’imposer des mines d’or avec l’appui du gouvernement. Que faire ? La résistance populaire a pu l’emporter, comme au Pérou. Mais la société civile est souvent insuffisante, "il faut des lois contraignantes", selon Mathilde Dupré, du CCFD-Terre Solidaire. Qui espère que, le 30 mars, l’Assemblée nationale française adoptera une loi sur la responsabilité des entreprises et de leurs filiales. Qui pourrait alors entrainer d’autres lois du même type en Suisse, en Grande-Bretagne, et en Europe.
Le FSM sert-il encore à quelque chose ?

Le pavillon du Brésil est bien présent. Financé par la compagnie Pétrobras, qui, malgré le scandale énorme de corruption qui l’agite au Brésil, est revenue comme chaque année au FSM, dont elle avait facilité en le finançant le démarrage à Porto Allegre, en 2001.
Au-delà de l’anecdote, les « anciens » du FSM s’interrogent. Conçu à l’origine comme une réplique au Forum économique de Davos, qui réunit chaque année l’oligarchie mondiale, le FMS n’a-t-il pas perdu sa vertu mobilisatrice, sa capacité à énoncer une trajectoire politique radicalement différente de celle du néo-libéralisme ? Certains parlent d’une Fête de l’Humanité mondiale : sympathique, festive, informative, mais incapable de peser vraiment sur le jeu politique.
Le débat est là. Reste un fantastique lieu d’échange et d’informations entre toutes les luttes écologiques et sociales de la planète.