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EnquêteChasse

Gilet fluo, jours sans chasse... comment se protéger des chasseurs

Des chasseurs traquent des faisans et des perdrix dans le nord de Toulouse, en janvier 2022.

Carte interactive, gilet jaune... Diverses initiatives tentent d’apaiser les relations entre chasseurs et promeneurs. Sans convaincre les partisans d’une journée nationale sans chasse.

Depuis le 1er septembre, avant d’aller se balader dans la forêt de Bussy-la-Pesle, petit village de la Nièvre, il faut endosser un gilet jaune. Une obligation qui s’impose aussi aux randonneurs équestres, ramasseurs de champignons et même bûcherons. Et gare aux contrevenants, qui pourraient écoper d’une amende de 135 euros.

Éviter tout accident ou incident lors de la chasse, c’est l’objectif du maire, Philippe Raffeau, qui tient à souligner que son arrêté a été adopté à l’unanimité par le conseil municipal. Cette décision, rarissime en France, est rapportée par Le Journal du Centre et s’appliquera chaque année du 1er septembre au 1er avril (soit sept mois de l’année). Tous les jours, quand bien même la société de chasse locale ne tire que le dimanche. « Il peut y avoir des chasseurs privés les autres jours de la semaine », justifie le maire de cette commune de 58 habitants comptant 115 hectares de bois.

Cette mesure fait suite à un incident survenu en janvier dernier, lors d’une chasse à laquelle M. Raffeau participait — il est aussi responsable de la société de chasse locale : « Nous avons croisé une randonneuse qui s’est baissée quand elle a entendu les chiens arriver. Et elle était vêtue de gris... Un accident aurait pu avoir lieu. Elle n’avait pas respecté le panneau qui signalait une chasse en cours. »

« Une vie coûte beaucoup plus que 135 euros ! »

Quant au montant assez élevé de la contravention, M. Raffeau a le sens de la formule : « Une vie coûte beaucoup plus que 135 euros ! » Sur la période 2021-2022, ce sont huit vies qui ont été fauchées par une balle de chasseur en France, selon le bilan de l’Office français de la biodiversité. Deux non-chasseurs font partie des victimes. Au total, 90 accidents ont été comptabilisés.

Un gilet jaune pour tous ? Cette mesure ne résout absolument rien, estime le collectif Un jour un chasseur, créé à la suite de la mort de Morgan Keane, tombé sous la balle d’un chasseur en décembre 2020. « Imposer un gilet, c’est une façon de rejeter la faute sur la victime, réagit Mila, porte-parole du collectif. C’est aussi faire reposer beaucoup de pression sur les maires en leur laissant le soin de prendre des mesures. Par ailleurs, plus de 90 % des accidents concernent les chasseurs eux-mêmes. Pourtant, ils portent un gilet orange, preuve que ce n’est pas suffisant. Un gilet fluo n’est pas un gilet pare-balles ! »

Manifestation de proches de Morgan Keane, tué par un chasseur en 2020, à Cahors, en janvier 2021. © Alain Pitton/Reporterre

D’autant qu’une partie des accidents a lieu hors de la zone de chasse. Morgan coupait du bois dans son jardin ; Joël Viard, tué en novembre 2021, était au volant de sa voiture sur la route à quatre voies entre Nantes et Rennes.

Des accords passés dans certaines communes

Le collectif plaide pour l’interdiction de la chasse le dimanche et le mercredi sur tout le territoire, sachant que 60 % des accidents ont lieu le dimanche. « La plupart des pays européens ont un jour sans chasse, la France reste l’un des tout derniers pays à ne pas avoir pris cette mesure », constate Mila. Au Royaume-Uni, la chasse est par exemple interdite le dimanche depuis... 1831.

Les jours non chassés existent déjà, notamment dans les forêts domaniales gérées par l’Office national des forêts (ONF). Ce dernier met un calendrier des jours de chasse à disposition. Dans certaines forêts communales et privées, des accords ont pu être trouvés. À Lavoncourt, commune de 340 habitants en Haute-Saône, « chasseurs et autres usagers ont convenu qu’il n’y aurait pas de chasse le dimanche, et lorsqu’une randonnée est organisée le samedi, la chasse se déroule dans une autre zone », raconte le maire, Jean-Paul Carteret, également président des maires ruraux de Haute-Saône. Mais il reconnaît qu’il est difficile de trouver une entente partout. Et il le dit sans ambages : « Malheureusement, il y aura d’autres accidents, certains ne veulent pas céder... »

Manifestation de proches de Morgan Keane, tué par un chasseur en 2020, à Cahors, en janvier 2021. © Alain Pitton/Reporterre

Actuellement sur les 94 fédérations de chasse en France, moins de 10 ont un jour de non-chasse, précisait Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs, lors d’une audition au Sénat en février dernier.

Une carte interactive avec les zones et jours de battues

Dans les Ardennes, région cynégétique par excellence, un autre type d’accord a vu le jour en 2018 : chaque année, une cinquantaine de sociétés de chasse fournissent les dates des battues au grand gibier organisées sur le parc naturel régional des Ardennes. Ces informations sont intégrées dans une carte interactive que tout randonneur ou amateur de nature peut consulter dès le 1er octobre, date d’ouverture de la saison des battues.

Mais cet outil souffre de sa non-exhaustivité. Tout d’abord, une partie des sociétés de chasse ardennaises refusent de divulguer ces dates. Ainsi, seuls 40 000 hectares (ha) sont renseignés sur un total de 65 000 ha forestiers. Les 52 000 ha en zone agricole du parc ne sont pas non plus couverts : « Il y a énormément de propriétaires en milieu agricole, explique Nicolas Bock, chargé de mission forêt au parc naturel régional des Ardennes. Avec un territoire très morcelé, c’est donc trop compliqué de recueillir l’information. Mais cette zone est moins concernée par les activités touristiques. »

Autre limite : les chasseurs individuels ne se déclarent pas. Ils peuvent chasser n’importe quand le faisan, la perdrix, le lièvre... « Cette chasse rassemble moins de monde, relativise M. Bock, et il s’agit surtout d’une chasse au plomb, un peu moins dangereuse que celle au grand gibier. »

« C’est d’une mesure nationale dont on a besoin »

Le parc naturel de la Montagne de Reims a adopté le même outil. « C’est bien qu’il puisse y avoir des initiatives locales, reconnaît Mila du collectif Un jour un chasseur, mais elles restent rares. C’est d’une mesure nationale dont on a besoin. Il y a 34 000 communes en France, on ne peut pas demander à plus de 67 millions de Français de s’informer sur ce que font 1 million de chasseurs. C’est aussi une question démocratique. »

Face au succès de la pétition lancée par le collectif, le Sénat a finalement décidé de se saisir de la question fin 2021. La mission conjointe de contrôle sur la sécurisation de la chasse devrait rendre son rapport dans les tout prochains jours. Proposera-t-elle le dimanche sans chasse ? « On sait déjà qu’on sera déçu », confie Mila.

Lors de son audition, le 1er février dernier, le représentant des chasseurs, Willy Schraen, n’a pas manqué de rappeler son opposition ferme à une interdiction de chasse sur les propriétés privées. « La nature n’est pas à tout le monde, nous sommes prêts à la partager. De là à nous imposer un jour de non-chasse, non ! » Il plaide pour plus de concertation avec les non-chasseurs et compte beaucoup sur la formation décennale de sécurité, mise en place cette année. Cette remise à niveau d’une demi-journée devra être suivie par tous les détenteurs d’un permis de chasse.

« Nous manquons cruellement de police de chasse et je suis sûr que certains accidents auraient pu être évités par plus de contrôle et par peur du passage de l’agent fédéral », suppose-t-il, reconnaissant ainsi que certains chasseurs ne respectent pas les règles. Pas de quoi rassurer les promeneurs.

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