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ReportageÉconomie

Grève à Ecocert, le PDG répond : « Je suis un militant du bio, avec des moyens »

Pendant la grève chez le principal organisme certificateur de l’agriculture bio, Ecocert, son PDG, William Vidal, a ouvert les portes de son bureau à Reporterre pour s’expliquer.

Actualisation : La grève s’est achevée le jeudi 16 avril à la satisfaction des grévistes


-  L’Isle Jourdain (Gers), reportage

Dans le grand bâtiment de bois perché sur une colline de l’Isle Jourdain, quelques salariés non grévistes entrent et sortent des bureaux à pas feutrés. Seuls le bruit de l’aquarium et les appels de journalistes au standard viennent perturber le calme qui règne à l’accueil.

William Vidal, 62 ans dont 24 passés à la tête d’Ecocert, traverse ses locaux à vive allure et propose un café. « Bio ! » précise-t-il, un brin facétieux, avant de s’installer dans son bureau qui surplombe le piquet de grève des salariés en colère. Veste sur le dos et petite moustache rasée de près, il sort quelques notes afin de revenir point par point sur le « malentendu global » qui règne dans son entreprise.

"C’est une entreprise, mais on n’est pas perçu comme tel"

« Ecocert n’est pas une ONG, ni une association, c’est une entreprise mais le problème c’est que l’on n’est pas perçu comme tel », explique-t-il de prime abord. William Vidal qui a été pionnier du bio et militant de Nature et Progrès avant d’être le coordinateur de l’association à l’origine d’Ecocert, indique d’un mouvement de tête la fenêtre depuis laquelle il a une vue imprenable sur le piquet de grève : « Il y a un décalage de compréhension. Décalage qui est peut-être dû à notre communication. De toute façon quand on a des ’éléments’ de ce type, il faut toujours se remettre en cause ».

Eludant toute question au début de l’entretien, il choisit de tenir une mini-conférence de presse pour glisser en « préambule » une présentation d’Ecocert qu’il décrit comme « une entreprise de type familial ce qui permet d’avoir une vision un peu détendue, et de ne pas être sous pression comme une entreprise du CAC 40. Mais Ecocert est une entreprise qui se bat sur un marché et c’est une entreprise rentable ».

William Vidal a bien conscience du malaise que provoque cette alliance du bio et de la rentabilité d’une entreprise : « Il y a une dualité dans Ecocert, à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur puisqu’actuellement on a un désaccord, et un mouvement social où on ne parle que d’argent. Il y a ungap(fossé, ndrl), et ce malentendu il faut le lever ».

Celui qui se décrit toujours comme un militant du bio « mais avec des moyens et ravi d’en avoir », poursuit la lecture de ses notes et déroule ses éléments de langage. Avant de passer à l’examen des revendications salariales des grévistes, il tient à s’exprimer sur le montage financier d’Ecocert S.A et sur la création de Sylvestris, une holding créée il y a huit ans, qui chapeaute la maison-mère Ecocert S.A et une trentaine de filiales en France et à l’étranger.

Lui et ses deux enfants sont les seuls gérants de Sylvestris qu’il décrit comme « un véhicule juridique familial » auquel il a eu recours pour une question de pérennité. « J’y ai mis tout ce que je possédais d’Ecocert parce que, si je venais à décéder, le groupe éclaterait pour payer des taxes », se justifie-t-il. « Le commissaire aux comptes a évalué mes apports d’action à 14 188 636 euros [14 millions d’euros]. Il s’agit de valeurs virtuelles. Il n’est pas question de comptes en Suisse ou de sociétés au Luxembourg, mais de consolider le groupe. »

Ce montage juridique qu’il décrit comme « classique, logique et simple », a pourtant suscité l’étonnement des employés d’Ecocert France. Lesquels ont découvert son existence à l’automne dernier : « C’est la vie de la société, il n’y avait pas de nouvel actionnaire, on n’était pas entré en bourse, peut-être aurait-on pu communiquer mais on ne l’a pas fait. Après coup, on peut dire qu’on aurait dû le faire. »

Ce défaut de communication ne participe-t-il pas au fossé que lui-même évoque ? « Peut-être. Je vois bien qu’il y a un problème », répond-il en désignant la fenêtre, « et ce problème est dû à un défaut de représentation, si on était d’accord, il n’y aurait pas de mouvement [social] ».

"Les rémunérations et le confort de travail sont corrects aujourd’hui"

Le « problème » concerne surtout les salaires, la principale revendication des grévistes. William Vidal est ferme : « Nous ne refusons pas de revaloriser les salaires : nous donnons tous les ans des augmentations conséquentes, en moyenne 12 % sur quatre ans ». La semaine dernière, la direction a proposé 3 % d’augmentation. Les grévistes demandent 7 à 8 %, soit 120 euros brut par mois. « Pourquoi le demander une année et pas les autres années ? Nous ne sommes pas d’accord. 7 % ça représenterait 300 000 euros et ce sont 300 000 euros qu’on ne réinvestira pas. »

Selon le PDG, les salariés d’Ecocert France, qu’il désigne comme ses « collègues », ne sont pas précis sur leur rémunération car ils touchent chaque année des primes d’intéressement et de participation. « Il ne faut pas dire qu’on a 1 600 euros par mois pour vivre, alors qu’on en a 2 000 et quelque », dit William Vidal. « Nous, on estime que leur rémunération et leur confort de travail sont corrects aujourd’hui au vu des contraintes de l’entreprise et par les temps qui courent. Bien sûr, c’est toujours perfectible et tous les ans ils ont des gains. Eux veulent aller plus vite. »

S’il glisse quelques éléments sur les montants inscrits sur les fiches de paie des délégués syndicaux, le PDG refuse d’indiquer le sien et ceux de la direction tout en déclarant que « les montants annoncés (de 10 000 à 30 000 euros) sont très au-dessus de la réalité. Je ne gagne pas 40 ni 20 fois leur salaire. »

Les salariés n’ont-ils pas réellement besoin de l’augmentation qu’ils revendiquent dans le contexte économique actuel ? William Vidal balaie la question d’un revers de main : « Qu’est-ce que ça veut dire ‘avoir besoin’ ? Il y a cinq millions de chômeurs aujourd’hui en France. Est-ce qu’ils se comparent à ces 5 millions de chômeurs ? Je ne regrette pas l’argent qu’ils ont, mais il y a une logique d’entreprise à respecter. »

« Nous devons gérer cette société au cordeau »

« Pour se battre sur ce marché, pour se développer, pour maîtriser la concurrence, nous devons gérer cette société au cordeau, nous sommes extrêmement rigoureux sur la gestion financière et humaine », débite William Vidal. Management d’une main de fer ? Le PDG temporise en expliquant que la rotation du personnel a été très faible ces trois dernières années avec un taux de 5 %.

Il minimise également les cas de harcèlement moral et les procès intentés aux prud’Hommes, qui se sont déroulés avant l’arrivée de sa nouvelle équipe de direction. D’ailleurs, martèle-t-il, Valérie Clech, la directrice des ressources humaines, n’a pas participé au plan de 820 suppressions d’emploi lorsqu’elle était chargée de formation chez Freescale, ayant quitté l’ancienne filiale de Motorola installée à Toulouse en 2009, et non en 2010, comme indiqué sur son profil linkedin.

« On fonctionne actuellement », assure William Vidal, pour qui l’impact aurait été plus fort si la grève avait eu lieu au mois de décembre. « Mais je déplore que la communication des grévistes impacte l’image de l’entreprise ». Le leader de la certification bio ne veut pas avoir mauvaise presse auprès de ses 25 000 clients. Ecocert contrôle à lui seul 64 % des « opérateurs » bio – c’est-à-dire les agriculteurs, transformateurs et commerçants de produits bio - en France et 15 % dans le monde.

« Je vis à la campagne avec un troupeau de 70 brebis »

Ecocert S.A est une entreprise qui se porte bien et qui compte encore aller mieux. Au plus fort de la vague du bio de masse elle a connu une croissance de 28 % (et non de 38 % comme indiqué par un gréviste). Aujourd’hui, ralentissement économique oblige, la croissance se situe aux alentours de 3 % pour un chiffre d’affaire de 40 millions d’euros en 2014. L’entreprise est endettée, tout comme Sylvestris.

« Nous sommes une PME », s’exclame William Vidal. Mais une PME qui s’agrandit au moyen de ses 27 filiales réparties dans le monde entier. Ecocert, leader mondial de la certification biologique est destinée à investir et faire du chiffre, et William Vidal ne s’en cache pas : « Je considère que pour changer le monde, il faut être une entreprise ’autrement’ mais assez insérée dans le tissu économique pour le faire bouger. »

Qui dit entreprise même « autrement », dit dividendes. C’est ce qui a choqué les salariés d’Ecocert France quand ils ont récemment découvert qu’en 2012, les actionnaires « physiques » d’Ecocert S.A avaient perçu 580 000 euros pour l’exercice de 2011.

Sur cette question, William Vidal affirme répondre en toute transparence, même s’il pense inutile d’en faire mention dans cet article. Il suggère de s’intéresser au cas de Bureau Veritas du baron Seillières (le principal concurrent d’Ecocert) : « Même si, de toute façon, vous ne le ferez pas ». [Mais si, c’est une excellent idée d’article, merci – NDLR].

Le PDG confirme donc le versement de 580 000 euros de dividendes et avoir reçu à titre personnel 179 000 euros en 2012 : « Une somme utilisée pour racheter les parts d’associés qui partaient et que j’ai investi dans Sylvestris, la holding. Je ne vis pas dans un yacht mais tout simplement à la campagne, avec un troupeau de 70 brebis », explique l’ancien agriculteur qui « ne pouvait pas rester au cul des vaches » et s’est donc reconverti en entrepreneur au « service de l’homme et de l’environnement ».

« Au-delà des revendications salariales, il y a un vrai problème aujourd’hui. Il y a de plus en plus de riches, de plus en plus de pauvres. Il faut faire quelque chose ». Peut-être augmenter les salaires des employés d’Ecocert France ? « Il y a des gens qui n’ont rien aujourd’hui, il y a des gens qui vivent avec trente euros par jour, ça fait relativiser. Et c’est un problème qui nous mène dans le mur au niveau global et au niveau sociétal », répond le PDG

Avant de prendre congé, William Vidal décline la proposition de se faire photographier par Reporterre, « parce que je ne suis pas photogénique et que ce n’est pas le moment ». Il promet de faire envoyer un portrait avant d’ajouter qu’il espère une issue prochaine à ce conflit en vue des concessions déjà accordées : 3 % d’augmentation de salaires, promesse de travailler sur les conditions d’évolution au sein de l’entreprise et refonte des coefficients : « La grève ne durera pas aussi longtemps qu’à Radio France », glisse-t-il en souriant.

La grève continue

Au pied du grand bâtiment de bois, le piquet de grève à la sauce camping suit son cours. La direction annonce un taux de grévistes de 45 % parmi les salariés d’Ecocert France. Faux, répondent-ils : « Nous sommes toujours autant si l’on compte les gens censés travailler ce lundi, hors congés et arrêts de travail. » Une équipée partie accrocher des banderoles « Ecocert en grève » sur la route rentre au bercail dans un concert de klaxons, elle est accueillie à renfort d’applaudissements et de rires.

Pourtant, le moral n’est pas au plus haut. Les grévistes devront se remettre à la table des négociations, au septième jour de grève. « C’est la guerre de l’usure, la direction fait tout pour nous démotiver », constate C. « Heureusement que les jeunes sont là pour nous stimuler. »

Un téléphone sonne : « C’est D. au bout du fil, il veut arrêter la grève ». Thomas Vacheron, le délégué CGT, s’empare du combiné pour tenter de convaincre son collègue de poursuivre le mouvement : « On a commencé ensemble, on finit ensemble, moi aussi j’ai eu envie de laisser tomber mais tant que les autres veulent poursuivre, je reste là, et puis il y a la caisse de grève pour ceux qui sont en galère ».

Sandrine, la secrétaire du comité d’entreprise, est elle aussi sur le pied de guerre. Elle veut faire valoir ses droits. Car elle ne se contentera pas des primes de participation et d’intéressement qu’elle perçoit chaque année. Des primes qui ont varié de 1 600 euros à 2 500 brut par an ces six dernières années :

« La direction a raison de préciser que nous avons des primes, mais elles sont variables. On demande une augmentation fixe qui ne soit pas soumise au chiffre de l’entreprise pour sortir de cette logique d’objectifs. Ces primes d’ailleurs, comme tant d’autres d’avantages sociaux, nous les avons obtenus par des grèves. »

La grève se poursuit pour le huitième jour consécutif. Mardi 14 avril, les négociations ont une nouvelle fois échoué, malgré une concession accordée par la direction (amélioration de la prime d’intéressement). Les dirigeants d’Ecocert refusent toutefois l’augmentation de 45 euros net par mols et la prime annuelle de 150 euros brut proposées par les grévistes. William Vidal a bon espoir de trouver une sortie de crise : "Il n’y a pas de blocage, les deux parties se rapprochent", explique-t-il.Une réunion entre les représentants syndicaux et la direction doit se tenir mercredi matin.

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