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Guerre en Ukraine : des ONG dénoncent le lobbying de l’agriculture intensive

Une récolte de blé bio en Allemagne en 2018.

Alors que la guerre en Ukraine s’intensifie, la bataille continue de faire rage entre les partisans d’une agriculture productiviste et les défenseurs d’un modèle agricole plus respectueux de l’environnement. Jeudi 10 mars 2022, vingt-six organisations environnementales, citoyennes et paysannes ont envoyé une lettre ouverte au président de la République Emmanuel Macron et au ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, dans laquelle elles dénoncent « l’instrumentalisation de la guerre en Ukraine par les tenants d’une agriculture productiviste ».

« Face à cette situation, il n’aura fallu que quelques jours pour que les porte-étendards de l’agriculture industrielle s’engouffrent dans la brèche créée par la guerre pour tenter de réduire la portée de la stratégie “De la ferme à la fourchette”, volet agricole du Green Deal, portée par la Commission européenne », accusent-elles. Cette feuille de route prévoit entre autres une réduction de 20 % de l’utilisation d’engrais et de 50 % des pesticides d’ici 2030, ainsi que 25 % des surfaces agricoles cultivées en bio et 4 % des terres laissées en jachère pour la biodiversité à cette même échéance. Dès le 28 février, la FNSEA a appelé à l’abandon de cette stratégie, la qualifiant de “décroissante”, et défendu une “libération de la production” pour pouvoir nourrir les peuples qui auront faim, en conséquence de la guerre en Ukraine. Or, il faut casser un mythe : en dehors des contextes d’urgence humanitaire, la faim n’est pas une question de production mais de répartition. Un tiers des productions mondiales sont gaspillées. »

Lire aussi : L’Ukraine, nouvel alibi de l’agriculture productiviste

Pour ces organisations, « en Europe, c’est tout notre modèle productiviste qui est remis en cause par la situation internationale ». « Notre agriculture est en effet dépendante des engrais et des pesticides fabriqués à partir de gaz. Elle dépend également du pétrole pour ses machines. Gaz et pétrole, deux énergies fossiles importées en partie de Russie et dont les cours ont fortement augmenté, lit-on dans leur lettre. Est-il responsable d’appeler à une croissance de la production quand celle-ci dépend fondamentalement d’intrants fossiles importés, néfastes pour la planète comme pour notre souveraineté alimentaire ? »

À l’inverse, pour faire face aux difficultés d’approvisionnement et au risque de crises alimentaires en lien avec la guerre en Ukraine, elles recommandent le développement d’une agroécologie basée sur « trois grands leviers » :

  • « La réduction de la production animale industrielle, néfaste pour notre santé et notre environnement et consommatrice de céréales, d’engrais et de protéines importées » ;
  • « Le développement de systèmes de culture et d’élevage qui dépendent moins des énergies fossiles et des intrants de synthèse » : légumineuses, valorisation du fumier, pâturage et prairies permanentes ;
  • « La transition vers une alimentation saine, sans risque, accessible à tous, plus équilibrée, mais aussi moins riche en produits animaux ».

Le même jour, une lettre était envoyée par 90 ONG à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, au vice-président exécutif pour le Green Deal européen Frans Timmermans, à la commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire Stella Kyriakides, au commissaire chargé de l’agriculture Janusz Wojciechowski et au commissaire à l’environnement, aux océans et à la pêche Virginijus Sinkevičius. « La crise en Ukraine rappelle une fois de plus à quel point il est essentiel de mettre en œuvre le Green Deal et ses stratégies “De la ferme à la fourchette” et “biodiversité”. Plus que jamais, l’UE doit s’orienter vers des pratiques agricoles saines, respectueuses de la société et de l’environnement, telles que l’agroécologie, l’agriculture biologique et l’agroforesterie, qui constituent le seul moyen de garantir la sécurité et la souveraineté alimentaires à long terme, ainsi que la durabilité globale des systèmes alimentaires », y ont-elles plaidé, arguant que « l’édulcoration de la stratégie “De la ferme à la fourchette” et de ses politiques maintiendra la dépendance de l’Europe à l’égard des sources d’énergie non renouvelables ».

La lettre des 90 ONG

Le 2 mars, après une réunion informelle du Conseil agriculture de l’Union européenne sur les conséquences de la guerre en Ukraine, Julien Denormandie et Janusz Wojciechowski avaient promis des mesures pour « libérer le potentiel de la production agricole de l’Europe ». Parmi les mesures d’urgence à l’étude, la possibilité d’utiliser les surfaces agricoles en jachère pour y planter des cultures protéagineuses dès ce printemps. « Il ne s’agit pas de remettre en cause [la stratégie “De la ferme à la fourchette”], qui [doit] être [soutenue], mais nous devons garantir la sécurité alimentaire, a expliqué le commissaire européen. S’il faut rectifier le tir, nous le ferons. »

Auditionné en commission environnement le 7 mars, Frans Timmermans avait à l’inverse estimé que renoncer à la feuille de route européenne de transition agricole serait « une erreur historique », a rapporté le média Contexte. « La stratégie “De la ferme à la fourchette” fait partie de la solution et non du problème, a-t-il déclaré. Nous devons réduire notre dépendance à la potasse russe et biélorusse, nous devons réduire notre demande d’engrais, réduire notre demande de pesticides. »

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