« IRSN assassiné » : les salariés de la sûreté nucléaire refusent leur dissolution

Lors du rassemblement des salariés de l'IRSN, à Paris le 28 février 2023, Patrick Lejuste et Nicolas Brisson ont exposé leurs incertitudes quant à leurs futures missions. - © Émilie Massemin / Reporterre
Lors du rassemblement des salariés de l'IRSN, à Paris le 28 février 2023, Patrick Lejuste et Nicolas Brisson ont exposé leurs incertitudes quant à leurs futures missions. - © Émilie Massemin / Reporterre
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NucléairePlusieurs centaines de salariés de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) se sont rassemblés le 28 février, à Paris. Ils rejettent en bloc leur fusion avec l’Autorité de sûreté nucléaire.
Paris, reportage
« Nous sommes l’IRSN, nous ne sommes pas l’ASN, nous sommes l’IRSN... » Sur un air de Jean-Jacques Goldman, une foule compacte de salariés grévistes de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) — plus de 700 selon les syndicats — ont clamé leur identité, mardi 28 février, sur l’esplanade des Invalides à Paris. Et leur rejet du projet du gouvernement de dissoudre l’institut, qui fournit des expertises sur les dossiers nucléaires français, dans l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
La mobilisation est d’autant plus forte que le gouvernement a déposé deux amendements à la loi d’accélération du nucléaire le 25 février, manifestant ainsi sa détermination à achever le plus rapidement possible cette réorganisation. Le premier élargit le champ des missions de l’ASN pour y intégrer certaines des missions actuellement exercées par l’IRSN, comme l’expertise et la recherche en sûreté nucléaire ; le deuxième prévoit le transfert à l’ASN des agents de l’IRSN qui exercent actuellement ces missions. Les amendements, ainsi que leur décret d’application, prendront effet au plus tard le 1ᵉʳ juillet 2024.

Ces textes, évasifs, n’ont pas dissipé l’incertitude quant aux missions futures des salariés de l’IRSN. « Nos expertises pour l’ASN ne représentent que 20 % de notre activité, explique Patrick Lejuste, chef de projet en sûreté nucléaire et élu CGT au conseil d’administration de l’IRSN. On travaille aussi beaucoup sur les questions médicales, la radioprotection, l’environnement. » « Nous suivons aussi plus de la moitié des travailleurs du nucléaire sur leur dosimétrie, et donc leur santé, complète son collègue Nicolas Brisson, adjoint au chef de laboratoire d’expertise en radioprotection et en intervention, également élu CGT au conseil d’administration. Mais tout ça, ce n’est pas mentionné dans l’amendement. »
« L’impréparation est totale »
Autre sujet de préoccupation, le statut des ex-IRSN au sein de l’ASN. « L’ASN est une autorité administrative indépendante, qui n’emploie que des fonctionnaires, explique M. Lejuste. Quel sera demain le statut salarial des personnels de l’IRSN qui y seront intégrés ? C’est le grand flou. »
Véronique Leroyer, chargée de mission ouverture à la société, elle, s’interroge sur la publicité qui sera faite des expertises de l’IRSN, une fois qu’elle aura été intégrée à l’ASN : « Dans son communiqué, la ministre de la Transition énergétique a dit que l’indépendance, la transparence et le dialogue seraient conservés. Mais rien, dans l’amendement, ne garantit que les expertises continueront d’être publiées. »

Place de la recherche, financement… De nombreuses questions restent encore sans réponse, déplorent les élus, alors même que l’ossature de la nouvelle organisation doit être dessinée avant fin juin. « On apprend les choses au compte-gouttes, on a très peu d’informations sur ce qui se passe », déplore Véronique Leroyer. « Le gouvernement a déjà fait machine arrière à plusieurs reprises : pour dire qu’expertise et recherche ne seront finalement pas séparées, que la radioprotection sera intégrée à l’ASN, etc. On sent que l’impréparation est totale et qu’il découvre qu’il y avait de nombreuses réflexions à mener », raille M. Lejuste.

Pendant le rassemblement, plusieurs députés et sénateurs de tous bords se sont succédé sur l’estrade pour apporter leur soutien aux grévistes : Marine Tondelier, Julie Laernoes et Daniel Salmon (Europe Écologie-Les Verts), Sébastien Jumel (Parti communiste) et même Barbara Pompili, pourtant députée de la majorité. Éric Coquerel, député La France insoumise, a assuré que le projet de dissolution de l’IRSN suscitait une vive opposition dans l’hémicycle et qu’il était tout à fait possible que les amendements du gouvernement soient rejetés. Également présent, l’ancien député et président de l’OPECST [1] Cédric Villani a ironisé sur « l’indépendance dans la dislocation, le nouveau concept du gouvernement ». « C’est incroyable, cela s’appelle de l’irresponsabilité », a-t-il clamé.
Reste à savoir si cette mobilisation suffira pour entraver la réforme que le gouvernement entend mener au pas de course. Quatre groupes de travail devront remettre, d’ici à juin, leurs propositions pour la mise en œuvre du démantèlement de l’IRSN.