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EntretienCulture et idées

« Il faut faire des films engagés, qui dénoncent et qui proposent »

Le cinéaste Jean-Paul Jaud a réalisé trois films dénonçant les méfaits des pesticides, avec Nos enfants nous accuseront (2008), la crise écologique, avec Severn, la voix de nos enfants (2010), ou les dangers des OGM et du nucléaire, dans Tous cobayes (2012). Il prépare son prochain film, Libres !, sur la transition énergétique, et Reporterre en est partenaire. Rencontre.

Reporterre - Vous avez d’abord été connu comme réalisateur à la télévision, notamment pour le sport, à Canal +. D’où vient votre engagement écoogique ?

Jean-Paul Jaud - Ça remonte très loin. Depuis tout petit, on m’a appris le respect du vivant. J’allais en vacances dans la ferme de mes grands-parents. À partir de là, la fibre écolo a grossi très vite. J’ai toujours fait des documentaires sur l’environnement ou sur les animaux, en parallèle de mon travail à Canal +.

Mais il y a eu un tournant...

Oui, car je suis une victime de la catastrophe environnementale planétaire. J’ai eu un cancer du colon, et j’ai cherché à savoir pourquoi. J’en suis vite arrivé à la conclusion que ça venait de l’alimentation. Je donnais à manger aux cellules cancéreuses. À cette époque là je ne faisais pas particulièrement attention à ma nourriture.

Quand j’étais à l’hôpital, j’ai beaucoup réfléchi. Qu’est-ce que je vais faire ? Je voulais que ma caméra travaille pour le cinéma, pour informer. Et donc j’ai décidé de faire Nos enfants nous accuseront, pour dénoncer cet empoisonnement quotidien, et surtout celui des enfants, dans les cantines scolaires.

Votre cinéma est-il engagé ?

Pour moi le cinéma est l’art audiovisuel majeur, et il a un rôle fondamental à jouer en ce qui concerne l’environnement. Quand un film est fort, le spectateur ne sort pas dans le même état que quand il est entré. Assis, dans le noir, on est immergé dans l’œuvre. C’est pour cela que les dictatures s’y sont intéressées.

Je filme pour dire la vérité. On ne nous dit pas la vérité, tout nous est imposé à force d’opacité et de mensonges. C’est ce qui est évoqué dans Tous cobayes : les OGM et le nucléaire nous sont imposés à force de mensonges. Or je pense que le rôle d’un adulte, d’un citoyen, est de dire la vérité. Et pour moi qui suis cinéaste, la vérité passe par la forme cinématographique.

La vérité, selon moi, c’est le vécu. C’est pour ça que je pars toujours du local. Je ne fais pas d’enquête internationale. Ce qui est important, ce sont les témoignages des personnes qui vivent les situations : le nucléaire, les pesticides... Pour Libres !, je suis allé à Fukushima, et j’ai filmé la vie des gens. Je me suis immergé dans la radioactivité, dans la vie de ceux qui habitent là-bas.

Ne vous a-t-on pas reproché d’être trop engagé, de déformer la vérité ?

Qui critique ? Les lobbys, la FNSEA par exemple. Bien sûr, il peut y avoir des inexactitudes dans mes films, mais s’il y avait vraiment des mensonges, j’aurais été attaqué devant la justice ! J’en suis à mon quatrième film, aucune procédure n’a été engagée à ce jour.

Pour l’investigation, je travaille avec des conseillers, comme François Veillerette [actuel porte-parole de Générations futures, ndlr], ou Hervé Kempf. Eux sont là pour m’aider à vérifier que je ne dis pas des choses inexactes. Après, je fais mon travail de cinéaste : j’essaye d’immerger les gens dans ce que je montre.

Mais ne risquez-vous pas de brusquer certaines personnes, qui vont trouver le film partial ?

Non, ceux qui n’acceptent pas ce message sont ceux qui pratiquent le déni. Mais je ne m’adresse pas qu’aux militants. Avec Nos enfants nous accuseront, beaucoup de maires, de mères aussi, ont changé leur alimentation, de nombreux agriculteurs ont décidé de changer de mode de culture. Cela, c’est concret. Donc, je prends le parti de porter des messages forts.

L’engagement est-il donc indispensable ?

Oui, on est dans l’urgence, il faut aller vite et parler haut et fort. Je ne vois pas d’autre façon d’agir. La situation est trop grave, on est au bord de l’irréversibilité. Au Japon, ils ont atteint ce seuil. Avec la catastrophe de Fukushima, plus jamais ils ne sortiront du nucléaire. L’uranium présent maintenant dans leur environnement dure plus de 27 000 ans. Quand on est dans une situation d’urgence, on prend des mesures d’urgence, comme faire un cinéma engagé.

N’est-il pas trop tard ?

Qui peut le dire ? Je ne me vois pas ne rien faire. On peut encore agir. Beaucoup de gens ont pris conscience mais se sentent démunis. Ils se demandent : que peut-on faire ? Nous avons l’argent, on peut le donner à qui on veut. Si vous êtes anti-nucléaire, ne donnez plus votre argent à EDF, mais à des coopératives comme Enercoop !

Pareil pour la nourriture, on n’est pas obligé de donner des sous à ceux qui pratiquent une agriculture mortifère. Les gens ne sont pas informés, ils ne savent pas qu’il existe des alternatives. Donc il faut faire des films engagés, qui dénoncent et qui proposent.

Pourquoi avez-vous choisi de financer en partie votre prochain film par le financement participatif ?

Nos partenaires habituels ne nous ont pas suivis. Les régions, comme Poitou-Charentes ou Île-de-France, n’ont pas donné signe de vie. Les lobbys nucléaires sont sans doute très puissants. On s’est retrouvé sans rien.

C’est très difficile de faire des films engagés sur l’environnement en France. Personne ne veut les financer. J’ai eu de la chance que Canal + m’aide au départ, parce qu’ils me connaissaient. Ça coûte cher de faire un film, environ 800 000 €.

Donc on a fait appel au financement participatif. Nous sommes soutenus par la Nef. On a demandé 200.000 €, on en est à 30 %. D’ici à fin novembre, il faut qu’on atteigne l’objectif ! Le financement participatif, c’est l’avenir, car chaque spectateur se sent acteur du film, il y participe.

- Tournage au Japon -

Après les pesticides, et les OGM, vous vous attaquez au nucléaire. Pourquoi est-ce important ?

On peut faire la plus belle agriculture qui soit, on peut faire la meilleure société, si demain en France, il y a un accident nucléaire majeur, le quart du pays est anéanti. Donc sortir du nucléaire est urgent. Le plutonium est le produit le plus mortel qui existe sur terre. Surtout qu’on sait qu’on peut se passer de cette énergie !

Quand je suis allé à Fukushima, trois ans après la catastrophe, ça a été le choc. C’est le chaos. Il y a des zones qui sont invivables, même à soixante kilomètres de la centrale. J’ai vu la perpétuation d’un crime, parce que oui, il est criminel de laisser des gens vivre là-bas. Ça m’a rendu malheureux. Par contre, il y a des choses qui m’ont réconforté : l’ancien Premier ministre, Naoto Kan, est devenu anti nucléaire.

C’est un film sur la transition énergétique. Et elle n’est possible, pour tous les gens sensés, qu’en sortant du nucléaire.

- Tournage en France -

Comme pour Nos enfants nous accuseront, le film part des enfants.

C’est très important. Les enfants comprennent vite, ils sont très sensibles. C’est souvent eux qui éduquent leurs parents. On devrait plus souvent les écouter, et leur parler d’une façon moins infantilisante. Ils comprennent tout, et ils ont un rôle à jouer.

Pour Libres !, je suis parti d’un stage Musique et nature pour les enfants, à Mortagne-sur-Gironde, à vingt kilomètres de la centrale du Blayais. Ces enfants peuvent encore vivre libres. Mais pour combien d’étés ? La centrale a failli exploser en décembre 1999, lors de la tempête. Les petits Français sont encore libres, ceux de Fukushima ne le sont plus.

Le titre du documentaire vient de là. D’ailleurs, j’ai dû vérifier s’il existait une autre œuvre qui portait ce nom... Et bien non, personne n’a jamais utilisé ce mot, libres, pour un film. C’est quand même fou !

-  Propos recueillis par Lorène Lavocat


-  Pour participer au FINANCEMENT du film Libres !, c’est ici.

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