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TribuneClimat

Inscrire le changement climatique dans la Constitution : symbolique mais inutile

Le Premier ministre a annoncé, le 4 avril, le projet du gouvernement d’inscrire la lutte contre le changement climatique à l’article 34 de la Constitution. Pour l’auteur de cette tribune, cette mesure, avant tout symbolique, est surtout inutile, voire contreproductive.

Arnaud Gossement est avocat en droit de l’environnement.

Arnaud Gossement.

L’article 34 de la Constitution liste les matières dans lesquelles le Parlement vote la loi. Dans sa rédaction actuelle, cet article précise d’ores et déjà que « la loi détermine les principes fondamentaux : (…) de la préservation de l’environnement ». L’environnement au sens large comprend bien sûr le climat. Et c’est ainsi que plusieurs lois font d’ores et déjà état de la lutte contre le changement climatique. Le Conseil constitutionnel a déjà isolé un « objectif de lutte contre le réchauffement climatique » de valeur législative. Il s’agissait en effet d’un objectif que le législateur s’était fixé à lui-même avant, selon le Conseil constitutionnel, de le violer. L’article 7 de la loi de finances pour 2010 créant une « contribution carbone » a donc été déclaré contraire à la Constitution au motif de la violation par le législateur de l’objectif qu’il s’était assigné [1]
 
Cette mesure est donc inutile et ne changera rien au contrôle de la constitutionnalité de la loi réalisé par le Conseil constitutionnel. Le risque est cependant que cette mesure soit en outre contreproductive.

 
Inscrire la lutte contre le changement climatique à l’article 34 de la Constitution de 1958 présente plusieurs inconvénients.
 
Le premier inconvénient tient au fait que cette mesure revient à considérer que certains enjeux environnementaux seraient plus importants que d’autres. La mise en évidence de la seule lutte contre le changement climatique à l’article 34 de la Constitution contribue au « carbocentrisme » selon lequel la réduction des émissions de gaz à effet de serre est la seule urgence écologique à laquelle il conviendrait de s’attacher.

C’est une erreur. La réduction de nos émissions de gaz à effet de serre est un impératif mais ne peut pas être traitée isolément des autres impératifs. Focaliser sur la seule question du carbone autorise ainsi les promoteurs de l’énergie nucléaire à mettre en avant une technologie qui produit pourtant des déchets dont la gestion est périlleuse. En matière d’écologie, tous les sujets doivent être traités de front. En d’autres termes, la meilleure manière de lutter contre le changement climatique est de travailler sur tous les enjeux environnementaux en même temps.

Le deuxième inconvénient tient à la rédaction proposée. Le dérèglement du climat n’impose pas que des politiques de prévention des émissions de gaz à effet de serre. Car, malheureusement, ce dérèglement est déjà une réalité. Il est donc important de continuer à réduire ces émissions tout en traitant les conséquences déjà bien visibles des émissions passées et en cours. Des politiques d’atténuation et d’adaptation sont requises en complément des politiques de prévention. C’est pourquoi le terme de « lutte » (contre le changement climatique) est sans doute « fort » mais pas nécessairement le mieux choisi pour bien envisager l’ensemble des tenants et aboutissants des politiques publiques destinées à agir sur les causes et les conséquences de la hausse de la température moyenne à la surface du globe.
 
Le troisième inconvénient, plus juridique, tient à ce que cette mesure introduit une discordance entre la Constitution et le Code de l’environnement. Au sein de l’article L.110-1 du Code de l’environnement, de valeur législative, « la lutte contre le changement climatique » correspond à un « engagement » destiné à réaliser l’objectif de développement durable. Il faut éviter que la lutte contre le changement climatique soit : d’une part un engagement au service de l’objectif du développement durable dans le Code de l’environnement, d’autre part un simple critère de délimitation du domaine de la loi à l’article 34 de la Constitution. Cette discordance entre la Constitution et le Code de l’environnement doit être évitée.
 
Le quatrième inconvénient, plus politique, tient à ce que cette mesure masque mal le fait que l’État ne se dote toujours pas des moyens humains et financiers nécessaires pour assurer véritablement le développement durable du pays. La difficulté qu’il éprouve à réduire la pollution de l’air malgré plusieurs décisions de justice qui lui demandent d’agir en témoigne. De la même manière, notre fiscalité n’est toujours pas adaptée pour, notamment, développer une économie circulaire. Appliquer la Charte de l’environnement, respecter nos engagements européens et internationaux devraient constituer une priorité. Doter notre boîte à outils constitutionnelle d’un nouvel outil symbolique est moins pertinent que de se servir de ceux qui existent déjà. L’écologie des symboles devrait laisser la place à l’écologie des actes.
 
En conclusion, inscrire la lutte contre le changement climatique à l’article 34 de la Constitution est moins urgent que de réformer nos institutions pour que l’environnement soit, enfin au cœur et non plus à la périphérie de nos institutions et de nos politiques publiques. La création de la fonction de vice-Premier ministre chargé du développement durable ou une réforme complète du Conseil économique et social y contribueraient. Et nous permettraient de sortir de l’écologie des symboles. 

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