JO 2024 : et si la canicule gâchait la fête ?

Yohann Diniz lors des JO de 2016. le Français avait été victime d'un malaise en pleine course à cause de la chaleur. - © Bryn Lennon / Getty Images / AFP
Yohann Diniz lors des JO de 2016. le Français avait été victime d'un malaise en pleine course à cause de la chaleur. - © Bryn Lennon / Getty Images / AFP
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JO 2024 Sports ClimatComment les athlètes vont-ils supporter la chaleur lors des Jeux olympiques 2024 à Paris ? Certains s’y préparent déjà dans des « chambres thermiques ». Pas question, en tout cas, de reporter l’événement, assurent les organisateurs.
C’est la fin du deuxième set. Le champion Daniil Medvedev est proche de s’effondrer sur le court. L’arbitre s’enquiert de son état de santé. Le tennisman se demande s’il ne va pas « mourir » de chaleur. La scène se déroule le 28 juillet 2021, lors des huitièmes de finale du tournoi de tennis des Jeux olympiques de Tokyo. « Dès le début du match, j’ai senti que j’avais du mal à respirer. C’était comme si mon diaphragme était bloqué », a ensuite expliqué la tête de série n°2, finalement venu à bout de l’Italien Fabio Fognini après avoir eu recours à deux temps morts médicaux.
Reverrons-nous pareille scène lors des Jeux olympiques 2024, à Paris ? Les organisateurs s’en préoccupent à la marge — pas question de reporter l’événement — tandis que les athlètes s’y préparent tant bien que mal. Certains s’entraînent dans des salles surchauffées... Mais combien d’athlètes seront contraints de jeter l’éponge ou s’entêteront, au péril de leur santé ?
Dans la capitale nippone, les températures dépassaient les 30 °C avec, de surcroît, des taux d’humidité supérieurs à 80 %. Les participants enchaînaient les épreuves pendant que la population était, elle, invitée à rester cloîtrée. Sous la fournaise, les corps ployaient. L’archère russe Svetlana Gomboeva a perdu connaissance. La joueuse de tennis espagnole Paula Badosa a été évacuée en fauteuil roulant, serviette sur la tête, à cause d’une insolation. Dans un environnement a priori plus clément, au milieu des vagues, le canoéiste Martin Thomas s’est plaint : « L’eau chauffe aussi. » Les joueurs de beach-volley, eux, se sont brûlé les pieds sur le sable.
🇪🇸 🎾 🥵 Gros coup de chaud pour Paula Badosa lors de son quart de finale face à Marketa Vondrousova après une première manche perdue (6-3)
L'image est inquiétante de l'Espagnole qui sort sur fauteuil roulant #Tokyo2020
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— francetvsport (@francetvsport) July 28, 2021
Selon les instituts météorologiques, tous les ingrédients sont réunis pour que les athlètes cuisent au bain-marie lors des prochains JO. L’effet conjoint du réchauffement climatique et du phénomène El Niño — s’il se prolonge — augure des températures inédites. Les dates choisies pour organiser la compétition, en plein cœur de l’été, du 26 juillet au 11 août, vont renforcer le problème. Et il y a la ville hôte, Paris, qui est la plus mortelle d’Europe en cas de canicule. Ses rues imperméables, ses revêtements sombres, et son bâti dense emmagasinent la chaleur et font d’elle un « immense radiateur la nuit l’été », comme l’expliquait la mission d’information et d’évaluation (MIE) du Conseil de Paris.
Paris, ville la plus mortelle d’Europe en cas de canicule
Nos organismes, aussi affûtés soient-ils, seront mis à rude épreuve. Quand il fait chaud, le corps peine à assurer sa thermorégulation, c’est-à-dire à se maintenir à une température confortable. « Il existe une température optimale pour réaliser un effort physique, qui est variable selon les individus », observe Geoffroy Berthelot, chercheur à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). Pour une activité intensive et prolongée, comme un marathon, la température optimale se situe autour de 10 °C. Pour les efforts plus brefs, comme les sprint, elle est d’environ 23 °C. « Dès que les températures s’en éloignent, les risques d’abandons et d’accidents s’amplifient », poursuit le chercheur.
Un exemple marquant : le marathon de Chicago, en 2007. Par plus de 30 °C et 86 % d’humidité, près de 300 personnes ont terminé la course à l’hôpital, souffrant de déshydratation, de nausées, de palpitations et de vertiges. L’une d’elle est morte après un « coup de chaleur », la forme la plus grave des affections provoquées par la chaleur, qui entraîne une élévation majeure de la température corporelle et le dysfonctionnement de nombreux organes.
Des chambres thermiques pour acclimater artificiellement les athlètes
Et dans la fournaise, il n’y a pas que les blessures physiques. Les vagues de chaleur ont aussi des conséquences sur la santé mentale, comme le précise le Giec dans son dernier rapport. Les chercheurs estiment qu’un lien certain a été démontré entre l’augmentation des températures, au-delà de 30 °C, et une hausse des suicides. Pour la chercheuse Aurélie Collado, spécialisée en psychologie de la performance, les sportifs sont particulièrement exposés : « On s’occupe très peu de leur santé mentale, mais ils sont déjà dans une course à la performance qui peut impliquer des excès et qui n’est pas équilibrante. La chaleur et la fatigue qu’elle provoque viennent se surajouter. »
Dans ces conditions, comment continuer de réaliser des prouesses ? Dans son laboratoire parisien à l’Insep, Geoffroy Berthelot s’est penché sur l’histoire des records olympiques depuis 1896. Selon ses calculs, les athlètes ont atteint 99 % de leur potentiel dans les limites naturelles de la physiologie humaine. Sous l’effet des nouveaux paramètres climatiques, les performances olympiques promettent d’être stagnantes, et des records ne vont certainement plus être battus à l’avenir. « Ils ne tomberont pas indéfiniment, et encore moins en plein été. Il faudra sortir de ce paradigme », avance Geoffroy Berthelot.

Mais les grandes nations du sport ne sont pas près de renoncer à affoler les chronos. Leur parade : des chambres thermiques, où elles tentent d’acclimater artificiellement leurs athlètes au « stress environnemental » attendu lors des Jeux olympiques. Le recordman français du monde du 50 km marche Yohann Diniz s’était préparé de cette façon pour les Jeux olympiques de Tokyo, après avoir été victime des conditions climatiques extrêmes aux JO de Rio puis aux Mondiaux de Doha. En France, l’Insep a récemment obtenu l’un de ces caissons, qui consiste en une salle d’entraînement « où l’on maîtrise tous les paramètres environnementaux, la température, l’humidité, l’oxygène... », explique Geoffroy Berthelot.
Pour éviter de mettre les sportifs sous bulle, ne faudrait-il pas, plutôt, décaler les Jeux olympiques ? « C’est une meilleure solution pour préserver les athlètes et leurs niveaux de performance », affirme Guillaume Coudevylle, chercheur spécialisé en psychologie de la santé et de la performance. C’est d’ailleurs ce que préconise le Guide pour un été 2023 sportif et responsable, édité par le ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Il recommande de prévoir l’aménagement, le report, voire l’annulation d’un évènement sportif en cas de vagues de chaleur. Mais selon le Comité d’organisation des JO (COJO), contacté par Reporterre, cette option n’est pas envisageable.
Pas question de changer la localisation de certaines épreuves
Lambis Konstantinidis, directeur de la planification et coordination des JO, assure que l’organisation « fera le maximum pour anticiper les fortes chaleurs et ne pas mettre en danger la santé des participants ». « Nous sommes flexibles, prêts à adapter le programme à la réalité sur le terrain. Quand on pourra reporter certaines compétitions, nous le ferons », poursuit-il. En revanche, pas question de changer la localisation de certaines épreuves, comme le beach-volley ou le tir à l’arc, qui se disputeront respectivement sur le Champ-de-Mars et l’Esplanade des Invalides, au centre de Paris. « En organisant le beach-volley sur une plage, les chances d’avoir du vent et des températures plus douces auraient pourtant été plus grandes » regrette Guillaume Coudevylle.
Les salles et les stades, eux, ne seront pas climatisés... « sauf si la salle est déjà équipée, comme à l’AccorHotels Arena de Bercy, ou quand c’est inévitable, à la marge », dit Lambis Konstantinidis. L’enceinte du Stade Pierre Mauroy de Lille, où se disputera le tournoi de basket-ball, sera ainsi refroidie, « sinon le taux d’humidité fera glisser les joueurs sur le parquet ».
Autre sujet épineux : la question du repos, essentiel aux athlètes. Or, canicules et sommeil ne font pas bon ménage et l’organisation a fait le choix de ne pas climatiser les chambres du Village des athlètes, réparti sur les communes de Saint-Denis, Saint-Ouen et l’Île-Saint-Denis. « L’urbanisme du Village assure le rafraîchissement naturel des bâtiments, et la température sera au moins 6 °C plus basse qu’à l’extérieur », justifie Lambis Konstantinidis. « C’est beaucoup plus intéressant d’un point de vue écologique. »
La décision a quand même fait bondir les délégations, qui veulent optimiser le temps de récupération de leurs sportifs. Elles craignent que l’architecture ne suffise pas à rafraîchir suffisamment les pièces. Certaines fédérations ont menacé de déserter le village, obligeant le comité à reculer : les délégations ont désormais le choix d’installer, ou non, des appareils de refroidissement de l’air. « Elles le feront à leur charge, et ça ne doit surtout pas être la norme », prévient le directeur de la planification et coordination.