« L’Ecologie humaine » n’est pas écologiste

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PolitiqueLe mouvement d’Ecologie humaine a tenu ses Assises à Montreuil. Issu de La Manif pour tous, il prétend recentrer l’écologie sur « la personne humaine » et la famille, « écosystème naturel ». Mais il ne prend pas position sur les destructions de l’environnement, et intègre en toute bienveillance le Medef et l’acceptabilité sociale des projets inutiles.
- Montreuil (93), reportage
Le courant Pour une écologie humaine a réuni ses Assises samedi et dimanche 6 et 7 décembre. Il a été créé en mars 2013 par des animateurs de la Manif pour tous, mouvement d’opposition à la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Son principal initiateur est Tugdual Derville, porte-parole de La Manif pour tous. Quelle est la conception de l’écologie portée par ce mouvement ? Pour le savoir, il fallait aller voir, et écouter.
Dimanche matin, dans les rues assoupies de Montreuil, le vélo me conduit au Palais des congrès. A l’entrée de la rue qui y mène, une dizaine de militants de partis de gauche distribuent des tracts vitupérant la tenue de ces Assises en cet endroit : le mouvement de l’écologie humaine « est un masque », dit le texte, « il cache honteusement un groupe qui a participé avec zèle aux manifestations contre le mariage pour tous. Les organisateurs de ce mouvement ont été aux côtés de la droite la plus dangereuse et du Front national pendant ces manifestations ».
Dans le hall du Palais des congrès, l’accueil est standard : enregistrement, remise de badge, dossier. Je me présente comme journaliste – les Assises sont aussi couvertes par le quotidien La Croix et la chaîne catholique KTO. Deux vigiles vérifient les badges, puis l’on monte dans le vaste hall du premier étage. Un vestiaire permet de déposer son manteau. Plus loin, un stand présente un assortiment de livres : on peut s’y procurer des ouvrages de Joseph Stiglitz, Pierre Rabhi, Günther Anders (L’obsolescence de l’homme), des livres d’épanouissement personnel, des ouvrages sur la bio-éthique, sur le management d’entreprise, et… Le fanatisme de l’Apocalypse, de Pascal Bruckner : un pamphlet anti-écologiste, qui dissimule la grande peur des bien pensants devant le message de l’écologie politique.
Plus loin, un petit déjeuner est gracieusement offert : café, jus de fruit, viennoiseries. Accrochés au plafond pendent des banderoles annonçant Communication, Arts, Economie, Société, Environnement, Politique et Sciences. Un espace est réservé aux « initiatives », appelées « alvéoles » : des actions de solidarité sociale, des jardins partagés, une AMAP, un accompagnement de managers, une veille sur les "dérives et les bienfaits" du transhumanisme, etc. Au fond du hall, une tribune est installée, encadrée de deux écrans pour la projection video des débats. Et pour créer l’ambiance, une musique de disco assez surprenante. Ici et là, des jeunes gens à tee-shirt verts siglés « Ecologie humaine ». Tout ceci est bien organisé, et ne manque pas de moyens.
Peu après 9 h 30, les débats commencent. La veille, les participants avaient discuté de « La France et l’écologie humaine », d’agriculture, puis Dominique Bourg, professeur à l’université de Lausanne et membre du comité scientifique de la Fondation Nicolas Hulot, était venu plancher sur « L’écologie humaine traite-t-elle d’écologie ? ».
- Dominique Bourg
Ce dimanche matin, on va suivre deux tables rondes sur la technique et sur le travail.
Les rangs de chaises se remplissent, l’affluence est là, environ trois cents personnes.
Jean-Guilhem Xerri prend la parole. Biologiste, M. Xerri a présidé une assocation d’aide aux SDF, Aux Captifs la libération. Il expose ce qu’est le transhumanisme, qui veut accroitre par la technologie les capacités sensorielles, physiques et intellectuelles du corps humain. « C’est une hypothèse à prendre au sérieux, dit M. Xerri, elle est portée par des gens puissants comme Ray Kurzweil, le directeur scientifique de la compagnie Google ». L’orateur n’exprime cependant pas une opposition explicite au transhumanisme : « Attention à la technolâtrie, dit-il, mais attention aussi à la technolophobie. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, et il y a un travail de discernement à faire, en prenant en compte la place des personnes les plus fragiles, la place de la famille humaine. Et par qui ces progrès seront-ils vécus ? Par les riches. Il n’y a pas de construction co-participative [du transhumanisme] ». Le développement des techniques prôné par les transhumanistes serait, en fait, acceptable, à condition d’être partagé. Au demeurant, l’orateur suggère que la recherche d’une humanité étendue par le transhumanisme n’est pas à propos : « Qu’est-ce qui fait l’humanité de l’homme ? L’attention portée aux autres. Qu’est-ce qui va me rendre plus humain ? La capacité au don et à la gratuité ».
La technique dévaste les vacances à Bora Bora
Lui succède Jean-Marc Potdevin, présenté comme ingénieur et dirigeant d’une entreprise du web. Il explique qu’il y a des choses formidables à faire avec la technique, mais qu’il faut quand même faire attention comme le prouve l’historiette qu’il raconte. Il connaît un homme très riche qui avait décidé d’emmener ses petits-enfants en vacances à Bora-Bora, en Polynésie. Mais comme cet homme, apparemment connu, ne voulait pas que le bruit en circule, il a demandé à ses petits-enfants de n’en rien dire sur leur page Facebook. Empêchés de raconter leurs aventures à Bora-Bora à leurs copains, les petits-enfants ont été très frustrés et n’ont donc pas goûté leurs vacances. Oui, une histoire bien triste sur les ravages de la technique qui fait rater les vacances à Bora-Bora de charmants bambins.
Tugdual Derville, co-initiateur de l’Ecologie humaine, prend ensuite la parole. Il cite Jacques Attali, qui a écrit dans un article, « Vers une humanité unisexe », qu’il fallait « identifier et défendre le sanctuaire de notre humanité », puis le pape Benoit XVI qui, tout en disant qu’il ne faut pas confondre le faisable avec le bien, estime qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Plus tard, M. Derville va encore évoquer ce malheureux bébé qu’on veut jeter avec l’eau du bain, pour la troisième fois de la matinée.
« Il faut distinguer le progrès qui nous émancipe du progrès qui nous aliène et nous asservit », explique-t-il. Puis il critique le « lobby du transhumanisme » et son « refus absolu de la transcendance », évoquant les limites de notre humaine condition : un corps sexué, un temps compté, une mort inéluctable. Il faut adopter « un principe d’humilité face à la dilatation des egos, pour accueillir l’interdépendance ».
Après cette table ronde, une video présente quelques exemples d’« alvéoles d’initiatives » : un syndic de co-propriété, une association de récupération de vieux téléphones, une alvéole pour les sans-abri, une autre sur l’habitat intergénérationnel, une troisième sur l’habitat et l’architecture, dont l’animateur explique qu’il « faut trouver une alternative au tout réglementaire », une autre encore en Midi Pyrénées, « alvéole sur le débat bienveillant », afin d’« écouter l’autre, de sortir de la polémique permanente ».
Le représentant du Medef : parler avec son coeur
La deuxième table ronde du matin concerne le travail. Pierre-Yves Gomez, co-initiateur du mouvement, observe qu’il intervient sur le travail « dans ce lieu historique [à Montreuil, ville de tradition communiste] et le dimanche [jour chômé par les chrétiens] ». S’il affirme qu’« il faut être ferme sur sa signification anthropologique [du dimanche] », qu’au demeurant il n’explique pas, il nous invite « au discernement sur le travail du dimanche : ni latrie, ni phobie ».
La question posée aux intervenants suivants est : « Qu’est-ce qui vous donne envie de travailler le matin ? ». « La perspective de pouvoir donner », dit Solenn Bouan, vingt-cinq ans, sortie d’une école de management. « L’aventure collective », déclare Yves de Talhouet, dirigeant des Faïenceries de Gien et conseiller spécial du président du Medef (le syndicat patronal). « La perspective d’interactions avec les collègues et les partenaires », selon Romain Chevallet, travaillant dans l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. La discussion qui suit aboutit au constat que s’il y a en ce moment souffrance au travail, c’est parce que les salariés ne se sentent pas reconnus. « Au bout d’un moment, conclut M. de Talhouet, il faut abandonner la doxa et parler avec son cœur. Dans le management, les gens détectent rapidement si l’on parle avec son cœur ou pas ». La salle applaudit.
C’est au tour de Gilles Hériard Dubreuil d’intervenir. M. Hériard Dubreuil dirige le cabinet Mutadis, spécialisé dans la gestion des risques. Il a été décrié par les antinucléaires pour sa participation à la mission Granit, en 1990, visant à faire accepter un dépôt de déchets nucléaires, et pour sa participation à un programme d’éducation et d’accompagnement des habitants des régions contaminées par l’accident de Tchernobyl. Une entreprise servant en fait, selon les antinucléaires, à banaliser l’accident nucléaire en le rendant acceptable.
Son discours m’apparait assez décousu, les idées n’y sont pas nettement exprimées. Il indique que le mouvement Ecologie humaine s’est posé la question de présenter une liste aux présidentielles, expose l’idée d’un « changement culturel profond, qui passe par des personnes », évoque un agriculteur, Thierry François qui, la veille, a expliqué pourquoi des agriculteurs s’engagent dans la ferme des Mille vaches, même si ce n’est pas leur désir profond. « Il faut prendre les gens où ils sont et voir s’il y un chemin possible ».
Ensuite, les participants partent autour des grandes tables rondes qui sont disposées dans le hall, en « alvéoles », afin de répondre à la question : « Comment rendre concret ce qu’on a dit ? ».
Je vais discuter avec Tugdual Derville. Il m’explique qu’il a lancé le mouvement pour l’écologie humaine, parce que l’homme lui-même est en danger, pas seulement la planète. L’homme est menacé par « la perte des repères anthropologiques », constitués par « l’altérité sexuelle dans l’engendrement et l’enfantement ». « Ce temps va être remplacé par la matrice artificielle. Il faut protéger l’identité humaine, face aux merveilleux progrès technologiques ».
Je l’interroge sur Notre-Dame-des-Landes : comment se situe-t-il dans les combats concrets de l’écologie ? « On pense qu’en repartant de la personne, on peut avoir des débats bienveillants. Ce qui nous intéresse, c’est le chemin de la transformation, plus que de la confrontation ». Quant à juger du projet d’aéroport, il l’évite soigneusement, ce que j’interprète comme une façon de l’accepter. On ne peut se dire écologiste sans prendre position sur des questions aussi cruciales et claires que celle-ci. Ou, comme dit l’adage, « qui ne dit mot consent ».
Le centre focal de l’intérêt de Tugdual Derville, en fait, est la bio-éthique. Il est ignorant d’écologie. Quand je lui demande quels auteurs écologistes l’ont inspiré, il cite Jacques Ellul et Jean Bastaire. Je lui repose la question, aucun autre nom ne lui vient à l’esprit. Il a travaillé chez les Petits frères des pauvres, a fondé une association d’aide aux enfants handicapés, A bras ouverts, puis a travaillé avec Jean de Kervasdoué, un anti-écologiste virulent, auteur des Prêcheurs de l’Apocalypse. M. Derville est aussi délégué général de l’Alliance Vita, association "pro-vie" fondée par Christine Boutin.
Pour Derville, « tout pouvoir légitime vient de la famille. Qu’est-ce qui se passe dans cette cellule ? C’est un écosystème, protecteur pour l’être humain ».
Il faut se libérer de la « tyrannie libertaire » du désir, de la tyrannie économique du marché, de la tyrannie des normes « et de la judiciarisation des relations ». Les "repères anthropologiques qui définissent l’homme, les merveilleux repères de l’identité sexuelle" sont en danger.
Je lui demande de résumer ce qu’est l’Ecologie humaine.
- Ecouter ici :
- Tugdual Derville
M. Derville est persuadé que « la famille est l’écosystème de base qui est le creuset naturel de notre origine ». Il utilise en fait le vocabulaire et les concepts de l’écologie au service de sa conception plus que contestable de la famille. Qui est une forme sociale historiquement déterminée, que l’on ne retrouve pas dans toutes les sociétés, et n’est donc ni un écosystème, ni naturelle.
Le terme même, d’ailleurs, pirate une démarche scientifique initiée par le géographe américain Harlan Barrows et portée en France par la Société d’écologie humaine, qui étudie "les relations que les hommes entretiennent avec leur milieu de vie".
Ce qui ressort de « l’écologie humaine » selon ces Assies ? Une vision centrée sur la bio-éthique, qui évacue les rapports d’inégalités, accepte l’ordre économique néo-libéral, en appelle à la bonne volonté des uns et des autres pour résoudre les problèmes de ce monde où le capitalisme serait une fatalité, et invoque la naturalité pour justifier des conceptions sociales particulières.
Le "courant" compte quatre salariés, et a organisé ces Assises très bien équipées. Les finances ? « L’idée, me dit un salarié, est d’élargir le mécénat à de l’entreprise et du management ». Je ne vois pas très bien ce que ça veut dire, sinon que les entreprises vont être sollicitées. Un mouvement d’écologie financé par des entreprises, voilà qui ne va pas déranger l’ordre des choses. Une nouvelle variante, très politique, du greenwashing, surfant sur la vague montante de l’écologie.