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Europe

L’Italie refuse les fromages à base de lait en poudre

La Commission européenne veut imposer la standardisation des fromages : leur fabrication à base de lait en poudre ne pourrait être refusée. L’Italie - paysans et gouvernement - se rebiffe contre cette mesure. Une révolte exprimée lors de Cheese, la foire aux fromages créée par Slow Food, qui était cette année consacrée à la biodiversité et aux producteurs de lait en montagne.

- Bra (Italie), reportage

Cheese, la foire biennale aux fromages, en septembre, à Bra, a été l’occasion pour l’Italie de confirmer son refus d’utiliser le lait en poudre dans la fabrication de ses fromages. Fin mai, la Commission européenne avait en effet sommé par lettre le gouvernement, sous peine de sanctions, de renoncer à sa loi de 1974 qui interdit les produits laitiers fabriqués à base de lait concentré, déshydraté ou en poudre. Les commissaires exigeaient par ailleurs que l’Italie ouvre son marché aux produits étrangers fabriqués avec ces substituts, conformément à la réglementation européenne.

Giuseppe Alai, président du consortium du Parmegiano Reggiano, un parmesan fabriqué avec du lait de vaches nourries exclusivement d’herbe, s’indigne : « Le fromage pourrait donc être fabriqué à partir de lait en poudre venant de toute l’Europe, sans aucun lien avec le territoire ! » Giorgio Apostoli, président de l’organisation agricole Coldiretti, ajoute : « Bien sûr, il y aura toujours les produits labellisés d’origine contrôlée, mais ils sont plus chers, alors qu’actuellement nous garantissons aussi la qualité des produits courants. »

L’influence des multinationales

Une position défendue par les autorités italiennes. « Le lait en poudre qui vient de n’importe où annule la relation entre le producteur et le consommateur. Le gouvernement italien est déterminé et réaffirme son refus du lait en poudre pour la production de fromage. Nous proposerons aussi à nos collègues européens d’être nos alliés dans cette bataille pour obtenir un étiquetage clair sur les produits, parce que chaque consommateur doit savoir ce qu’il achète et avoir la possibilité de choisir et de préférer la qualité, la passion et le savoir-faire » ; a ainsi déclaré Andrea Olivero, vice-ministre de l’agriculture, lors de l’inauguration de Cheese.

« L’industrie laitière va mal, a alerté Carlo Petrini, fondateur de Slow Food et de Cheese. Comment peut-on payer le litre de lait 35 centimes et croire que notre système alimentaire est durable ? Nous avons besoin d’un changement de politique qui défende la production locale et dise clairement non à la production de fromage à partir de lait en poudre. Il faut aussi réduire la paperasserie, car il est absurde que les fermiers passent plus de temps à remplir des formulaires qu’à travailler dans leurs champs. »

Carlo Petrini, dirigeant et fondateur de Slow Food, lors de l’inauguration de Cheese 2015.

Piero Sardo, président de la Fondation Slow Food pour la biodiversité, pointe du doigt l’influence des multinationales comme Lactalis, le premier groupe laitier et fromager mondial, d’origine française, qui préfèrent travailler avec du lait en poudre, moins cher à transporter et à conserver. « Le lait en poudre, explique-t-il, est forcément pasteurisé et il a subi un traitement industriel violent qui lui retire ses qualités nutritives et gustatives. Il ne reste rien, que des matières grasses et des protéines ! » affirme-t-il.

À Bra, la pétition contre l’obligation européenne d’utiliser du lait en poudre et autres dérivés du lait dans la fabrication des fromages a recueilli 150.000 signatures, soit l’adhésion près de la moitié des visiteurs de Cheese.


LE PRÉCÉDENT DU CHOCOLAT

L’Italie avait déjà été condamnée en 2010 par la Cour européenne de justice pour avoir refusé d’appliquer une directive européenne autorisant jusqu’à 5 % de graisses végétales autres que le beurre de cacao dans la composition du chocolat. La Commission européenne avait jugé intolérable le fait que l’Italie étiquette « chocolat pur » les tablettes au beurre de cacao, et celles contenant des graisses végétales comme « succédanés de chocolat ». L’Italie a été obligée de se plier à l’exigence européenne.


TAFTA, « SENTINELLES », QUOTAS LAITIERS ET MORT DE L’ARTISANAT AGRICOLE AUSSI AU PROGRAMME

À Bra, 350 producteurs et éleveurs sont venus de 23 pays pour faire déguster leurs fromages à environ 270.000 visiteurs. Ceux-là ont pu, pendant quatre jours, goûter et acheter des produits laitiers et rencontrer les producteurs. Parmi ceux-là, les 54 « sentinelles » Slow Food qui, grâce à leur passion et leur engagement, résistent à la standardisation et à l’homogénéisation du goût. Ils fabriquent des produits de qualité tout en protégeant des territoires et des écosystèmes uniques. Ils réinstaurent des méthodes de fabrication traditionnelles et sauvegardent des races autochtones et des variétés végétales locales, malgré les contraintes de lois sur l’hygiène et la sécurité alimentaire qui leur sont plus difficiles à appliquer qu’aux industriels de l’agroalimentaire.

Les produits « sentinelles » (fromages, races animales, pains, céréales, miels et confitures) étaient présentés avec leur « étiquette narrative », un système d’étiquetage riche en informations sur les producteurs, les races animales, les techniques de production, le lieu d’origine et les conditions d’élevage des animaux.

Un débat sur le TTIP/Tafta, le traité de libre-échange transatlantique, a réuni des représentants de la société civile, de syndicats agricoles et des médias. Ils ont souligné qu’il est essentiel de se demander pour qui et pour quoi la Commission européenne veut ce traité, dans la mesure où ce n’est pas pour la protection de l’environnement ou le bien-être des peuples. Au-delà des modifications du contenu de nos assiettes, ce traité préfigure, selon les participants, une mutation profonde du système agricole, avec toutes ses conséquences environnementales, sociales et sociétales, soit une véritable menace de mort pour les petits producteurs.

Enfin, la conférence sur la fin des quotas laitiers en Europe a montré les effets pervers des variations permanentes du prix du lait et sa transformation en marchandise, soumise aux règles du commerce mondial et à la spéculation. Face à cet état de fait, les intervenants ont convenu de la nécessité du retour à une forme de régulation de la production laitière. Sinon, ni les petits éleveurs ni les territoires, notamment montagnards, aux écosystèmes fragiles, ne sortiront indemnes de l’industrialisation de la filière.

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