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Climat

L’armée canadienne s’inquiète des effets géostratégiques du changement climatique

Le document date de 2009. Il n’en est pas moins très intéressant. Selon l’Armée canadienne, « Les phénomènes météorologiques de plus en plus violents occasionnés par les changements climatiques un peu partout dans le monde exigeront de fréquentes interventions militaires allant des missions de secours aux victimes de catastrophes naturelles à des opérations de stabilisation à grande échelle ».


Les Forces canadiennes se préparent à intervenir aux quatre coins du globe en raison du réchauffement de la planète, qui provoquera une course aux ressources naturelles, des guerres régionales violentes et des catastrophes en cascade, révèle un document inédit.

La lutte contre les changements climatiques n’est pas une priorité du gouvernement Harper, qui a souvent été accusé de nuire aux négociations internationales sur le sujet. Or, l’armée canadienne prend le phénomène très au sérieux. Elle s’attend au pire.

Ces révélations sont contenues dans un document de 176 pages, obtenu par Le Devoir, qui a été approuvé en janvier 2009 par l’état-major du quartier général de la Défense, à Ottawa. Intitulé L’environnement de la sécurité future 2008-2030, le rapport est un résumé des menaces à venir et des possibles interventions militaires dans les prochaines années.

Dans son avant-propos, le chef du développement des Forces, le major général S.A. Beare, écrit qu’il s’agit d’un « document de référence » qui vise à « fournir à l’institution de la défense une analyse faisant autorité sur les tendances géopolitiques, socio-économiques, environnementales, technologiques et militaires actuelles et émergentes qui ont une incidence sur l’environnement de sécurité ». Le rapport « s’appuie sur une recherche approfondie » qui permettra « de travailler à la planification et au développement des forces de l’avenir », peut-on lire.

Parmi les nombreux facteurs de déstabilisation de la planète des 20 prochaines années, les changements climatiques occupent un chapitre complet du document. « Les phénomènes météorologiques de plus en plus violents occasionnés par les changements climatiques un peu partout dans le monde exigeront de fréquentes interventions militaires allant des missions de secours aux victimes de catastrophes naturelles à des opérations de stabilisation à grande échelle », écrivent les spécialistes, qui ont aussi eu recours à l’aide de plusieurs universitaires pour valider leurs conclusions.

Les pays fragiles en difficultés

Dans un graphique révélateur du document, on constate que les points chauds actuels de la planète, mais aussi ceux à venir, se regroupent de part et d’autre de l’équateur. « À mesure que les impacts négatifs de ces phénomènes affecteront les pays en développement, déjà aux prises avec des difficultés économiques et des troubles sociaux, les tensions et les facteurs d’instabilité déjà existants s’accentueront », affirme le rapport.

Les Forces canadiennes estiment que la bagarre pour le « contrôle des ressources », comme l’eau et la nourriture, se fera essentiellement par la voie diplomatique entre États. Sauf dans certains cas : « Il est fort possible que certains d’entre eux agissent de manière agressive et irrationnelle pour défendre leurs intérêts égoïstes », peut-on lire.

Des conflits pour le contrôle des ressources à l’intérieur des États fragiles, notamment avec des guérillas, sont à prévoir. « Il sera probablement nécessaire de mener des missions humanitaires pour secourir les populations privées de tout à la suite d’une catastrophe, et éventuellement des missions de stabilisation ou de reconstruction si des troubles civils et l’instabilité entraînent des conflits entre des peuples », écrivent les stratèges militaires.

D’ici 2030, les problèmes environnementaux, ainsi que la pénurie d’eau et de nourriture, risquent de déstabiliser des régions entières, estiment encore ceux-ci. « Il se pourrait que les pressions causées par les migrations et les afflux de réfugiés ou de personnes déplacées entraînent une recrudescence de tensions ethniques, religieuses ou territoriales, de l’instabilité et peut-être l’effondrement d’États. Ces effets se manifesteront davantage dans les régions côtières (où habitent 75 % de la population mondiale), surtout parmi les groupes de personnes, les secteurs de l’économie et les localités qui sont déjà sensibles économiquement ou écologiquement aux variations climatiques. »

Des effets catastrophiques

C’est que les effets des changements climatiques seront sévères, affirment les analystes militaires. « Ceux-ci auront des conséquences catastrophiques, notamment la fonte des calottes polaires, la hausse du niveau des mers, une désertification accrue et une diminution du rendement des cultures dans certaines régions (en particulier l’Afrique), la transformation des habitats, l’extinction de nombreuses espèces et une propagation accrue des maladies tropicales dans les zones tempérées. La montée du niveau des mers et la fonte des glaciers viendront sans doute augmenter la superficie des terres perdues, tandis que les infiltrations salines et la contamination réduiront l’accès aux ressources en eau potable. »

Par exemple, on prévoit que la productivité agricole en Afrique « dégringolera ». « La perte de terres arables due à la désertification entraînera une diminution de 50 % des récoltes. » De plus, « les glaciers de l’Himalaya disparaîtront sans doute d’ici 2035, ce qui privera d’une source majeure d’eau potable 750 millions d’habitants de la région Himalaya-Hindi-Kush et en Chine », peut-on lire. En Europe, « on pourrait assister au contraire à un refroidissement ».

Des émeutes de la faim, comme au printemps 2008 en Égypte, au Cameroun, en Éthiopie et en Côte d’Ivoire, pourraient se multiplier. « Ces émeutes de la faim [...] donnent un avant-goût des effets déstabilisateurs de l’insuffisance des ressources alimentaires et des crises humanitaires à venir, qui obligeront les pays occidentaux à intervenir pour empêcher une dégradation de la situation. » Les analystes militaires concluent que les futures opérations pourraient donner lieu à des « combats intensifs ».

Des opérations qui deviendront d’ailleurs de plus en plus difficiles à réaliser à mesure que le pétrole se fera rare. « La diminution prévue des ressources en carburants fossiles et la montée simultanée des prix du pétrole obligeront le ministère de la Défense à trouver d’autres sources d’énergie pour les équipements militaires. La hausse des prix du carburant rendra prohibitifs les coûts d’entraînement, sans compter les coûts des opérations au pays même ou à l’étranger, ce qui grèvera un budget déjà serré. Il faudra en priorité effectuer des travaux de recherche et développement pour trouver des formes de carburants alternatifs. »


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