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Culture et idées

L’exploitation de la forêt est entrée dans la démesure

Dans « Le Temps des forêts » — film dont Reporterre est partenaire —, François-Xavier Drouet décrit le double visage de l’exploitation forestière française, du spectacle accablant de la gestion industrielle grâce à des machines démesurées, à la sylviculture « qui ne soit pas hors sol » d’hommes et de femmes attachés à remettre un peu de « raison » sous le couvert forestier.

On dénonce à longueur de colonnes, ici même, l’agriculture dite « moderne », l’agroalimentaire et leurs dérives folles. On dénonce peu en revanche la forêt et son exploitation. La presse n’en parle pas. Et les télés, y compris les mieux disposées, ignorent le sujet. C’est pourtant un thème tout aussi passionnant, qui a beaucoup à voir avec la globalisation des échanges. Grâce au travail de François-Xavier Drouet, le réalisateur du Temps des forêts, une partie du voile est levé avec, au bout du compte, un joli film, captivant et bien troussé, engagé, avec un propos très net sans être caricatural. Les images parlent d’elles-mêmes, et le film est une réussite (cela dit indépendamment du fait que Reporterre en soit partenaire).

Le documentaire nous promène du Morvan au massif des Landes de Gascogne, dans la forêt des Vosges ou l’est de la France, dans toutes ces régions où l’arbre est roi. C’est son exploitation qui est le propos du film. En parlent librement ceux qui en vivent : les propriétaires, les bûcherons, les conducteurs d’engins forestiers, les patrons de scieries, les fonctionnaires de l’ONF chargés du vaste patrimoine forestier de l’État… Et les défenseurs d’une exploitation « raisonnable » de la forêt.

Car « raisonnable », l’exploitation actuelle de la forêt ne l’est plus. Les travers qui accablent l’agriculture se retrouvent dans le monde forestier comme décalqués. Ce sont les deux faces d’un phénomène unique. De la même façon que l’on désherbe les champs avec force pesticides, on maltraite le couvert forestier à coup de glyphosate. De la même façon que les variétés de céréales cultivées se réduisent comme peau de chagrin, les essences d’arbres cultivées elles aussi se comptent sur les doigts de la main. Ici, le pin triomphe. Là, ce sera le douglas. Tous alignés, tirés au cordeau, à la façon d’un champ de maïs. Malheur au chêne ou au bouleau que le hasard a fait germer dans une plantation industrielle de douglas. Il est condamné d’avance. Des images choquantes montrent des chênes splendides, en pleine force de l’âge, couchés le long des sentiers forestiers et promis à finir dans un poêle sous forme de plaquette forestière. C’est un beau gâchis que ne soupçonnent sans doute pas les adeptes de ce type de plaquettes de bois.

C’est un défilé de machines monstrueuses, démesurées

D’autres images, tout aussi spectaculaires, s’arrêtent sur l’exploitation d’une parcelle forestière. C’est un défilé de machines monstrueuses, démesurées. Certaines coûtent un demi-million d’euros. Les premières à intervenir dans la forêt sont les abatteuses. En quelques secondes, elles ont abattu, ébranché, tronçonné et déposé sur le sol un arbre adulte. Elles font en une journée le travail d’une centaine de bûcherons. D’autres engins, à la puissance phénoménale, se chargeront de broyer et de transformer tout aussi rapidement les souches en copeaux de bois. Viennent derrière les camions chargés de transporter les grumes en bordure de route. Ce sont des monstres d’une trentaine de tonnes. Visiblement, les sols gorgés d’eau des Vosges, tels que nous les montre François-Xavier Drouet, auront beaucoup de mal à se remettre de leur passage. Ensuite, pour les grumes, ce sera le chemin de la scierie. Celle sur laquelle s’attarde le réalisateur fait en une journée autant de travail qu’une petite scierie en une année.

À ces images extravagantes, le réalisateur oppose d’autres images, plus rafraichissantes (celles d’un bûcheron travaillant à l’ancienne, d’une propriétaire adepte d’une régénération naturelle des sols) et des propos bienveillants tenus par tous ceux qui défendent une sylviculture qui ne serait pas hors sol. Deux mondes s’opposent. La caméra de François-Xavier Drouet les a saisis au plus près.


  • Le Temps des forêts, documentaire de François-Xavier Drouet, 2018, 1 h 43. Actuellement au cinéma.


« Le temps des forêts », liste des villes et cinémas diffusant le film.

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