La France peine à tourner la page du diesel

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Plombé par le Dieselgate et les révélations de fraude des constructeurs automobiles, le diesel n’a plus la cote. Pourtant, alors que des voisins européens prennent des mesures pour tourner la page de cette technologie polluante, la France manque d’audace.
Hier star incontournable des salons de l’auto, la voiture diesel n’est désormais plus en odeur de sainteté. Le mois dernier, moins de 40 % des voitures neuves étaient des diesels, soit moitié moins qu’il y a dix ans. Flairant l’orage, les constructeurs ont abandonné la recherche sur ce combustible pour se concentrer sur l’essence et les technologies dites « propres ». « Le diesel n’a plus la cote, c’est certain », note Charlotte Lepitre, qui suit cette question à France Nature Environnement. Pourtant la France, championne toute catégorie des véhicules diesel — qui représentent les deux tiers de notre parc automobile — a mis du temps à lever le pied. Le déclic, survenu il y a trois ans, s’appelle le Dieselgate.
Le 18 septembre 2015, Volkswagen admettait avoir truqué les moteurs de 11 millions de véhicules, afin de minimiser les émissions d’oxyde d’azote (NOx) lors des tests d’homologation. Une semaine après, Reporterre révélait que Renault dépassait également très largement la limite des seuils de pollution. Une information confirmée et étayée quelques mois plus tard par la commission d’experts indépendants établie par la ministre de l’Environnement Ségolène Royal. Plusieurs véhicules Renault et PSA étaient alors visés.
Il s’agit donc potentiellement de « tromperie aggravée » de la part des constructeurs automobiles, comme le stipuleront les différentes informations judiciaires lancées dans la foulée de ces révélations. Sauf que cette fraude a un effet sur la santé de millions d’Européens, et particulièrement les plus jeunes. Les NOx — qui regroupent le monoxyde d’azote (NO) et le dioxyde d’azote (NO2) — sont en effet à l’origine de particules fines nocives pour notre appareil respiratoire. « On estime qu’en France, 48.000 décès prématurés par an sont dus à la pollution de l’air par les particules fines, rappelle Charlotte Lepitre. Ce chiffre grimpe à 52.000 décès par an, tous polluants confondus. »
« Les pouvoirs publics français sont à la traîne pour accompagner ce mouvement vers la fin des véhicules polluants »
Mais trois ans après ce scandale sanitaire, les leçons ne semblent pas avoir été tirées. En France, les poursuites judiciaires contre les constructeurs manquent visiblement de carburant pour avancer. La « commission Royal » ne s’est pas réunie depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Au niveau européen, si une réforme renforçant les contrôles antipollution a bien été adoptée fin 2017, elle a laissé Loreleï Limousin, spécialiste des transports au Réseau Action Climat, sur sa faim : « Cela va dans le bon sens, mais la réforme est incomplète car il n’existe toujours pas d’autorité indépendante supranationale pour superviser l’homologation et la surveillance du marché automobile. »
Surtout, l’immense majorité des véhicules incriminés par le Dieselgate restent en circulation. D’après l’ONG Transport et Environment, plus de 43 millions de voitures et camionnettes « très sales » se la roulent douce, émettant plus de trois fois plus de NOx que les seuils permis par les normes règlementaires. Dont 8,7 millions en France, qui se place — cocorico ! — en tête du classement.
En cause : il n’y a pas eu, ou très peu, de campagnes de rappel et de mise aux normes systématiques des véhicules polluants. « Moins de 5 % ont été mis à jour, alors que le gouvernement s’était engagé à 99 % de rappels, gronde Charlotte Lepitre. L’État comme les constructeurs n’ont pas pris leurs responsabilités. » Impossible serait-il français ? Mardi 2 octobre, les Allemands sont parvenus à un accord pour organiser le rappel et la mise à niveau des autos diesel, aux frais des constructeurs automobiles.
« Seuls les citoyens semblent avoir vraiment pris conscience de l’impact environnemental et sanitaire du diesel, conclut Charlotte Lepitre. Mais là encore, les pouvoirs publics français sont à la traîne pour accompagner ce mouvement vers la fin des véhicules polluants. » Sans oublier que les citoyens-consommateurs que nous sommes, hors de toute logique écologique et économique, se sont pris de passion pour les véhicules plus lourds et donc plus émetteurs : la croissance du marché des SUV (Sport utility vehicle) a bondi de 4 % en 2001 à 26 % en 2016.

« Un mouvement de fond a été enclenché au niveau des villes, nuance Loreleï Limousin. L’effet peut être très fort, car les villes sont prescriptrices en matière de politiques publiques. » En 2003, la municipalité de Tokyo, au Japon, s’est lancée dans une chasse aux véhicules diesel polluants. Cette politique volontariste montre aujourd’hui des résultats impressionnants : la concentration de particules fines a diminué de 55 % entre 2001 et 2011. Et la vente de voitures diesel représente moins de 1 % du marché nippon. Fortes de ces résultats, des municipalités européennes en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni mettent en place des restrictions de circulation pour les vieux diesels. La maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, espère elle aussi bannir les véhicules diesel de la capitale d’ici 2020. Et mercredi 3 octobre, le Danemark est passé à la vitesse supérieure, annonçant qu’il interdirait les ventes de voitures à moteur thermique d’ici à 2030.
« Le secteur très polluant du transport routier bénéficie de nombreux cadeaux fiscaux »
« Pour retrouver un air respirable dans une dizaine d’années, il faut mettre le paquet dès à présent, rappelle Loreleï Limousin. On peut commencer par créer dans les villes et régions polluées des zones à faible émission, et accompagner ces restrictions par un soutien financier important de l’État aux transports en commun et au vélo. »
Surtout, enchérit Charlotte Lepitre, « il faut arrêter immédiatement les avantages fiscaux aux véhicules diesel ». Dès 2016, la commission Royal recommandait une hausse progressive de la fiscalité du diesel pour l’aligner sur celle de l’essence. Cette mesure, adoptée dans le budget 2018 et proposée dans le projet de budget 2019, va dans le bon sens, mais elle est amoindrie par une série de dérogations accordées aux transporteurs routiers, dont les camions dépendent quasiment à 100 % du diesel : « Ce secteur très polluant bénéficie de nombreux cadeaux fiscaux, dont certains ont été accordés en contrepartie de l’écotaxe… qui n’a jamais été mise en œuvre, dénonce France Nature Environnement dans un communiqué. Environ 1,6 milliard d’euros d’exonération pourraient ainsi leur être accordés sur la fiscalité du gazole en 2019. » À Bruxelles, l’eurodéputée Karima Delli tente depuis deux mois d’avancer sur une taxe poids lourds proportionnelle aux kilomètres parcourus.
« Dans la lutte contre la pollution de l’air, on est en retard par rapport à nombre de nos voisins européens, insiste Charlotte Lepitre, rappelant que la France est poursuivie par la Commission européenne pour dépassement des normes de pollutions sur le dioxyde d’azote. Le Dieselgate a ouvert une brèche, il faut maintenant aller au bout de cette démarche en mettant en place des politiques de transport cohérentes. » Emmanuel Macron, qui s’est montré cette semaine très à l’écoute des constructeurs automobiles « inquiets » de la transition énergétique à venir, saura-t-il ouvrir la voie à la fin des véhicules polluants ? Les ONG attendent beaucoup du projet de loi mobilité, attendu en Conseil des ministres cet automne.