La fable de Noël des taxis volants parisiens

Un taxi volant de Volocopter. - Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Matti Blume
Un taxi volant de Volocopter. - Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Matti Blume
Durée de lecture : 6 minutes
Transports Culture et idées NoëlDes taxis volants pour stopper les embouteillages à Paris ? Et ce, avec zéro empreinte carbone ? L’écrivain Jean-Manuel Traimond signe ici un conte de Noël rafraîchissant… et pas si imaginaire que ça.
Jean-Manuel Traimond est écrivain. Le texte qui suit est un conte de Noël. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Dans son infinie bonté, le Père Noël a voulu donner un merveilleux cadeau à Paris, si éprouvée ces derniers temps, entre la construction accomplie des Tours Duo et celle prévue de la Tour Triangle, alors que la ville ne manque pourtant pas de phallus métalliques. Mais que choisir ? Devant sa perplexité, son lutin le plus futé, titi parigot à ses heures perdues, lui rappela que Paris a toujours souffert d’embouteillages. Embouteillages ? Rennes volants ?
Eurêka ! Le Père Noël décida d’offrir des taxis volants aux Parisiens. Il envoya le lutin futé présenter cette brillante idée à la RATP, à Aéroports de Paris, à la région Île-de-France, etc. Concert de louanges. Que d’argent à gagner ! Que de prestige pour les dirigeants des services publics ! Quelle image moderne pour la France ! Quel bon thème de campagne pour la présidente du Conseil régional ! Ce « nouveau mode de transport, totalement innovant », insistait-elle, s’appellerait le Volocity et serait développé par le constructeur allemand Volocopter.
Un quotidien très lu dans les beaux quartiers annonça quelque temps plus tard qu’une trentaine d’industriels et d’institutions allaient lancer des tests en conditions réelles sur l’aéroport de Pontoise-Cormeilles-en-Vexin, à 35 kilomètres de Paris. Bientôt, jura le PDG du Groupe Aéroports de Paris, cet aéroport deviendrait le premier « vertiport » européen. Entendez « aéroport à décollage vertical », puisque dévolu aux véhicules à décollage et atterrissage verticaux.
Mais il y a lutin et lutin. Un lutin à la tête dure et au cœur vert (il avait exigé que le fourrage des rennes soit bio) enleva son bonnet, s’approcha de son patron le Père Noël, et demanda respectueusement la parole. Ce qui lui fut bien sûr accordé. « Patron, commença-t-il, je comprends bien que si, au lieu des deux dimensions des rues, les Parisiens prennent les trois dimensions de l’air, il n’y aura plus d’embouteillages. Après tout, nous, nous n’en avons jamais vus dans le ciel.
– Exact, approuva, intrigué, le Père Noël.
– Mais, patron, si déjà les contrôleurs aériens ont du mal à gérer quelques centaines de vols par jour autour de Paris, comment feront-ils pour gérer 3 000, 5 000, 10 000 taxis volants ? En pleine période de réduction des services publics...
– Les taxis volants ne vont pas voler dans tous les sens comme des mouches, voyons ! Il y aura des corridors...
– Mais si les corridors eux-mêmes sont embouteillés, comme le sont si souvent les voies de bus dans Paris ?
– Simplissime ! répliqua le Père Noël. Il y a 150 églises dans Paris : une tour de contrôle par clocher, et volez jeunesse ! Allons de l’avant !
– Mais patron, reprit le lutin Vert, obstiné, et si un chauffeur de tapis volant, pardon de taxi volant, après un déjeuner arrosé, fonce à 250 km/h et percute un autre taxi volant ?
– Enfantin ! sourit dans sa barbe le Père Noël. Les accidents de la route sont dus au fait que, à nouveau, les véhicules n’ont que deux dimensions pour s’éviter. Avec trois dimensions, on ne se rentrera plus dedans, on se glissera dessus, ou dessous... Simplissime. »
Ce bon Père Noël était bien confiant, comme toujours
Simplissime, hmm... Ce bon Père Noël était bien confiant, comme toujours. Il faut dire qu’il devait une bonne partie de sa popularité à Tota-Tola, une marque impérialiste dont, à son insu et incognito, il restait l’ambassadeur. Mais le lutin Vert, accoutumé à l’adversité, ne se laissa pas abattre. Il reprit :
« Mais patron, les accidents n’ont pas toujours lieu entre deux véhicules : et si un fou s’avisait d’emprunter un taxi volant pour aller percuter la Tour Triangle, deux fous les Tours Duo, et des militants djihadistes le Louvre pour punir la Vénus de Milo de son absence de voile ?
– Qu’à cela ne tienne, il suffira de poser des filets de sécurité autour de chaque monument, de chaque édifice, de chaque immeuble ! répondit, fier de lui, le bon Père Noël.
– Mais patron, ces filets de sécurité feraient Paris bien laid, sans compter les horribles publicités qui finiraient par recouvrir tous ces taxis vibrionnant autour de Notre-Dame, des Invalides... Les Parisiens vont-ils aimer ça ?
– Allons, petit, allons, un peu de sens des réalités, s’agaça le Père Noël. Est-ce que quiconque a jamais vu le Père Noël ? Non, n’est-ce pas ? Alors, on ne verra pas non plus les taxis volants.
« Et le lithium des batteries ? »
Le lutin Vert commençait à se demander si le Père Noël n’avait pas perdu toute sa raison. Mais des vertes et des pas mûres, il en entendait tous les jours. Alors il poursuivit :
– Patron, ces taxis volants coûteront horriblement cher : on se plaindra que, comme toujours, les riches se permettent tout et ne laissent, aux pauvres, que leurs yeux pour pleurer !
– Tu rêves, mon petit, tu rêves : il faudra qu’ils soient sinon moins chers, du moins guère plus chers que les Uber et autres Lyft pour rester rentables. Il en faudra donc beaucoup. Allez, 150 ou 300 taxis volants en 2030, 3 000 en 2034, 40 000 en 2044 peut-être...
– Et que faites-vous de leurs gaz d’échappement patron ?
– Tu ne sais donc pas, gronda le Père Noël, que les taxis volants auront zéro empreinte carbone, puisqu’ils seront é-lec-tri-ques ? Pas de gaz d’échappement, donc pas d’empreinte carbone. La présidente de la région Île-de-France, cette femme plus écologiste que les écolos, l’a rappelé récemment !
– Mais, mais... mais patron, tenta une dernière fois le lutin Vert, et le lithium des batteries ?
– Ah, là, petit, je dois t’avouer que je suis fier de moi. Ne le dis à personne avant Noël, mais le lithium... je le ferai pousser sous les sapins, avec une subvention de la région Île-de-France ! »