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Politique

La réforme des retraites, un non-sens écologique

La réforme des retraites sera déoilée le 10 janvier 2023. Ici, une manifestation contre la réforme des retraites en janvier 2020, à Paris.

La réforme des retraites souhaitée par Emmanuel Macron sera présentée le 10 janvier. Elle risque d’avoir des effets négatifs sur l’environnement et de précariser davantage les travailleurs proches de la retraite.

Ça fume dans les cuisines législatives de l’Élysée. L’exécutif a presque fini de concocter son projet de report de l’âge de la retraite. Le menu est connu : la fin de la retraite à 62 ans. Le détail de la recette sera dévoilé le mardi 10 janvier. Ce même jour, Reporterre organise avec le journal Fakir une soirée-événement à Paris pour lancer la contre-attaque : car la retraite, c’est aussi « la réalité du progrès humain, qui ouvre le temps libre, consacré aux liens, à la gratuité, au don, face à l’impératif de production et de croissance à tout prix ». Autrement dit, une solution face à la crise écologique.

Une solution que le gouvernement entend donc affaiblir. Emmanuel Macron doit encore trancher entre un départ à 64 ou 65 ans. Cette réforme devrait s’appliquer « dès la fin de l’été 2023 », a indiqué le président lors de ses vœux, et sera progressive : travailleuses et travailleurs verront le cap de la retraite reculer de quatre mois par an pendant dix ans. Le gouvernement souhaite également supprimer les quarante-deux régimes spéciaux : RATP, Banque de France, industries électriques et gazières (IEG) seront entre autres impactés. Ces nouvelles règles ne devraient s’appliquer qu’aux futurs embauchés.

L’exécutif affirme que cette réforme est nécessaire pour assurer la soutenabilité financière du système des retraites, éviter la dégradation du niveau de vie des retraités et dégager des marges de manœuvre pour ses politiques publiques dédiées à l’enseignement, la santé et la transition écologique. « L’argument de la soutenabilité est faible : les déficits sur les projections du Conseil d’orientation des retraites sont relativement faibles, selon Henri Sterdyniak, membre des Économistes atterrés. Ce n’est pas une question d’augmenter le niveau des retraites, et le gouvernement n’a pas dévoilé de grand plan pour financer l’éducation et la santé, qui ne peuvent de toute façon pas l’être grâce aux cotisations retraite. »

Selon l’économiste, cette réforme des retraites additionnée à celles du chômage et du RSA témoigne plutôt de la motivation du gouvernement de « s’attaquer au modèle social français. Il manifeste clairement que c’est lui qui décide et que les partenaires sociaux n’ont plus aucun poids. C’est un signe adressé aux milieux dirigeants, d’affaires et à l’Europe, pour montrer que la France est prête à baisser ses dépenses publiques ».

L’impact social du report de l’âge de la retraite serait conséquent, estime Christiane Marty, économiste, membre d’Attac et de la Fondation Copernic : « Un an avant le départ en retraite, beaucoup de gens ne sont déjà plus en emploi. Ils et elles sont au chômage, en maladie, inactivité ou invalidité. Reculer l’âge de la retraite signifiera prolonger cette période de précarité. » Henri Sterdyniak abonde : « Une partie des ouvriers et des employés auront de plus grandes difficultés à se maintenir en emploi. Ils risquent d’accepter des petits boulots mal rémunérés, déjà occupés par les jeunes immigrés. Il faudra se répartir les métiers précaires. »

Une réforme à rebours du dérèglement climatique

Autre effet pervers, cette réforme va inciter les Françaises et Français à travailler plus, donc produire et consommer davantage. Une vision basée sur le mythe d’une croissance infinie, à rebours de la crise climatique, note Christiane Marty : « Ce n’est pas en travaillant plus qu’on résoudra nos problèmes. Au contraire. Il faut s’interroger sur ce que l’on doit produire, réorienter radicalement l’économie pour satisfaire en priorité les besoins sociaux, et engager vraiment la transition écologique : éliminer les produits néfastes et se concentrer sur une production utile. Il y a là de vrais besoins, et des emplois pour tout le monde. »

Pour l’économiste, cette réflexion doit s’accompagner d’une meilleure répartition du travail : « Il faut faire en sorte de permettre à tout le monde d’avoir un emploi, en particulier pour se constituer une pension. Le partage du temps de travail, c’est une réduction globale du temps de travail qui rapproche les préoccupations écologiques et sociales. C’est travailler moins pour pouvoir travailler mieux et tous. »

Les fonds de pension n’investissent pas ou peu dans des entreprises vertueuses. Ici, un rassemblement de professeurs en janvier 2020 à Paris. © NnoMan Cadoret/Reporterre

Second écueil écologique : cette réforme incite les actifs à se tourner vers les systèmes privés de protection sociale dont les actifs sont rarement vertueux. Ces fonds de pension et assurances privées proposent aux travailleurs d’épargner pour leur propre retraite. Leurs cotisations font alors l’objet de placements financiers ou immobiliers. Selon une enquête menée en 2018, plus de 60 % des 100 plus grands fonds de pension publics au monde ne prennent pas ou quasiment pas en compte le climat. En tout, ils auraient investi moins de 1 % de leurs actifs cumulés dans la transition bas carbone, et seuls 10 % d’entre eux ont établi des politiques qui excluent le charbon de leur portefeuille d’investissement.

Pour le moment, ces plans d’épargne retraite sont minoritaires. Mais leur proportion augmente rapidement depuis le passage de la loi Pacte en 2019 qui favorise leurs placements financiers via des allègements fiscaux. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), les retraites supplémentaires par capitalisation représentaient 5 % du total des cotisations en 2020, soit 16,4 milliards, et versaient 2 % des prestations, soit 7 milliards. Cela représente une hausse de près de 20 % par rapport à 2019.

Ces fonds pourraient-ils favoriser davantage les investissements « verts ? » Henri Sterdyniak en doute, faute de rentabilité assurée. « Dans la mesure où il n’y a pas de planification écologique, les gestionnaires de fonds ne croient pas à un profond bouleversement du système productif. L’aveuglement des fonds de pension correspond à l’aveuglement public. Ils ne peuvent pas investir dans des entreprises vertueuses qui malheureusement n’existent pas. Ils sont orientés vers l’opinion des marchés, faute d’arbitrage écologique sérieux. »

Partenaires sociaux, associations et hommes et femmes politiques de gauche ont déjà annoncé vouloir renvoyer en cuisine la potion amère du gouvernement. Reporterre et Fakir leur ont donné rendez-vous mardi 10 janvier à 19 h 30 à Paris pour mitonner un avenir juste et écologique.

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