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La résistance internationale au gaz de schiste s’organise

Ils venaient de quinze pays d’Europe et du Maghreb : Une réunion de collectifs engagés dans la lutte contre les hydrocarbures non-conventionnels vient d’avoir lieu dans le Gard. La résistance aux gaz de schiste s’internationalise et s’organise.


Ils étaient une soixantaine environ, représentant entre 15 et 18 pays – selon la définition plus ou moins régionaliste qu’on en donne : comment classe-t-on l’Ecosse ou la Catalogne ? – et près de huit langues différentes. Les 8 et 9 mars, à Saint-Christol-lez-Alès dans le Gard, les associations et collectifs engagés en Pologne, au Maroc, en Roumanie ou en Lituanie contre les gaz et pétrole de schiste et de houille – regroupés sous le terme d’hydrocarbures non-conventionnels – a posé les bases du mouvement euro-méditerranéen contre l’extractivisme.

La dynamique mûrit depuis plusieurs mois. En novembre 2012, une première rencontre à l’appel des Amis de la Terre a réuni plusieurs associations à Bruxelles sur la question des gaz de schiste. Puis l’atelier sur l’extractivisme organisé au Forum Social Mondial de Tunis en mars 2013 a prolongé la prise de contact.

Deux mois plus tard, la résolution de Korbach adoptée en Allemagne a défini le socle commun sur lequel se construit le mouvement.

Dans sa première déclaration officielle, publiée mercredi 12 mars, le mouvement réaffirme cette filiation : « La déclaration de Korbach porte l’essentiel des revendications qui nous unissent ».

- La réunion à St Christol les Alès -

La constitution en réseau permet le partage d’expérience et établit un état des lieux sur les activités liées à ces hydrocarbures non-conventionnels. Les situations ne sont pas les mêmes partout : alors qu’en France, seulement 15 % du territoire est pour l’instant touché par les 58 premiers permis – 118 demandes sont en cours d’instruction –, la Grande-Bretagne a ouvert près des deux tiers de son territoire aux explorations, tandis que la Tunisie sera bientôt recouverte par les 742 puits autorisés à Shell il y a quelques mois.

Si tous les pays bénéficient d’un code minier et de lois environnementales, leur application reste inégale selon les pays. Tous n’imposent pas une étude d’impact environnementale préalable.

Mais cette première base de données fait surtout rejaillir nombre de points communs. Et d’abord le manque de transparence des informations : il reste par exemple difficile d’identifier précisément où et dans quelles proportions est utilisée la technique de la fracturation hydraulique.

« La stratégie des industries extractives est la même partout, ils utilisent le même discours du remède « anti-crise » partout et ne font même pas l’effort d’adapter leurs arguments aux contextes nationaux », constate Estelle Tardy du collectif Causse-Méjean, une des organisatrices de cette rencontre.

Les échanges ont permis de décrypter les leviers de l’argumentaire pro-gaz de schistes, commun à tous les pays qui y sont exposés : d’abord, on gonfle le potentiel des ressources. Comme en Pologne, où les 5 500 milliards de m3 de réserves en gaz annoncés initialement ont depuis été divisé par au moins dix. « L’année dernière, Exxon a foré deux puits dans lesquels il n’a trouvé aucun gaz de schiste », atteste Marek Kryda, du Civil Affairs Institute (INSPRO).

Dans le même temps, on minimise le facteur risque, tandis qu’on accompagne le processus d’un discours construit sur le même triptyque : emploi – balance commerciale – indépendance énergétique, ou comment « le chantage à la croissance fait la baisse de la facture énergétique ».

Le mythe de l’intérêt commun est aussi servi à satiété : « Partout est sous-entendue une augmentation des recettes de l’Etat. Mais nulle part elle n’advient, bien au contraire », dit Julien Renaud du collectif Ile-de-France.

Autre dénominateur commun, la résistance, dont chacun réalise qu’elle existe ailleurs. « La résistance est très forte, partout. Nous, Français, on est vus comme les champions grâce à la loi anti-fracturation du 13 juillet 2011, mais en Roumanie, la fronde populaire est bien plus importante ! » raconte Estelle Tardy.

Les collectifs roumains fonctionnent sur le mode viral : très présents dans les universités, ils font faire des enquêtes aux étudiants, envoient des courriers par centaines à leurs députés, etc.

En Grande-Bretagne, « le combat est dur face à la puissance des lobbys. Peu de gens ont encore vraiment conscience des enjeux, mais l’esprit du pays commence à changer », estime Kathryn McWhirter, marquée par les manifestations dans le Sussex qui ont réuni près de trois mille personnes l’été dernier.

Cette mobilisation qui s’étend est un élément structurant : « Se rencontrer permet de sortir des carcans qui cherchent à nous isoler. Dans chaque pays, les médias mainstream imposent leur réalité qui consiste à faire croire que cette opposition est un cas unique, qu’on est les seuls à refuser encore le progrès, qu’on prend du retard sur la marche du monde… Notre rencontre déconstruit cette manipulation » poursuit Julien Renaud.

Faire front ensemble pour renverser la tendance, tel est l’autre enjeu de ce mouvement qui se fédère. A l’agenda des prochaines semaines, les élections européennes et les traités de libre-échange en cours de négociation, comme TAFTA ou CETA avec le Canada, qui risquent d’ « annihiler le pouvoir de décision des Etats au profit de celui des multinationales » selon la première déclaration commune.

Concrètement, les moyens d’action restent encore limités. Contrepartie d’une organisation qui se structure petit à petit, et au sein de laquelle des décisions restent à trancher. Comme celui du nom : pour l’heure, le mouvement s’intitule « Réseau euro-maghrébin pour l’interdiction des gaz et pétrole non-conventionnels et contre l’extractivisme ».

Révolutions tuisienne et ukrainienne

Si le besoin d’un acronyme se fait sentir, cette première dénomination reste un choix par défaut : « Il faut ménager les différentes susceptibilités. Beaucoup de pays sont très orientés sur le « no fracking », mais être contre la fracturation hydraulique ne suffit pas, il faut y ajouter l’idée d’hydrocarbures non-conventionnels. Je suis plus favorable au concept d’énergie extrême, qui permet d’élargir notre lutte à celle du nucléaire », justifie Estelle Tardy.

Mais l’essentiel est ailleurs, du côté par exemple de cet échange frappant entre les représentants ukrainiens et tunisiens où il est question du rôle des révolutions. Si le premier se veut dans l’optimisme de la récente victoire, le second souligne l’instrumentalisation qui a été faite du contexte politique tunisien par les grands groupes industriels.

Des réalités plurielles sur laquelle doit ainsi se construire l’opposition internationale aux hydrocarbures non-conventionnels. Après les grands projets inutiles et plus modestement le climat, la mobilisation contre les gaz de schiste donnent ainsi à voir un nouvel exemple de convergence des luttes à l’échelle européenne.

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