Reportage — Notre-Dame-des-Landes
La rumeur d’une intervention policière à Notre-Dame-des-Landes n’alarme pas les opposants

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Notre-Dame-des-LandesLa rumeur d’une tentative prochaine de la police sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes n’alarme pas les opposants à l’aéroport. Ils sont prêts à toute éventualité. L’assemblée générale du mouvement, mardi 3 janvier, a plutôt ouvert les perspectives sur l’année 2017.
- Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage
Le brouillard s’est couché sur la route, la ouate humide à peine trouée par les phares des voitures, les frontales des piétons, les torches tenues à la main. Dans le hangar de la Vache-Rit grand ouvert à la nuit béante, l’assemblée du mouvement anti-aéroport de ce 3 janvier démarre par une annonce goguenarde : « N’oublions pas qu’on démarre l’année où l’aéroport devait ouvrir… »
La discussion s’attache aux rumeurs d’évacuation, commente la presse locale, le quotidien nantais Presse-Océan venant de livrer sa énième prédiction, non sourcée, d’intervention militaire massive et rapide, annonçant « une fois de plus l’heure de vérité » et citant « un gradé » non identifié lâchant que « janvier va être très très chaud pour nous [les gendarmes] ». Un article du Point a repris la même rumeur l’après-midi. Pas de quoi affoler les zadistes, rompus aux rumeurs depuis des mois, y compris celles venues de leurs rangs. De nombreuses alertes de témoins de déplacements de convois policiers ou gendarmesques ont dû être contenues avant qu’elles ne génèrent des vents de panique.

Une zadiste emmitouflée rapporte une conversation de réveillon d’un proche, où un salarié d’une boîte de BTP se disait requis pour la mi-janvier à Notre-Dame-des-Landes. La dernière rumeur, paraît-il béton, la semaine dernière, c’était « l’évacuation avant le 31 décembre… » rétorque un autre. Tant que rien ne recoupe ces bruits, ils restent dans le lointain écho de lourds brouillards.
« Que les états-majors militaires et policiers et les politiques envisagent toujours une intervention, c’est probable, ça ne veut pas dire que c’est imminent », note un barbu, rappelant que les douze dernières AG mensuelles ont débattu et envisagé les processus de défense, appels aux blocages et autres mesures au sein de la Zad, à ses alentours, à Nantes et dans tous les comités anti-aéroport de l’Hexagone. Tout est déjà en ordre de marche, prêt à déclencher des ripostes de toutes formes. Des systèmes défensifs visibles et plus camouflés ont été établis, les voitures ont été réparées à l’automne, prêtes à bouger si nécessaire, certains ont travaillé leur mutation en arbuste, voire à plusieurs en haies mobiles. « On ne va pas réinventer ce qu’on a discuté trois cents fois. »
« Profiter du temps électoral pour marquer des points, inventer des actions massives et offensives »
« On a compris que ce qui peut arriver, c’est un “perlimpinpin”, des petites tentatives de petits travaux, quelque chose pour faire plaisir aux proaéroports et apporter la démonstration, parce qu’on réagira, que décidément rien n’est possible ici », note Geneviève Coiffard, de la coordination anti-aéroport. Pour ça, pas de problème, tout est prévu. Mais quant à faire fléchir Hollande avant sa fin de mandat, l’assemblée est plus que dubitative.
Le thermomètre n’a coincé qu’un petit degré au-dessus de zéro. Par ces frimas qui courent, deux axes de discussion apparaissent : comment renforcer le soutien en cette période de sursis, et qu’espérer du temps électoral pour marquer des points ?

Le probable répit accordé par la campagne électorale ouvre des perspectives stratégiques, des « cartes à jouer » pour tenter de décrocher l’abandon de la déclaration d’utilité publique, décision politique qui enterrerait définitivement le projet. « Les deux hivers précédents, on a déjoué deux fois de suite des velléités assez fortes d’attaques du gouvernement. Au lieu d’attendre la prochaine, est-ce qu’on ne peut pas profiter du temps électoral pour marquer des points, inventer des actions massives et offensives ? C’est vrai, c’est compliqué de surgir dans ce spectacle lamentable de la campagne électorale, mais bon… » lance un zadiste en parka.
« Est-ce qu’on peut obtenir de Hollande un “beau geste”, l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, un peu comme Mitterrand avait calé sur l’extension du Larzac ? Quel intérêt aurait Hollande à lâcher ? La contradiction avec les objectifs de la COP21 ? L’ampleur de la mobilisation populaire ? » relance Geneviève Coiffard. Son voisin rigolard imagine « une sextape » compromettante. « Le prendre au mot sur le slogan “Le changement c’est maintenant” ou sur le “choc de simplification” sans le choc, en ne gardant que la simplification ? » interrompt un autre, pas convaincu. « Et si Julie Gayet venait tourner un film ici… » rebondit un troisième. Personne ne placerait de gros paris sur ces options farfelues. Reste le chantage : « On le menace de ne pas voter pour lui… » Dans une assemblée où la grosse majorité ne vote pas, l’idée fait franchement rigoler. « Le mouvement anti-aéroport peut au moins tenter d’affaiblir l’élection de Fillon. » En juin dernier, face au parisien Sarkozy, François Fillon s’est défini comme « un paysan sarthois qui raisonne avec bon sens ». Paysan ? Tiens, tiens…
« Pour défendre la Zad, il faut l’aimer, et donc la connaître, souligne un membre d’un comité du nord-est de Nantes. Il faut faire découvrir la zone et ce qui s’y fait, prévoir des randonnées, des visites. » Des chantiers communaux appelant les bonnes volontés pour entretenir routes, haies, lieux de réunion à usage commun sont déjà prévus. Outre l’aspect pratique des travaux entrepris, ces corvées volontaires sont associées à des moments d’échange en soirée, transmission de l’histoire de la lutte, « racontages d’histoires », de chansons et de banquets. Il est aussi question d’accueillir les nouveaux venus qui auraient des projets agricoles. La dynamique d’implantation ouverte depuis 2009 est toujours en cours.
« On vient de découvrir de nouvelles pistes de recours »

Soigner l’image de la Zad auprès de l’extérieur, y compris la dédiaboliser, est toujours un sujet d’actualité. « La boulangerie, et les approches modestes, traditionnelles, écologiques des réalisations concrètes qui peuvent toucher le public, il faut toujours les mettre en avant. »
Reste le front juridique, toujours alimenté. Un nouveau recours contre la déclaration d’utilité publique de 2008 a été déposé en septembre dernier, s’appuyant sur les conclusions de mars 2016 des experts commis par le ministère de l’Environnement. Le rapport disait le projet de NDDL surdimensionné, tout en relevant que le maintien amélioré de l’aéroport existant, et donc l’alternative à ce projet, n’a pas été véritablement pris en compte, bafouant les principes « éviter, réduire, compenser ». « Il faut compter un an à un an et demi avant que ça vienne à l’audience, note Julien Durand de l’Acipa, l’asso citoyenne contre l’aéroport. Mais on vient de découvrir de nouvelles pistes de recours. »
Le Scot, le schéma de cohérence territoriale qui doit servir à l’État français de réponse à la procédure d’infraction ouverte par l’Europe sur le volet environnemental, a aussi été attaqué au tribunal administratif le 19 décembre dernier. Le bureau européen d’EELV doit rencontrer courant janvier la Commission européenne pour jauger la réponse de la France, si jamais elle a été adressée à temps à la commission.
En attendant, les zadistes restent droits dans leurs bottes, les orteils au chaud dans un redoublement de chaussettes.