La terre et la mer étouffent sous les déchets plastiques

Durée de lecture : 7 minutes
Pollutions Eau et rivièresLa pollution due aux déchets plastiques croît parallèlement à sa production, qui est exponentielle. Dans un rapport, le WWF alerte sur cette « catastrophe écologique » et propose des pistes pour la limiter, comme d’enchérir lourdement le coût du plastique afin de rendre le recyclage intéressant.
Depuis l’an 2000, le monde a produit autant de plastique que toutes les années précédentes combinées. Chaque année, la production et la consommation d’emballages et autres composants plastiques est supérieure à celle de l’année précédente. Le secteur de l’emballage à usage unique — sacs, sachets, barquettes, bouteilles — est un des principaux moteurs de cette croissance. Avec un sombre corollaire : l’explosion du nombre de déchets. En 2016, l’humanité a engendré 310 millions de tonnes de rebuts plastiques.
Or, à cause de notre « incapacité mondiale à gérer les déchets plastiques », « chaque année, un tiers des déchets plastiques, soit 100 millions de tonnes, se transforme en polluant terrestre ou marin ». Partant de ce constat alarmant, le WWF a exploré les causes et les conséquences de cette mauvaise gestion. Et sa conclusion, publiée ce mardi 5 mars dans le rapport Pollution plastique, à qui la faute ? n’est pas rassurante : « Si rien n’est fait, la production mondiale de déchets plastiques pourrait augmenter de 41 % d’ici 2030 et la quantité accumulée dans l’océan pourrait doubler d’ici 2030 et atteindre 300 millions de tonnes. »
Et ça, ce n’est pas du tout une bonne nouvelle, comme le dit à Reporterre le responsable du programme océans du WWF, Ludovic Frère-Escoffier : « La pollution plastique est une catastrophe écologique, qui frappe l’ensemble des animaux, du plancton jusqu’au mammifère. » Et principalement les organismes marins. Car ce qui est jeté sur terre se retrouve bien souvent en mer, au fil des rivières, dans les estuaires, le long des littoraux, puis dans un des cinq « gyres » de notre planète bleue, ces fameux vortex situés au milieu des océans qui concentrent une soupe de microplastiques. « Sur terre, les sources de pollution sont multiples, explique Laura Châtel, de Zero Waste France. Il y a les déchets sauvages, jetés intentionnellement ou emportés par le vent, mais aussi les microplastiques contenus dans nombre de nos vêtements et ceux issus des pneus qui se retrouvent sur les routes, ainsi que les nanoplastiques utilisés dans les produits cosmétiques. »
« Les nanoparticules possèdent la faculté de traverser les barrières tissulaires pour venir s’accumuler dans nos organes »
Et petits ou gros, ces déchets tuent. « L’enchevêtrement dans des débris de plastique entraîne souvent des blessures aiguës et chroniques ou la mort des animaux affectés », écrit le WWF dans son rapport. Au moins un millier de tortues marines meurent ainsi chaque année. Autre problème, plus de 240 espèces animales différentes ont été répertoriées comme ayant ingéré du plastique. Mais ces animaux sont souvent incapables d’absorber le plastique, ce qui entraîne des brûlures internes, des occlusions digestives et la mort. Et les humains ne sont pas épargnés : une étude récente sur l’eau embouteillée a révélé une contamination microplastique dans 93 % des bouteilles, provenant de onze marques différentes réparties dans neuf pays.

Comme l’expliquait Nathalie Gontard, directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) dans une tribune relayée par Reporterre, « les nanoparticules possèdent la faculté de traverser les barrières tissulaires pour venir s’accumuler dans nos organes, tels que le foie, et d’en perturber à long terme le fonctionnement ». Les effets sur la santé sont très mal connus à l’heure actuelle, mais les premiers résultats ne disent rien qui vaille. Ces petits débris ont notamment une fâcheuse tendance à se lier aux polluants organiques qu’ils rencontrent sur leur chemin puis qu’ils transportent et redistribuent.
« Y’a qu’à les brûler ou les recycler », me direz-vous. Sauf que la réalité n’est pas si simple. Tous les pays ne disposent pas de systèmes de collecte efficaces. Résultat, 37 % des déchets plastiques sont actuellement jetés sur la voie publique ou gérés dans des décharges non contrôlées. Près de 40 % se retrouvent dans des décharges où ils vont mettre des centaines d’années à se décomposer, non sans se fragmenter et se disséminer dans l’environnement. L’incinération industrielle sert à traiter 15 % des détritus, mais libère du même coup des tonnes de CO2 et de particules nocives. Et la voie « royale » que pourrait constituer le recyclage reste très embouteillée.
Seuls 20 % des déchets plastiques de la planète sont actuellement collectés pour être recyclés. Et « même si le plastique est collecté pour être recyclé, rien ne garantit qu’il sera transformé en un nouveau matériau », précise le WWF. Par exemple, moins de la moitié des déchets plastiques collectés pour le recyclage en Europe sont effectivement recyclés en raison de niveaux de contamination élevés. « Les industriels mélangent de plus en plus différents types de plastique, mettent des additifs, ce qui rend très difficile le recyclage », précise Ludovic Frère-Escoffier. D’après Nathalie Gontard, en France, « moins de 2 % des plastiques usagés sont recyclés idéalement en circuit fermé, c’est-à-dire récupérés pour produire un matériau utilisable comme un plastique neuf et indiscernable de ce dernier, détaille-t-elle. Seuls les plastiques de type bouteilles en PET peuvent se plier aux contraintes du recyclage en boucle fermée et être régénérés pour une utilisation identique. »

Bilan en fin de course, très peu de plastique se retrouve recyclé dans de bonnes conditions. La faute, d’après Ludovic Frère-Escoffier, au prix du plastique : à cause de prix du pétrole bas, « il ne coûte rien à produire. Il est aujourd’hui plus facile et moins cher de laisser le plastique dans la nature et d’en fabriquer du nouveau que de le collecter et de le recycler efficacement ».
Pour y remédier, le WWF propose d’enchérir le prix de ce matériau polluant, afin qu’il « reflète le coût complet de son cycle de vie pour la société et la nature », écrit l’ONG. Autrement dit, le producteur devrait payer pour la collecte et le recyclage de son futur déchet. Ludovic Frère-Escoffier esquisse aussi la possibilité d’un bonus-malus, qui permettrait que « plus le produit contient du plastique recyclé, moins il soit cher ».
« La question principale, c’est comment on ferme le robinet »
Surtout, pour les deux ONG interrogées, la priorité doit aller à la réduction de la consommation de plastique. « On parle et on investit beaucoup dans le recyclage et la valorisation, confirme Laura Châtel. Mais la question principale, c’est comment on ferme le robinet. » Pour la chargée de plaidoyer de Zero Waste France, il s’agit donc de « se fixer un objectif national de baisse de la consommation », et d’« interdire un certain nombre de produits plastiques : paille, gobelet, petits formats de bouteilles d’eau ». Le WWF avance des chiffres : « - 28 % de production de plastique par rapport à 2016 » en 2030, et propose un traité international juridiquement contraignant pour entériner cette démarche « zéro plastique ».

Sur ce dossier, la France semble à la traîne. Début février, lors de l’examen du projet de loi Pacte, les sénateurs sont revenus sur l’interdiction des piques à steak, couvercles à verre jetables, plateaux-repas, pots à glace, saladiers et boîtes, pourtant prévue en 2020 depuis la loi Égalim et qui restent finalement autorisés, et de retarder l’interdiction des pailles, des touillettes et de certaines assiettes en plastique d’un an. Jeudi 21 février, les pouvoirs publics, des entreprises et des ONG ont signé un « pacte national sur les emballages plastiques », fondé sur le volontariat, et jugé insuffisant par Zero Waste France, car « sans objectif chiffré de réduction ».
Par ailleurs, rien ne sera possible sans « une politique ambitieuse de soutien aux alternatives », observe Laura Châtel : « Le plastique est omniprésent. La transition à opérer est d’ampleur, il faut donc supporter la réutilisation, la consigne, la vente en vrac, pour que ces solutions soient moins chères que le jetable. » L’ONG compte notamment se saisir de la loi Économie circulaire, qui devrait arriver à l’Assemblée nationale cet été, pour faire avancer ces questions.