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Culture et idées

Lanza del Vasto, sage oublié mais indispensable

« Lanza del Vasto, une vie toute entière consacrée à l’émergence d’une société alternative basée sur la pauvreté volontaire »

Lorsqu’on tape Tournier, Charente-Maritime, sur un moteur de recherche, aucune réponse ne vient spontanément rappeler que ce village a abrité de 1948 à 1952 la première communauté rurale de l’Arche.

Cette lacune en dit long sur l’oubli dans lequel est tombé son fondateur, Lanza del Vasto, prophète oublié après une vie toute entière consacrée à l’émergence d’une société alternative basée sur la pauvreté volontaire.

On mesure mal aujourd’hui l’influence exercée par ce penseur franco-italien de la fin de la seconde guerre mondiale à 1981, l’année de sa disparition. Elle fut immense en particulier au lendemain de mai 68 et c’est le mérite de Frédéric Rognon, professeur de théologie et ancien de la communauté de l’Arche, d’en rendre compte dans un court livre, dense et passionnant de bout en bout.

Si des fils plus ou moins serrés relient la pensée de Lanza des Vasto à celle de La Boétie (l’homme de « la servitude volontaire »), de Thoreau (l’inventeur de « la désobéissance civile »), de Tolstoï, l’écrivain russe chantre de la vie rurale, c’est Gandhi, rencontré dès la fin des années 1930, qui l’a le plus influencé.

La vie dans l’ashram faite d’activités manuelles et de besoins minimums séduit l’intellectuel catholique pétri par la lecture de la Bible. Cette expérience de détachement et d’indépendance « s’avère pour lui une véritable libération intérieure, qui confère du sens à son existence », écrit Rognon.

Un ouvrage, publié en 1945, en sortira dont le sous-titre Eloge de la vie simple, résume bien la pensée radicale de Lanza del Vasto. Ce qu’il préconise : la non violence, le retour à une vie communautaire dénuée de rapports hiérarchiques, la suppression de l’argent, l’oubli des technologies sophistiquées, le recours au travail des mains qui ouvre sur « une vie nouvelle », l’éloignement de la ville mais le tout sans renier le sens de la fête, de la danse.

Pourquoi aller à rebours de ce qui semble être l’évolution historique de l’homme ? Pour extirper de nous le « péché originel » assimilé chez Lanza del Vasto à l’esprit de lucre et à l’appât du gain. « Le péché est […] d’avoir tiré à soi et dégradé la Connaissance pour la jouissance et le profit », fait-il valoir dans Les Quatre fléaux, rédigé dans les années 1950.

Il est donc vain selon lui de vouloir modifier les règles qui régissent nos sociétés, de chercher à moraliser le capitalisme (et tout autant le socialisme), de légiférer pour réduire les déséquilibres. Ce qu’il faut c’est non pas changer les règles du jeu mais refuser le jeu. L’esprit de concurrence, l’éloge du salariat (assimilé à de l’esclavage) et de l’ascension sociale, la valorisation de la réussite et du succès, voilà la racine du mal qu’il faut extirper.

Avec une pensée aussi radicale, les adversaires à combattre ne manquent pas. C’est donc naturellement que Lanza del Vasto va être de ceux qui militeront contre l’usage de la torture – de quelque bord qu’elle vienne – pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie, la course aux armements et le nucléaire militaire aussi bien que civil, le commerce des armes, avant de s’engager à partir de 1972 dans le combat contre l’extension du camp militaire du Larzac.

En parallèle à ce militantisme, des communautés pratiquant « la vie simple » prônée par Lanza del Vasto vont essaimer, d’abord en France puis au-delà, jusqu’en Amérique latine et au Japon. Des milliers de personnes viendront au fil des années y pratiquer une vie monacale. « Nous avons fait vœu de vivre de façon simple, sobre et propre et chérir la Pauvreté, afin de nous acheminer au Détachement et à la Charité parfaite », résume Lanza del Vasto.

Ce rêve, cette utopie ne survivront pas à la disparition de celui qui en fut le prophète. A sa mort, en 1981, à l’âge de 80 ans, une centaine de groupes dans le monde se réclament de son enseignement. Dix ans plus tard, une série de crises a eu raison de la plupart d’entre eux. Les communautés ont fermé les unes après les autres et leurs membres se sont dispersés. Aujourd’hui, n’en subsistent plus que trois, toutes implantées en France.

Mais l’héritage de celui que Gandhi appelait « le serviteur de paix » est là, bien vivant que l’on retrouve dans les idées portées aujourd’hui par des hommes comme Pierre Rabhi ou des mouvements tels les Faucheurs volontaires.

Lorsque les militants de Greenpeace pénètrent dans une centrale nucléaire pour en dénoncer les conditions de sécurité savent-ils qu’un demi-siècle auparavant, à à la fin des années 1950, les amis de Lanza del Vasto avaient envahi l’usine d’extraction du plutonium de Marcoule ?

-  Jean-Pierre Tuquoi


Lanza del Vasto ou l’expérimentation communautaire, de Frédérice Rognon, Ed. Le passager clandestin, Coll. Les précurseurs de la décroissance, 108 pages, 8 euros.

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