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ChroniqueCorinne Morel Darleux

Le Bocal a fermé, vive le Bocal ! Et non au désert rural

Le café-épicerie de Menglon, dans le Haut-Diois, a fermé, victime des pressions d’une minorité de voisins. Dans le rural lointain, certains préfèrent « le silence d’un village désert au petit tapage d’un village joyeux ». Mais, l’esprit qui a porté ce lieu reste vif.

Corinne Morel Darleux est secrétaire nationale à l’écosocialisme du Parti de gauche et conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes.

Corinne Morel Darleux.

Cette chronique fait suite à la précédente, publiée le 21 juin 2016, qui racontait ceci : Depuis deux ans, le Bocal, café-épicerie associatif autogéré de Menglon, dans la Drôme, réunit les habitants de ce coin isolé dans un espace de vie, d’échanges, de culture et de jeux. Mais le Bocal doit bientôt fermer.

Je vais être honnête : j’écris cette chronique dans une chambre d’hôtel à Lyon, entre deux journées de commission à la région. J’ai, à main gauche, une barquette en plastique pleine de tomates — en plastique elle aussi — et une Desperados à main droite. Quand je fais une pause cigarette à la fenêtre, j’ai vue sur un parking, et je confirme : de près comme de loin, le Bocal, c’est le paradis. »

Sauf que non. Parce qu’un lieu de vie, eh bien, ça vit. Et ça bouscule un peu. Alors, fatalement, il y a eu quelques courriers de mécontents envoyés à la mairie de Menglon, des pressions de voisins auprès de la propriétaire, avec, à la clé, un bail qui arrive à échéance, résilié. Le ton est monté, tout seul, par journal du Diois interposé. Signé de gens qui semblent préférer le long silence d’un village désert au petit tapage d’un village joyeux.

Feu le coin épicerie du Bocal.

C’est leur droit, notez. Mais la fermeture du Bocal, c’est un écosystème qui disparaît. Des liens intergénérationnels qui se sont créés, des circuits courts pour les paysans locaux, de l’activité économique et culturelle dans un coin qui n’en déborde pas tant. La boulangerie la plus proche est à plusieurs kilomètres, il faut prendre la voiture (ou le tracteur de Ben) pour y aller. Alors, dans cette histoire, quel est le droit qui doit prévaloir ? Celui de qui râle le plus fort, d’une minorité qui finit par décourager tout le monde parce que ce climat d’hostilité ne faisait franchement pas partie du projet ? Ou le droit à vivre, tout simplement... À vivre bon sang, même en ruralité, et à faire qu’on ne finisse pas dans un désert du Haut-Diois muséifié ? Le Bocal, c’était trois soirs par semaine à 23 h. Ce n’était pas la foire, sérieusement.

Fin des programmes au Bocal.

Les membres du conseil d’administration de l’association et les bénévoles ont travaillé comme des fous, ils ont les pieds bien sur terre. Solides et solidaires, ils sont entrepreneurs, paysans, artisans, développent leur commerce, créent leurs emplois. Certains également viennent du monde du cirque et des arts vivants, et je mesure une fois de plus à quel point c’est une formation, une pratique qui développe une forme de discipline, d’entraide et de fiabilité hors du commun. Quand on fait du trapèze, quand c’est à vous de rattraper votre partenaire dans les airs, quand il faut apprendre la pleine maitrise de son corps, de chacun de ses gestes, il y a comme un fil qui vous relie au sol et à la vie, une manière de se tenir droit qui ne trompe pas. Et il n’y a guère que M. Wauquiez pour oser dire que les métiers du cirque forment des fantaisistes, ce triste lieu commun. Qu’il vienne donc voir les gamins de la section cirque à la cité scolaire du Diois : leur spectacle de fin d’année est juste incroyable. Ces jeunes circassiens rayonnent de vie, d’élan, de générosité. Il faut sentir cette joie de vivre, cette force qu’ils dégagent, les voir cavaler pour rentrer chez eux du lycée à la gare en s’interpellant joyeusement, libres et heureux.

Quoiqu’il arrive, notre petit coin de ruralité ne restera pas les bras croisés

Et puis, le Bocal, c’était une galerie de personnages qui donnent envie d’écrire des portraits. Derrière le comptoir, il y avait David, le gipsy qui débusque les castors et louait des bicyclettes à Die. En terrasse, Guillaume, le maraîcher qui n’est plus maraîcher mais travaille désormais au lycée. Et puis, juste là, qui arrivait en vélo, il y avait Matthieu, le gemmothérapeuthe amoureux, qui a fait circuler une pétition pour que le Bocal continue d’exister. À eux tous, ils portaient les envies de tout un bout de Vercors de se sentir vivant, vibrant et heureux, nourri de fleurs d’acacias et joliment coiffé. Alors, pour que ce petit feu d’artifice local continue d’exister, ils ont concocté un projet de reprise de l’ancienne Poste de Menglon, projet qui, hélas, a fait long feu, le « nimby » (« not in my backyard », soit « pas dans mon jardin ») étant contagieux. Mais ils ne se sont pas laissés abattre. Ils réfléchissent à la suite, avec le Bocal des grands jours et Place publique, la guinguette à roulettes, une itinérante qui part à la rencontre des affamés de culture festive avec vue sur la vallée.

Voilà, désormais le Bocal est fermé mais l’esprit reste vif. Plus de 300 personnes sont venues les remercier et les soutenir samedi 25 juin pour « ze fucking happy end ». Le Haut-Diois est bourré d’idées. Il y aura des rebonds. Quoiqu’il arrive, notre petit coin de ruralité ne restera pas les bras croisés. Parce que notre verre de rosé face aux montagnes, à discuter de tout et de rien, on veut le garder, c’est sacré.

Près de 300 personnes sont venues pour la dernière du Bocal, samedi 25 juin.

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