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Le Finlandais qui inventait des vélos extraordinaires

Le Finlandais Sakari Holma a réuni sa passion du bricolage et celle du vélo pour inventer des modèles adaptés à tous les terrains et à toutes les personnes. Convaincu que ses idées sont un bien commun, il met en ligne les plans des prototypes réalisés, une trentaine à ce jour.

  • Jyväskylä (Finlande), reportage

Alors que le vent souffle sur la petite ville de Jyväskylä, à 300 km au nord d’Helsinki, Sakari Holma, 80 ans à l’automne prochain, se dépêche d’aller poser un dernier élément à sa toute dernière invention : un vélo à quatre places. « L’effort est partagé, précise sa fille Maija, venue aider pour la traduction. C’est très bien pour les personnes âgées, l’occasion de prendre l’air et d’être ensemble. En plus, le design est très cool, c’est comme avoir une fête sur son vélo ! »

Exposé à la bibliothèque municipale au milieu d’autres créations réalisées par les gens de la région, tous amateurs, son vélo rouge trône au centre de la pièce. Sa capote lui donne des airs de tuk-tuk. Selon les conditions physiques des cyclistes, il est possible de pédaler ou de se reposer — chacun a ses propres freins et changements de vitesse. Holma compte aussi ajouter un moteur électrique au cas où il ne resterait plus qu’une personne capable d’avancer, mais il n’a pas encore eu le temps de l’assembler.

Sakari Holma au pilotage de sa dernière invention.

Moustache et cheveux blancs hirsutes, habillé d’un jogging confortable, sandales et chaussettes, l’inventeur sort sa boîte à outils et place un bac rouge entre les deux places arrière. « Pour pouvoir y mettre les sacs pendant qu’on pédale », explique-t-il. Ce dernier jour d’exposition a une saveur un peu particulière. N’ayant pas encore pu tester son vélo sur la route — il a fini de l’assembler une demi-heure avant l’ouverture —, l’inventeur va enfin pouvoir vérifier sa viabilité.

Un joyeux bazar 

En attendant, Sakari Holma nous emmène visiter son atelier, à quinze minutes du centre. Des trois modèles garés devant chez lui, son préféré est un tricycle violet. Sa casquette de pilote et ses lunettes sur le nez, il s’allonge sur son vélo et attrape le guidon. Trois coups de pédale suffisent pour lui donner le sourire. En faisant sa démonstration, Sakari redevient enfant.

Sa première création était une voiturette à pédales lorsqu’il était petit. « Ça fonctionnait pas mal, nous raconte sa fille en l’observant faire le tour du parking. Puis, il a ajouté des parois et un toit, parce qu’il voulait l’utiliser par mauvais temps ; c’est devenu trop lourd pour le faire bouger. Comme il est toujours très optimiste, il s’est dit que c’était au moins un chouette endroit où s’asseoir bien que ça ne bouge pas. Certains enfants de son quartier se moquaient de lui en disant que c’était une boîte de conserve. Depuis, il a toujours voulu construire ce genre de véhicules… Mais qui bougent ! »

L’atelier de Sakari Holma est au dernier étage de l’immeuble où il habite, toutes ses créations doivent donc passer par le vieil ascenseur : c’est à peu près sa seule contrainte. Au milieu de tout ce joyeux bazar, entre des planches de bois, des roues démontées et des plaques de plexiglas, se trouve sa petite caravane pour vélo, construite il y a dix ans. Comme elle est faite d’un contreplaqué généralement utilisé pour les avions, de 1,5 mm d’épaisseur, mieux vaut prévoir un sac de couchage (et éviter d’y dormir l’hiver). Dans un coin, une moitié de canoë est posée, vestige d’une ancienne expérimentation de canoë-bicyclette. Trop gros pour l’ascenseur, il a fallu le couper en deux.

Traverser la ville à bord de bécanes farfelues 

Les plus anciens modèles de l’inventeur finlandais se trouvent à la cave, un ancien bunker antiatomique. Quand Sakari Holma a commencé, il construisait tout en bois, puis il est passé au métal, plus résistant. Pour trouver le matériel, là encore ses talents de bidouilleur sont précieux : si ce ne sont pas des gens qui lui apportent leurs vieux vélos, il a un contact direct avec la police en cas de trouvaille pour savoir s’il peut la garder ou pas. Dans les garages à vélo au bas des immeubles, ceux qui ne sont plus utilisés sont aussi marqués, ce qui facilite le recyclage. Enfin, la déchèterie a son numéro de téléphone. Sakari Holma n’hésite pas à faire construire les pièces les plus complexes par des entreprises spécialisées. Depuis qu’il est à la retraite, en 1995, il a mis en pièces plus de cent vélos.

Son inspiration, Sakari Holma ne la trouve pas seulement par passion du bricolage ou pour s’amuser, mais surtout pour répondre à une nécessité : se rendre d’un endroit à un autre dans n’importe quelles conditions, météorologiques ou physiques. Né à Rovaniemi, en Laponie, il allait déjà à l’école à vélo par - 40 °C. Il a donc imaginé un vélo sur ski. « Mais, en ville, les rues sont recouvertes de sable ou de sel pour éviter de glisser sur la neige, donc ça rend la chose plus compliquée. À la campagne, pas de problème », commente Maija.

Les 100.000 habitants de Jyväskylä, où il a emménagé, ne sont plus étonnés de le voir traverser la ville à bord de bécanes farfelues. Derrière l’un de ses modèles, un logo avec un S majuscule remplace le triangle de signalisation. S pour Sakari, et non pas Superman ! Quoique, en lui demandant pourquoi il fabrique ses vélos, sa réponse est évidente : « Pour sauver le monde ! » L’écologiste convaincu espère ainsi que chaque personne pourra avoir un vélo adapté à ses besoins et ses envies.

Motivé par la recherche plus que par la réussite 

Le prochain projet de Sakari : un vélo où il serait plus facile de s’asseoir pour les personnes âgées. « Parce que c’est généralement compliqué de monter sur un vélo avec l’âge », confirme-t-il. « C’est quelqu’un qui consacre son temps aux autres, ajoute sa fille. Il donne des cours d’informatique pour les seniors ou de soutiens aux enfants en difficulté à l’école. »

Cet ancien architecte à la retraite est motivé par la recherche plus que par la réussite. Il lui faut à peu près six mois pour terminer un modèle. Il en produit trois par an, donc, parfois, deux en construction au même moment. Sur les trente que Sakari a finis, il en a vendu quinze en Finlande. Mais n’espérez pas passer commande : l’inventeur n’aime pas faire deux fois la même chose. « Les gens m’achètent les vélos que j’ai déjà faits. Si quelqu’un veut me copier, par contre, aucun problème ! Au contraire, j’en suis plus heureux. Mes idées ne m’appartiennent pas, elles sont un bien commun. » Sakari partage ainsi tous ses plans sur internet, via son compte Flickr ou avec des vidéos sur YouTube.

De retour à la bibliothèque du centre-ville, Sakari Holma, aidé de ses amis, tente de faire sortir son vélo à quatre places du bâtiment. Une tâche qui se révèle plus ardue que prévu. En slalomant entre les œuvres exposées, il manque de tout renverser : un vrai labyrinthe. Sur le trottoir, sous le ciel grisâtre de cette froide journée de printemps, le vent sifflant dans les oreilles, Sakari donne les derniers coups de clé, serre les dernières vis et graisse les chaînes. Ils sont quatre sur le vélo, Sakari Holma tient le guidon. Ils s’élancent, on ne les arrête plus ! Le vieil homme est heureux. Après dix minutes de balade, la dernière œuvre de Sakari a trouvé sa place sur le parking d’un ami, en attendant la prochaine sortie. L’inventeur inlassable peut se consacrer au projet suivant.

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