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Culture et idées

Le documentaire « En quête de sens » sous le feu des lecteurs

A Reporterre, on a bien aimé le film En quête de sens. Mais tout le monde n’est pas d’accord. Tel Xavier Petillon, qui reproche au documentaire, bien que nourri de bonnes intentions, de donner une vision simpliste de la pensée écologiste. A qui une autre lectrice, C. Hardouin, répond.

-  Actualisation - samedi 16 janvier 2016 - Le film continue à être vu partout en France et même au Québec, où il est jugé « enthousiasmant », et suscite des réactions favorables. Comme celle de Mme Hardouin, qui a écrit à Reporterre pour marquer son désaccord avec la critique du lecteur que nous avions publié. Voici son point de vue, suivi de celui de Xavier Pétillon.


« De l’humilité et du courage »

- C. Hardouin

Dans ce film, qu’est-ce qui a pu gêner Xavier Pétillon ? Les deux auteurs se posent des questions sur le sens qu’ils veulent donner à l’orientation de leur vie. Ils ont questionné différents acteurs reconnus pour essayer de comprendre l’orientation et le sens que chacune de ces personnes donnaient à leur vie et à leur action. A aucun moment, ils ont prétendu détenir et imposer une vérité quelconque.

Ce n’est pas simple de remettre en cause ses opinons, ses actions, ses orientations. Cela demande de l’humilité et du courage. Critiquer, c’est plus facile surtout quand on n’a aucun apport sérieux à proposer.

Ce film se situe à un autre niveau qu’une « vision simpliste de la pensée écologiste ». Mais, il est vrai, ce n’est pas donné à tout le monde de saisir le sens de ce film.


« Une vision trop simpliste »

- Xavier Petillon

Je ferai mienne la phrase de Mireille Delmas-Marty (professeure honoraire au Collège de France en droit international) : « Il faut faire la pédagogie de la complexité, et non la démagogie de la simplicité. »

En bref : qu’ai-je vu dans ce film ? Des primates (humains ou autres), dont certain-e-s expriment des opinions. On voit aussi de très belles images. On voit un bilan carbone explosé par les auteurs (l’herbe était-elle plus verte ?). On voit aussi quelques « détails » qui m’ont gêné.

Voyons un exemple : les « 250 000 suicides de paysans indiens sur 20 ans à cause de Monsanto ».

De retour à la maison, en quelques clics sur le site de l’Institut national de statistiques Indien, puis sur le site du bureau Indien du casier judiciaire (Crime Records Bureau), et enfin sur une étude socio-démographique de Roger Establet de 2012, « Le suicide en Inde au début du XXIe siècle », je vois que ce ’grand’ nombre représente un taux de suicide très bas et que le raccourci concernant une entreprise semencière est, au mieux exagéré, au pire mensonger. En effet, les périodes ne correspondent pas : recrudescence des suicides au début des années 90, mais implantation de Monsanto dans le coton au milieu et à la fin des années 90. En plus, le phénomène est beaucoup plus citadin que rural. Ah. Mince.

« Xavier, tu n’as pas le droit de mettre en doute Mme Shiva ! » Tant pis, les faits sont têtus, moi aussi, et là, c’est trop gros. Que Monsanto ait une politique commerciale agressive et promeuve l’utilisation de OGM inutiles, c’est une chose. Mais que Mme Shiva utilise un faux argument subtilement mensonger, ça me choque. On a dû la tromper. Et nos auteurs auraient pu vérifier, non ?

Rencontre des réalisateurs avec Vandana Shiva en Inde

Un autre parti pris est de présenter des croyances et pratiques cultu(r)elles lointaines comme pouvant « donner un sens » à la vie de deux Occidentaux blancs.

En fait, je dis « donner un sens à la vie », mais je n’en sais rien après avoir vu le film : il n’y a pas de propos sur le « sens », de la vie, des convenances ou tout autre. Pas d’analyse. Uniquement un choix de personnes interrogées. Chacun-e a sa vision, ses croyances et ses opinions. C’est l’auberge espagnole sensuelle, là ! Une Pachamama n’y retrouverait pas ses petits cha...mans.

Et pourquoi une tente à suer mexicaine plutôt qu’un sauna ou un hammam ? Mystère absolu.

C’est un parti pris assumé, qui vend les propos des participants comme un tout. Un « prendre-ou-à-laisser » impératif sans nuances. Simpliste donc.

Cela renforce aussi le « biais de confirmation » à la fois des auteurs et du public, sans critique positive ou négative des propos. Le public visé est tout sauf « le grand public ». Seules les personnes familières avec ce type de croyances new-age peuvent éventuellement s’y retrouver. Celles qui font preuve d’un peu de bon sens auront plus de mal devant les assertions de Pierre Rabhi, Trinh Xuan Thuan ou Bruce Lipton.

Mais pourquoi donc se donner du mal avec la critique d’un tel film ? Parce c’est grave !

Depuis des décennies, l’écologie scientifique a pu montrer que la biosphère, c’est complexe !

Pour « entrer en écologie », il faut travailler dur, individuellement et collectivement, à se construire une représentation de cette complexité, de la systémique des interdépendances y compris sociales, à utiliser des outils de pensée exigeants mais libérateurs, à apprendre à douter de ses certitudes, à reconnaître ses propres croyances, à s’en méfier si besoin et à les changer souvent. Bref, à travailler avec l’équipement cognitif complet dont tout le monde dispose.

Rien de pré-mâché : uniquement de l’effort, du doute, de la mise en perspective et de l’échange ouvert. Bref, le contraire de la démarche du film.

Ce travail est aussi collectif. De la confrontation des idées avec d’autres naissent des perspectives. On peut ainsi consulter les « connaissants » d’un thème pour se forger sa propre expertise, et éviter de se voir vendre une pensée certes séduisante, mais irréaliste ou mensongère.

Quelles moqueries les écologistes vont-ils (encore) subir avec un tel discours ? Baser la pensée de l’écologie sur des croyances et non sur des faits est une porte ouverte à l’obscurantisme : pseudo-’tout’, mais vrais dégâts.

Un réel combat sur l’éducation populaire et libératrice doit être mené. Quels sont les faits ? Quels moyens a-t-on de les vérifier ? Quels sont nos moyens d’action dans le monde réel ?

Les écologues, les pédagogues, les philosophes ne doivent pas baisser les bras, car ils portent une vraie part de responsabilité sur ces dérives. Tout le monde a le droit de (se) connaître, puis de choisir quoi ou qui croire. Mais en toute connaissance de cause.

L’entièreté de ces propos pourrait d’ailleurs être tenue dans une critique concernant les croyances en la « croissance économique » ou dans la société de consommation. Mais ce n’est aucunement une excuse.

Et la sincérité éventuelle n’est pas non plus un gage de qualité. Torquemada était extrêmement sincère.

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