Le lobby des pesticides accusé de « chantage à l’emploi mensonger »

Les lobbies des pesticides sont accusés de chantage à l'emploi. - Public domain pictures/CC0/Petr Kratochvil
Les lobbies des pesticides sont accusés de chantage à l'emploi. - Public domain pictures/CC0/Petr Kratochvil
« Chantage à l’emploi mensonger » : telle est l’accusation portée par quatre organisations contre le lobby des pesticides. Mardi 21 février, Transparency International, Foodwatch, l’Institut Veblen et Les Amis de la Terre ont effectué un signalement à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et aux comités de déontologie de l’Assemblée nationale et du Sénat sur un possible manquement du syndicat professionnel français des fabricants de pesticides Phyteis (ex-UIPP), rapporte Le Monde.
L’affaire remonte à 2019. La loi sur l’agriculture et l’alimentation (Egalim) d’octobre 2018 prévoyait l’interdiction à partir de 2022 de la production, en France, de pesticides interdits d’usage en Europe mais que les leaders du secteur continuaient d’exporter, principalement dans les pays en développement.
Intense lobbying
L’UIPP avait mené un lobbying intense jusqu’au sommet de l’État pour obtenir l’abrogation de cet article, comme l’avait révélé le quotidien du soir en janvier 2020. « L’impact économique et social en France de cette mesure sera extrêmement important, avec plus de 2 700 emplois directement concernés sur nos dix-neuf sites de production répartis sur l’ensemble du territoire », avaient ainsi écrit au Premier ministre les signataires, parmi lesquels les patrons des entités françaises de Bayer, de Syngenta et de BASF, quelques jours après la promulgation de la loi.
L’initiative avait été couronnée de succès, puisqu’un amendement socialiste à la loi Pacte sur la croissance et la transformation des entreprises, voté en avril 2019 avec le soutien de la majorité, était revenu sur cette interdiction. Celle-ci était reportée à 2025 et une dérogation était offerte aux entreprises passant des « conventions de transition » avec l’État.
Aucun licenciement direct constaté
Or, le chiffre des 2 700 emplois a été remis en cause par les médias indépendants Le Poulpe et Mediapart. Un an après l’entrée en vigueur de la loi — le Conseil constitutionnel ayant retoqué l’amendement —, aucun licenciement direct n’a été constaté. Certains sites présentés par l’UIPP comme étant directement menacés ont même créé de nouveaux emplois depuis 2019, à l’instar de Nufarm, dans l’Eure.
Pour les ONG à l’origine du signalement, l’estimation des 2 700 emplois menacés ne peut être une « erreur de bonne de foi ». « Opposer des arguments économiques ou du chantage à l’emploi face à des enjeux de santé publique est une stratégie que l’on ne connaît que trop bien, a expliqué Karine Jacquemart, directrice de Foodwatch, au Monde. Les lobbys des pesticides n’hésitent pas à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour bloquer tout renforcement des règles, car ils voient dans ces mesures des entraves à leur business juteux. » En 2022, les industriels ont encore exporté près de 7 500 tonnes de ces fongicides, herbicides ou insecticides interdits en Europe vers le Brésil ou l’Ukraine.