Le mouvement climat cherche un second souffle

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Climat LuttesLe rassemblement parisien pour le climat du 6 novembre n’a pas réuni les foules. Alors que le mouvement associatif français semble désormais en peine de mobiliser sur ce sujet, les militants présents s’interrogent autour des stratégies à adopter. Et s’accordent sur l’idée qu’aucune avancée ne sera obtenue « en demandant gentiment ».
Paris, reportage
Samedi 6 novembre, une cinquantaine de manifestations ont eu lieu en France pour défendre la justice climatique et dénoncer l’inaction des gouvernements alors que débute la seconde semaine de négociations à la COP26. De manière générale, ces rassemblements ont peu mobilisé par rapport aux marches climat lancées en 2018. Une forme de lassitude semble s’être installée. Le contexte politique morose, dominé par les idées d’extrême droite et la surmédiatisation du polémiste Eric Zemmour n’ont pas aidé au sursaut. À quelques mois de l’élection présidentielle, les questions écologiques sont marginalisées. La coordination entre les différentes associations patine également. Alternatiba et les Amis de la Terre n’ont pas participé à l’organisation des différents événements, dans laquelle s’est en revanche impliquée Attac.
À Paris, une mobilisation s’est déroulée sur le parvis de l’Hôtel de ville. Les ingrédients classiques d’un rassemblement pour le climat étaient réunis. Les percussions résonnaient sur la place. De grandes banderoles étaient déployées dans le vent. Des chorégraphies étaient prévues sous un soleil automnal. Mais il manquait l’essentiel : la foule, les gens, la base populaire. Aucun frisson ne semblait parcourir l’assemblée. Seulement quelques centaines de personnes étaient réunies, en majorité des salariés et des bénévoles d’associations, ainsi que des politiques venus faire le plein d’images et de selfies. Au milieu, quelques pro nucléaires brandissaient, sans gêne, une pancarte « l’EPR sauvera le climat ».

Pendant deux heures, les prises de parole se sont enchaînées. Entre les discours sur l’hypocrisie de la politique d’Emmanuel Macron, une animatrice au micro s’évertuait à faire répéter aux gens des slogans maintes fois rabâchés, comme « et un, et deux, et trois degrés, c’est un crime contre l’humanité ! » Il y avait un air de déjà-vu. L’impression d’un spectacle surjoué, inlassablement ressassé.
« Où sont les gens ? Où est passée la colère ? »
Chez les militants, le malaise était palpable. « On reproduit depuis trois ans les mêmes gestes et les mêmes discours. Il n’y a plus aucune surprise. On s’essouffle », se désolait ainsi un membre d’Extinction Rebellion. « Où sont les gens ? Où est passée la colère ? s’interrogeait aussi Carole qui s’était déplacée depuis la Seine-et-Marne avec un groupe d’amis. Il faut que l’on se réveille et que l’on s’organise. En face, les multinationales, elles, ne sont pas en panne de stratégie. »
Le moment est charnière. Pour Léna Lazare, une des initiatrices de Youth for climate France, « le mouvement climat a besoin de se réinventer, on arrive au bout d’une logique ». À la veille de la présidentielle, une réflexion tactique s’impose : comment retrouver du souffle ? Comment imposer les enjeux climatiques dans les débats à venir et accroître le rapport de force ? Comment, enfin, renouer avec la vitalité des premières marches ?

Des pistes se dessinent. Pour l’instant, à tâtons. Auprès des personnes rassemblées, Reporterre a tenté de trouver quelques réponses. Vincent Gay, adhérent d’Attac estime qu’il faut mieux articuler, dans les prochains temps, deux approches : « le localisme et la défense des territoires » — comme ce qu’il se passe avec les Soulèvements de la Terre et la lutte contre les grands projets inutiles - avec « le citoyennisme climatique » et « le travail plus classique des ONG ».
« On a du mal à remobiliser après la pandémie, concède le sociologue. Mais ce n’est pas le signe d’un désintérêt, pense-t-il. Pour lui, la priorité aujourd’hui est de « sortir la question climatique de son caractère technique, chiffré et parfois abstrait pour la relier à d’autres enjeux sociaux, de solidarité et antiraciste ».
« Il faut entrer dans la confrontation. »
L’heure n’est plus à convaincre les autorités ou les élites au pouvoir, juge-t-il. « Il faut entrer dans la confrontation pour nourrir des mouvements populaires qui pourront renverser une partie des formes de pouvoir actuel et transformer véritablement les choses. »
Interrogé par Reporterre, au cours du rassemblement, Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France, insiste aussi sur le fait qu’il est nécessaire d’arrêter de « demander les choses gentiment et proprement ». Pour la présidentielle, il pense qu’il faut identifier plusieurs idées fortes, comme « l’ISF climatique » et les porter dans le débat public. Au cours de la campagne, le mouvement climat a prévu de se mobiliser assure-t-il. Des marches et des actions de désobéissance civile auront lieu, notamment, en début d’année prochaine.

Pour Alma Dufour des Amis de la Terre, il est indispensable de bien anticiper ces événements pour mieux les préparer et mobiliser davantage de monde. La massification du mouvement restant à ses yeux, une priorité. « Les marches d’aujourd’hui ont été annoncées publiquement, il y a seulement trois semaines, c’est insuffisant, regrette-t-elle. On n’a pas eu le temps de se mobiliser. On doit sortir de nos cercles, aller toucher d’autres personnes. Il faut chercher les gens là où ils sont, accroître notre présence sur les réseaux sociaux, dans les facultés et les lycées. » La lutte ne se construit pas de manière incantatoire, au gré d’appels, elle s’infuse à partir de là où vivent et habitent les gens, à partir de leurs préoccupations et de leur vécu.
Retrouver du concret
Parmi les militants, un besoin se fait sentir. « On veut retrouver du concret », affirme Léna Lazare. La membre de Youth for climate s’est lancée, récemment, dans une formation agricole. Elle est aussi partie habiter à la Zad de Notre-Dame-des-Landes et souhaite désormais consacrer son énergie aux luttes locales. Elle y voit une forme d’exemple : « les gens qui s’y mobilisent sont plus divers, les modes d’action sont multiples et complémentaires. Il y a une vraie richesse dont le mouvement climat ferait bien de s’inspirer », dit-elle.
Plusieurs personnes rencontrées par Reporterre au cours du rassemblement expliquent avoir peu à peu déserté les mobilisations climat. Ou du moins s’en être désintéressées. Elles cherchent maintenant ailleurs les raisons de leur engagement et de leur joie militante. C’est le cas de Manon qui s’active aujourd’hui dans la lutte contre l’accaparement des terres à Grignon, ou de Topinambour qui a milité pour la sauvegarde des jardins d’Aubervilliers.

« Depuis 2016, j’ai dû faire 200 manifestations et des dizaines de marches pour le climat, explique-t-il, j’en ressors avec un vrai sentiment d’impuissance et de fatigue. Les actions des organisations climat se cantonnent trop souvent à de la communication portée par des professionnels. J’ai préféré me lancer dans des occupations plus concrètes, plus vibrantes. Aujourd’hui, il faut arrêter de tergiverser et saboter directement les saboteurs du climat. »
« Je crois que le mouvement climat ne réalise pas bien la mesure de la radicalité de l’époque, ajoute-t-il, avec la montée du fascisme et la violence des dominants. On ne pourra pas continuer pendant des années à faire des petits happenings aussi sympathiques soient-ils. C’est complètement hors sol. »
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