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Transports

Le rapport sur les infrastructures plutôt bien accueilli par les associations

Que faire après un rapport qui loue les « mobilités du quotidien » et la fin des grands projets d’infrastructures ? Si les opposants à ces derniers se réjouissent que le document aille dans leur sens, ils ne se contentent pas de ses conclusions. Et entendent bien porter sur le devant de la scène leurs propositions alternatives.

Hier, jeudi 1er février, a été publié le rapport du Conseil d’Orientation des Infrastructures (COI) (infos et téléchargement ici). Présidé par Philippe Duron, le COI annonce, pour reprendre les mots d’Elisabeth Borne, ministre chargée des Transports, lors d’une conférence de presse le même jour, « une rupture historique après des décennies d’une politique des grandes infrastructures, qui avait fini par ne plus prendre en compte les demandes des citoyens ». Finis les grands projets : le tunnel sur la ligne ferroviaire Lyon-Turin, la ligne Montpellier-Perpignan, l’A45 entre Lyon et Saint-Étienne sont retardés ou mis en pause. Place à la « régénération et à la modernisation » de l’existant afin d’améliorer les « mobilités du quotidien », comme le déclarait Emmanuel Macron le 1er juillet, qui envisageait d’« articuler les mobilités entre le TGV, le TER, le transport urbain, le vélo, la voiture ».

Comment expliquer cet apparent revirement du gouvernement ? Karima Delli, membre de la COI et députée écologiste européenne, inscrit le rapport dans la lignée de la COP 21 : « L’urgence climatique nécessite la réduction des gaz à effet de serre émis par le secteur des transports, et le rapport apporte des solutions à la transition écologique. » « Ce qu’il y a de bien dans ce rapport, précise l’élue EELV, c’est qu’il rentre pleinement dans le XXIe siècle, en imaginant des mobilités agréables et du quotidien à la place des grands projets infrastructurels. »

Pour nombre d’opposants à ces projets, c’est surtout l’abandon de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes qui a motivé ce basculement. Pour Laurent Pinatel, représentant de la Confédération paysanne et opposant à l’autoroute A45, « Notre-Dame-des-Landes a amené dans le débat public la question du sur-accaparement des terres agricoles, que l’on prend dorénavant en compte dans les projets d’infrastructures ». Daniel Ibanez, qui se réjouit de la mise en pause du Lyon-Turin, voit également dans Notre-Dame-des-Landes un renouveau démocratique, grâce à la « réappropriation par la population de son droit fondamental d’apprécier, et d’évaluer, les grands chantiers publics ». Un point que rejoint Karima Delli, pour qui « Notre-Dame-des-Landes a donné la méthode du dialogue et l’envie de débattre pour sortir des crispations ».

Le contournement est de Rouen maintenu pour servir les intérêts locaux de la République en marche ?

Opposant à l’un des rares grands chantiers maintenus, le contournement est de Rouen, Guillaume Blavette considère que le rapport Duron obéit à une logique bien plus politicienne. « Je constate que La République en marche met la priorité là où elle a des ambitions. Il s’agit de servir sa clientèle locale. Si le projet se maintient à Rouen, c’est très certainement parce que le parti espère conquérir la ville et que Sébastien Lecornu brigue la région Normandie. » À l’inverse, « le rapport a bloqué l’A45 et le Lyon-Turin pour faire obstacle à Laurent Wauquiez ».

Néanmoins, Guillaume Blavette remarque des « signes encourageants » dans le rapport, qui reconnaît l’existence de « divergences » au sein des élus locaux, et le « manque de robustesse » du document. « Le rapport prévoit une réalisation immédiate de l’autoroute. Or, d’un point de vue technique, c’est impossible tant que les études, notamment hydro-géologiques, ne sont pas finies. » En outre, le nombre de camions circulant à l’est de la ville est nettement inférieur aux prévisions, ce qui laisse une lueur d’espoir – ironique – au porte-parole du collectif Non à l’autoroute A133-A134 : « Je souhaite bonne chance aux concessionnaires autoroutiers prêts à débourser 500 millions d’euros de leur poche pour un projet qui pourrait leur faire perdre du pognon ! »

Pour autant, si la plupart des mouvements d’opposition à ces grands projets se réjouissent du rapport, aucun ne verse dans l’optimisme béat. Tous réclament l’abandon officiel des projets, et non leur simple suspension. « Il faut abroger la déclaration d’utilité publique pour enterrer définitivement l’A45 et développer l’existant », dit Laurent Pinatel. D’autant que les recommandations prétendument nouvelles du COI proviennent en réalité des arguments des opposants, à l’instar du Collectif des associations de défense de l’environnement (CADE), qui dans un communiqué de presse, s’amuse de la décision de suspendre le grand projet ferroviaire du Sud-Ouest : « Qui a dit cela ? Le CADE, et dès 1992. » D’où une attitude sceptique envers les autorités, qu’énonce avec clarté Daniel Ibanez : « Je n’attends rien de leur part. C’est nous qui portons les faits et les documents. »

L’A45 doit doubler l’A47 entre Lyon et Saint-Étienne (ici, au niveau de Givors).

Pour les associations, le défi est de devenir force de proposition

Cet état d’esprit gagne jusqu’aux promoteurs du vélo, apparemment grand gagnant du rapport. Olivier Schneider, président de la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), note certes « une reconnaissance historique » du vélo dans les mobilités, mais estime le montant alloué – 350 millions d’euros sur quatre ans – « insuffisant ». « Pour mettre en place un système vélo complet et cohérent, assure-t-il, la FUB demande 200 millions d’euros par an ». Le président de la fédération regrette surtout le caractère autoritaire du budget, sur lequel seul le ministère des Transports aura la mainmise : « Imposer aux collectivités des pistes cyclables ne tient pas lieu de pédagogie autour du vélo. »

Dès lors, que faire après le rapport Duron ? Tous les opposants le soulignent : il faut profiter de l’occasion pour « remettre sur la table le débat public, appuyé sur une base documentaire, autour des vraies priorités régionales, dit Daniel Ibanez, et non pas se contenter de choisir entre des solutions toutes faites ».

Manifestation des opposants au Lyon-Turin en 2013, en Savoie.

Passer ainsi de force d’opposition à force de proposition, par exemple en « relocalisant l’agriculture » à la place de l’A45, ou en « retirant un million de camions de la route » dans la vallée de la Maurienne. Et surtout, en changeant les modalités de la gouvernance des infrastructures. Ce que dit Olivier Schneider à propos du vélo vaut pour tous les autres projets : « Un plan vélo conséquent doit intégrer l’ensemble des acteurs du vélo, et non le seul ministère des Transports. Il faut y associer les ministères de la Santé, des Sports, de la Cohésion des territoires, de l’Éducation nationale pour former les enfants, de l’Intérieur pour prévenir les vols, mais également les entreprises, les associations d’usagers et, plus généralement, la société civile. »

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