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ReportageClimat

Le récit de la grève des jeunes pour le climat

Ce vendredi 15 mars, des manifestations et grèves pour le climat ont eu lieu partout dans le monde. À Paris, les étudiantes et étudiants sont partis par milliers de la place du Panthéon. Le matin, une action d’occupation a eu lieu à la Société générale. À Forcalquier, ce sont les enfants qui ont occupé la mairie pour le climat.

  • Paris, reportage

À 13 heures, le vendredi 15 mars, les rues et les stations de métro avoisinant la place du Panthéon déversent un flot ininterrompu de milliers de collégiens, de lycéens et d’étudiants. « Les gamins, prennent les choses en main », chante à tue-tête la foule - en grande majorité composée de femmes - devant la bibliothèque Sainte-Geneviève. Les pancartes bariolées dévoilent des messages fleuris : « Arrête de niquer ta mère », « la Terre est plus chaude que Francky Vincent », « Error 404 : future not found » ou « Désolé maman, je sèche comme la planète ».

« Du haut de nos 14, nos 15 ou 16 ans, nous voulons crier fort que le climat, on ne s’en fout pas, dit Ella, 15 ans et en classe de seconde à Rambouillet. Les adultes sont égoïstes, ils font semblant s’intéresser à la planète qu’ils nous laissent. Ce n’est plus possible. »

Ella, deuxième à partir de la droite.

A quelques mètres, un collégien a accroché une peluche autour de son cou. Il tente de se mouvoir dans les rangs de plus en plus compacts autour du monument. Des clameurs montent par vagues sonores et vibrantes. Des voix sont déjà éraillées d’avoir trop chanté, alors que le cortège n’est pas encore formé.

« C’est de notre futur qu’il s’agit, on ne peut pas laisser notre planète se détériorer, disent Tilly et Elisa, 16 et 17 ans, d’un lycée à Saint-Germain-en-Laye. On craint vraiment pour nos vies tant les rapports scientifiques sont inquiétants. On aimerait apprendre plus de choses sur le changement climatique, pour mettre à profit notre éducation et participer a rendre la société plus adaptée à l’urgence. »

Tilly et Elisa.

Le cortège s’élance à 13 h 30 en direction de Montparnasse. Destination finale : les Invalides.

Une heure plus tard, le boulevard du Montparnasse est empli de jeunes manifestants en sac à dos. Les plus jeunes trônent sur les épaules de leurs parents. Des enceintes diffusent des mélodies allant de la techno aux Démons de minuit, en passant par du rap. Les corps se trémoussent et les sourires se dessinent sur les visages. Les mains claquent énergiquement quand vient le temps d’un clapping.

Boulevard du Montparnasse, vers 14 h 30.

Le cortège est bloqué boulevard des Invalides. Des black blocks font face à une rangée de CRS. Sans heurt, la marche redémarre une poignée de minutes plus tard.

A partir de 15h20, le cortège atteint l’hôtel des Invalides. Lou, Juliette et Maya, élèves de 5e dans un collège de Sèvres, portent fièrement leurs déguisements d’ours polaires. « On ne veut pas que nos enfants en parlent au passé comme on peut parler aujourd’hui des dinosaures », disent-elles. Au pied du pont Alexandre III, fermé par la police, un bus touristique est immobilisé par la foule.

Lou, Juliette et Maya.

Petit à petit, une partie des manifestants se disperse, quand d’autres se rassemblent en cercles festifs sur les espaces verts de l’esplanade des Invalides.

Roman et ses camarades du lycée Condorcet débriefent : « Nous avons montré au gouvernement qu’on était puissants, capables de nous mobiliser et pas ignorants face aux questions climatiques », estime Roman, farouchement opposé « à notre modèle actuel de surconsommation, qui détruit notre planète ». « Le sérieux a changé de camp, pense l’un de ses amis. En portant ces messages, on se responsabilise plus que les adultes qui ont soif de pouvoir et d’argent. »

« Le sérieux a changé de camp. En portant ces messages, on se responsabilise plus que les adultes qui ont soif de pouvoir et d’argent. »

L’esplanade se vide. Une trentaine de jeunes se pressent dans des pogos. Les manifestants - leur nombre est estimé à plus de 30.000 - reviendront-ils samedi pour la Marche du siècle ? Deux groupes de lycéens interrogés, en fin d’après-midi, n’en seront pas : les uns doivent passer le concours d’entrée à Sciences Po, les autres partent en week-end avec leur parents.


DES ÉTUDIANTS POUR LE CLIMAT ENVAHISSENT LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE

Peu avant 9 heures ce matin-là, environ 140 étudiants, épaulés par des activistes de l’association ANV-COP21, ont fait irruption au siège de la Société générale, à La Défense. Leur arrivée a été fulgurante et en partie masquée par les mouvements des salariés de la banque, qui se rendaient au travail.

Les étudiants se sont placés bras dessus bras dessous dans le grand hall, devant les tourniquets, et se sont époumonés à chanter « On est plus chauds que le climat » et « Et un, et deux, et trois degrés, c’est un crime contre l’humanité ».

Au début du blocage, une salariée de la Société générale s’est emportée, tremblante de colère : « Allez autre part, laissez nous passer ! Laissez-nous libres, on est dans un pays démocratique ! » Les étudiants lui ont répliqué : « Non, vous n’êtes pas libres de détruire l’avenir ! » La salariée a fini par forcer le passage, bousculant les étudiants à l’aide d’un de ses collègues, déjà de l’autre côté. Les autres salariés se sont rabattus dans le calme vers des entrées annexes.

Pourquoi occuper la Société générale ? Claire Renauld, étudiante, membre de YouthForClimate France, a expliqué : « La Société générale est l’une des banques qui financent le plus massivement les énergies sales, et qui aident à exporter du gaz de schiste américain. Cette action est un coup de pression de notre part, étudiants : on les bloque comme ils bloquent notre avenir. »

Derrière elle, ses camarades ont interpellé les banquiers : « Ne nous regardez pas, démissionnez ». Des « Olas » ont été lancées devant les tourniquets. Des étudiants, parvenus à accéder aux balcons, ont même déplié une banderole « Les banques salissent notre avenir, bloquons-les ».

Désobéissance civile : une centaine d’étudiants épaulé par des activistes de l’association ANV-COP21 avaient fait irruption au siège de la Société générale, à La Défense.

À 9 h 30, quatre policiers ont fait leur apparition. Ils sont restés dans une posture d’observation, constatant que l’opération se déroulait sans violence. Une étudiante s’est félicitée du déroulé de l’action et a remercié les salariés de la Société générale qui ont accepté de discuter et « vont faire remonter leurs revendications à leur direction », espérait-t-elle. Elle a promis que la troupe continuerait de bloquer les lieux jusqu’à la fin de la matinée. Les étudiants sont finalement partis d’eux-même pour rejoindre à temps la place du Panthéon et la marche.


À FORCALQUIER : « SI ONSOBÉIT ENSEMBLE, ILS VONT DEVOIR NOUS PRENDRE AURIEUX »

À Forcalquier, vendredi 15 mars 2019.
  • Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence), reportage

Ce vendredi 15 mars au matin, un brouhaha inhabituel de voix, d’agitation et de rires enfantins a résonné dans les escaliers en colimaçon menant à la salle du conseil de la mairie de Forcalquier. Passé le pas de la porte et comme un pied de nez au gouvernement en place, c’est dans la ville (5.000 habitants) du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, si paisible de coutume, qu’une quarantaine d’enfants assis sur le sol manient ciseaux, rouleaux de ruban adhésif et feutres Poscas.

L’ambiance est à la bonne humeur mais les slogans multicolores des pancartes tels que « Nous sommes tous des animaux en voie de disparition », « Marseille sous l’eau, c’est bientôt » ou « Donnez-nous un vrai Minis’Terre » font transparaître l’amertume de ces jeunes en grève.

« Si on ne fait rien, notre vie n’a plus beaucoup de sens. On va faire quoi si on reste dans notre collège à ne rien faire, que l’on grandit pour vendre des trucs ? On ne va rien changer. Alors qu’en se mobilisant ensemble, on peut changer les choses », dit Garance, élève de troisième. À côté d’elle, sa camarade Amandine enchérit : « Oui, on se mobilise car ce monde sera le nôtre demain. C’est la faute des humains si on en est là, on en est à s’autodétruire. Si on désobéit ensemble, ils vont devoir nous prendre au sérieux. »

Les pancartes terminées, les collégiens descendent sur la place du Bourguet, devant la mairie, rejoindre les enfants de l’École ouverte, déguisés pour l’occasion. Comme un symbole, les enfants entonnent un chant, devant le regard ému et parfois médusé de certains passants, et des clients amassés devant l’étal d’un camion vendant du poisson.

« Arrêtons là le gâchis, contentons-nous de l’essentiel, on sait bien que ça suffit », tonnent en cœur des enfants de 3 à 6 ans alors qu’une voiture de patrouille de gendarmerie passe, comme désarmée.

Cette mobilisation apparemment inoffensive s’est pourtant confrontée au rapport de force si apparent de notre société ces derniers mois. Comme l’explique une collégienne de 4e, « la principale du collège [Henri-Laugier, à Forcalquier] a adressé un mot à tous les collégiens et à leurs parents pour interdire la mobilisation, donc beaucoup ne sont pas venus. Mais si on a des heures de colle à cause de notre grève, on a déjà pensé ensemble à ce que l’on écrirait sur nos carnets. Sûrement quelque chose comme : “Absence pour indigestion à cause d’ingestion de glyphosate.” »

Après des ateliers le matin à l’école maternelle Fontauris et à l’école privée Jeanne-d’Arc et un pique-nique commun aux quatre écoles de Forcalquier (privées comme publiques), les 10-15 ans se sont retrouvés l’après-midi pour des débats et des ateliers ludiques.

  • Regarder le diaporama de la mobilisation à Forcalquier


  • À Dijon :
À Dijon.
  • À Lyon :
À Lyon.
  • À Lille :
À Lille.

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