Les étudiants à la Sorbonne contre « Macron-Le Pen » : « La solution, c’est la mobilisation »

Devant la Sorbonne occupée, le 14 avril 2022. - © Clémence Michels / Reporterre
Devant la Sorbonne occupée, le 14 avril 2022. - © Clémence Michels / Reporterre
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Présidentielle LuttesRejetant le choix entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, des étudiants ont occupé l’université de la Sorbonne, à Paris. Reporterre a recueilli les témoignages de ces jeunes mobilisés contre les idéologies des prétendants à l’Élysée.
Paris reportage
Malgré l’après-midi ensoleillé, plus d’une centaine de personnes ont décidé de passer la journée du 14 avril place de la Sorbonne, en soutien aux occupants du bâtiment. Scandant des slogans antifascistes — « Siamo tutti antifascisti » — ces jeunes expriment leur mécontentement en raison des résultats des présidentielles dimanche dernier. Ils rejettent les idéaux des deux candidats sortants, dénonçant des politiques « racistes, capitalistes, antisociales, réactionnaires, écocides, et liberticides », selon une vidéo postée sur Twitter par le collectif La Sorbonne Occupée Contre Le Pen — Macron. L’Assemblée Générale prévue jeudi à l’intérieur du site s’est finalement déroulée sur la place à 13 h 30. En effet, depuis la première assemblée « Ni Macron Ni Le Pen » organisée par la nouvelle Coordination antifasciste interuniversitaire la veille à 13 h, plusieurs étudiants occupaient les locaux de l’université Sorbonne-mère. Nous les avons interrogés jeudi après-midi, quelques heures avant la fin de l’occupation, annoncée dans la nuit.
Judith, 17 ans, est lycéenne. Elle était à l’intérieur du site le 13 avril dans le cadre d’une autre assemblée organisée à 17 h : « Nous sommes parvenus à occuper l’amphithéâtre Oury même si au départ le personnel de l’université nous a refusé l’entrée. Nous rejetons les candidats sortants parce que nous déplorons le manque de représentation de ces élections, avec une abstention, un vote blanc et nul qui ne sont pas comptabilisés, alors qu’il s’agit de formes de rejet de la politique actuelle. »

Jayson a 19 ans. Il est étudiant en japonais à l’Institut national des langues et civilisations orientales. Il aurait souhaité pouvoir accéder au bâtiment pour participer à l’assemblée générale, mais la police a barricadé le secteur afin d’empêcher les étudiants de passer. Ayant voté Mélenchon au premier tour, il pense voter blanc au second : « On sait déjà de quoi Macron est capable et on a bien évidemment peur de ce que pourrait faire Le Pen si elle passe. Il était par ailleurs plus difficile pour la gauche de gagner les élections au vu du nombre important de candidats qui se sont présentés. »
« Nous ne faisons pas ça pour nous amuser »
Comme Judith est encore mineure, elle n’a pas pu voter. Engagée politiquement, elle se dit anticapitaliste et antifasciste. Elle comprend qu’il existe des controverses autour de cette mobilisation : « Nous ne faisons pas ça pour nous amuser, nous prenons des risques. Depuis hier soir les CRS sont aux entrées. Il y a eu aussi cette nuit l’attaque d’un groupe fasciste dans le site. Par ailleurs, nous ne considérons pas que Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont des sensibilités politiques similaires. Certes, Macron mène une politique ultralibérale. Je pense qu’il est responsable de cette situation. Mais si Le Pen passe, nous craignons évidemment une politique fasciste ainsi que de graves conséquences sur nos droits et ceux des étrangers. »
Erica, professeure dans le supérieur, souhaite également apporter son soutien aux étudiants : « N’ayant pas la nationalité française, je me retrouve dans l’impossibilité de me mobiliser dans les urnes. Les étudiants ne voient pas d’avenir avec Macron ou Le Pen, je comprends leur mécontentement. » Antoine, 18 ans, est étudiant en philosophie. Ayant donné son vote pour Nathalie Arthaud au premier tour des présidentielles, il ne souhaite voter ni pour l’un ni pour l’autre au prochain tour : « Je suis le mot d’ordre de la mobilisation ; ni Macron, ni Le Pen. La solution, c’est la mobilisation. »

Anna a 21 ans. Elle est aussi étudiante en philosophie à la Sorbonne. Aux dernières élections, elle a voté Mélenchon. Même si elle participe au mouvement, elle compte faire barrage à Marine Le Pen au prochain tour : « Je ne souhaite pas stigmatiser ceux qui voteront blanc, mais je pense qu’il vaut mieux concentrer nos luttes dans un cadre ultralibéral plutôt que fasciste, dans le cas où Marine Le Pen serait présidente. J’ai bien étudié son programme, je trouve que c’est un leurre de s’imaginer qu’on pourrait avoir d’autant plus de mobilisations si la candidate frontiste passe. »
Nasse et gaz lacrymogènes
Le collectif de La Sorbonne Occupée appelle à une mobilisation massive « sur tout le territoire », que ce soit « dans les lycées, dans les facs » ou « dans la rue ». Antoine, quant à lui, espère que ce mouvement « prenne aussi dans les entreprises et dans les usines. »
Du côté de la mobilisation, les manifestants ont été nassés à partir de 14 h. Jayson, les yeux bouffis par le gaz lacrymogène, raconte : « Les occupants de la Sorbonne ont lancé des chaises et des feuilles par les fenêtres du bâtiment. En réaction, la police nous a gazé, alors que nous sommes sur la place, et que nous n’avions aucune intention de troubler le rassemblement. »
Clay étudie l’histoire de l’art sur le campus Michelet. Elle regrette le choix des universités de mettre en place des cours en distanciel plutôt que de communiquer avec les étudiants mécontents : « Les universités ont fermé plusieurs campus en prévention car il semblerait que le personnel ait peur que le mouvement se développe. Même sur des plus petits campus, le contrôle d’identité des étudiants est systématique. »

Les manifestants imaginent des alternatives. Jayson aurait souhaité un deuxième tour avec « les trois candidats vainqueurs ». Erica propose un second tour avec tous les candidats « qui dépassent les 20 % ». Judith souhaiterait que le système électoral en France change radicalement : « J’ai des convictions anticapitalistes, donc j’aimerais voir son propre renversement. Mais c’est tout de même bien si on arrive déjà à négocier pour conserver nos droits. Nous souhaiterions enchaîner dans un premier temps les blocus et les manifestations. Nous espérons que le mouvement se propage partout dans Paris, que ça prenne de l’ampleur. On espère une prise de conscience de la population. »
Durant la nuit du 14 au 15 avril, à 1 h 08, le collectif de La Sorbonne Occupée a annoncé dans un tweet la fin de l’occupation de La Sorbonne. Le collectif appelle à rester mobilisé « pour la suite notamment en cas de poursuites judiciaires ».