Les jolies colonies de vacances - écolos, c’est encore mieux

Durée de lecture : 6 minutes
Pédagogie ÉducationDans les gorges du Tarn, l’association Le Merlet pratique une éducation active à l’environnement. Au contact des éléments, en kayak ou en dormant à la belle étoile, les enfants apprennent à connaître, à aimer et à protéger la nature.
- Les Vignes (Lozère), reportage
« C’est quoi ce gros oiseau là-haut dans les rochers ? » Longue-vue vissée à la paupière, Camille [1] observe un imposant rapace. À 10 ans, elle rencontre pour la première fois un vautour fauve. Pendant dix jours, elle va pouvoir suivre son lent ballet quotidien, depuis le campement du Villaret (Lozère), où elle séjourne.
Le long du Tarn, des tentes berbères se devinent à travers les saules. Ici, près du village des Vignes, l’association Le Merlet accueille chaque année près de 700 enfants. Avec un credo : l’immersion dans notre environnement. « Depuis trente ans, nous militons pour un accès libre de tous à la nature », explique Jérémie Mercoiret, animateur et administrateur de cette association pionnière de l’éducation à l’environnement.

Au Villaret, on vit donc dehors : il n’y a que deux bâtiments en dur, pour les douches et pour les cuisines. Devant la fenêtre, trois enfants se bousculent pour lire le menu : « C’est quoi du boulgour ? » Alimentation locale et biologique, jardin aromatique, compost. Tout est fait pour rendre les colos écolos. Mais ici, écologie ne rime pas avec ennui. « On n’éduque pas à l’environnement, on le fait vivre, précise Émilie Geffroy, qui coordonne le centre. La société enferme les enfants, nous les mettons dehors. » Alors que les Français passent chaque jour en moyenne 3 h 45 devant la télévision, 1 h 20 sur un ordinateur portable, et 1 h 20 sur un smartphone, au Merlet, les écrans sont interdits. Mais les jeunes ne s’en plaignent pas : ils n’en ont pas le temps ! Au menu — copieux — de leurs vacances, des activités de pleine nature (APN) : kayak, escalade, randonnée, canyoning.
« Dormir dehors, avec les étoiles, faire tout soi-même, c’est le meilleur moment du séjour »
Sur le Tarn, un groupe d’ados pagaient gaiement. Entre deux rapides, ils observent la danse acrobatique des demoiselles, collectent les bois rongés par les castors. Un canoë aménagé — la « Tarnypso » — leur permet de découvrir les fonds de la rivière. « Pour nous, les activités sportives sont un support d’éducation à l’environnement », explique Jérémie Mercoiret. Un point de vue souvent critiqué par le milieu naturaliste. « Certains défendent une vision très protectionniste d’une nature mise sous cloche, dans laquelle les enfants n’ont pas leur place, regrette l’animateur. Au contraire, c’est en s’immergeant dans la nature que l’on aura envie de la protéger ! »

Et pour « faire vivre la nature », le Merlet promeut le bivouac. Une fois terminée leur journée de kayak, les jeunes tendent une bâche entre quatre arbres (pour s’abriter en cas de pluie), creusent un « trou à caca » dans les fourrés, installent deux réchauds sur les berges, préparent des pâtes à la carbonara. « Dormir dehors, avec les étoiles, faire tout soi-même, c’est le meilleur moment du séjour » , se réjouit Sacha, 12 ans. Si les enfants plébiscitent cette aventure à la Robinson, l’association a dû batailler pour que reste autorisée cette pratique. « On est parfois allé jusqu’au tribunal pour pouvoir continuer à bivouaquer, et ça continue encore », s’agace Jérémie Mercoiret. Pour lui, on se trompe de coupable. « Les lois et les règlements empêchent des enfants de dormir dans la nature — sous prétexte qu’ils vont abîmer la forêt — mais ils autorisent les projets de déforestation à grande échelle comme celui de la centrale à biomasse de Gardane ! »
Pour Samuel Moktar, du réseau École et nature, « il faut dépasser la dichotomie entre protectionnisme et éducation à l’environnement, les deux sont nécessaires et conciliables » . Distinguer des zones à préserver totalement d’autres où l’on pourrait « s’immerger ». Surtout, il s’agit d’après lui de désamorcer les blocages psychologiques : « La peur de l’inconnu ou la méconnaissance de la nature engendrent des réticences, souligne-t-il. On en vient à penser qu’il y a davantages de risques à sortir qu’à rester enfermer à l’intérieur, mais cette recherche du risque zéro me paraît inutile et contre-productive. »
« L’environnement, c’est aussi l’humain »
Car s’immerger dans la forêt le temps des vacances présente bien des vertus, et pas seulement environnementales. « C’est aussi un support pour la dynamique de groupe, pour développer la coopération », explique Émilie Geffroy. Ainsi, afin de favoriser la communication, le Merlet a mis en place des « conseils des sages », un « espace papote » ou un « coin des oreilles » où chacun peut venir s’exprimer.

Un avis partagé par Yoann Geny, de La Bidouillerie. « L’environnement, ça ne se restreint pas à la faune et à la flore, c’est aussi l’humain. » Depuis cinq ans, l’association rennaise organise des séjours « autogérés », uniquement dans des zones protégées par des chartes, comme Natura 2000. L’idée : « Les enfants décident eux-mêmes de ce qu’ils vont faire, en fonction de ce que leur inspire leur environnement. » Construction d’un radeau à Belle-Île-en-Mer, création d’une web-radio, installation d’un restaurant bio et local éphémère. Pour Yoann Geny, pas question d’oublier l’éducation populaire. « La démarche de l’éducation à l’environnement reste souvent très invasive, interventionniste, culpabilisante, on te dit “fais ceci, fais pas ça”, mais du coup, ça ne marche pas. » Lui préfère « plonger les enfants dans un environnement riche », et « laisser la réflexion se construire ».

Ce « laisser-faire » permet aussi de réduire les coûts des séjours. « Pas de préparation à l’avance, pas d’activités extérieures, beaucoup de récup’ et de bénévolat... du coup, nos colonies sont 20 % moins chères que la moyenne. » Car c’est bien là que le bât blesse. D’après un rapport du député Michel Ménard publié en 2013, une journée en camp de vacances coûte autour de 63 € par enfant. Une somme « trop élevée », et donc « discriminante », selon Yoann Geny. Au Merlet, on a également conscience du problème. « Il existe des séjours avec moins d’activités sportives, avec plus de théâtre ou d’ateliers naturalistes, ce qui diminue les prix », explique Jérémie Mercoiret. Résultat, la journée de colo oscille entre 40 et 70 €. Mais pour lui, il faudrait un soutien financier public : « Nous menons une mission de service public, en quelque sorte, et tout le monde devrait avoir accès aux colonies. »
Car « le simple fait d’aller s’immerger dans la nature et de maintenir un contact avec notre milieu change notre perception du monde », soutient-il. Les colos nature, une dangereuse machine à fabriquer des écolos ? J’ai moi-même passé une grande partie de mes étés dans les gorges du Tarn à observer les vautours et à ramasser de la sarriette. Et vous voyez (ou lisez) aujourd’hui le résultat.
