Tribune — Écologie et spiritualité
Les musulmans à l’épreuve du réchauffement climatique
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« La création est en effet, pour le musulman, un don divin. La respecter est une exigence et permet au croyant de renouer avec la tradition prophétique d’un mode de vie écologiquement sain et responsable. »
Le sommet de Durban vient de prendre fin et laisse un goût amer. L’accord à minima signé est en effet bien loin de ce qu’exigeait l’urgence de la situation. Les négociateurs se sont donnés rendez-vous l’an prochain au Qatar, pays musulman qui détient le triste record de premier émetteur de gaz à effet de serre par habitant.
L’impératif écologique semble loin des préoccupations immédiates des musulmans dans le monde. Certes, le monde musulman vit une période de mutation et les soulèvements qui secouent le monde arabe peinent à ériger la question du réchauffement climatique au cœur de l’agenda politique. Cependant, ils auraient tort de reléguer cette problématique majeure au second plan. Ceux-ci se doivent de prendre sérieusement en considération la réalité d’une menace qui ne les épargnera pas. Et ce, pour trois raisons :
D’abord, l’unanimité des scientifiques ne fait guère plus de doute sur la pertinence d’un phénomène qui aura de très lourds impacts. La planète se dirige vers une augmentation de sa température de 3°C (voire plus) et il semble désormais impossible de contenir le réchauffement à 2°C, seuil qui éviterait un emballement de la machine climatique. Cet horizon est synonyme de lendemains douloureux avec une multiplication des phénomènes climatiques violents (inondations, sécheresse etc). Le monde musulman n’a donc pas le choix : pour contenir ces dérèglements, il faut s’engager dans des politiques volontaristes de réduction des gaz à effet de serre d’autant plus que les premiers touchés seront, pour beaucoup, des populations à majorité musulmane. L’exemple le plus flagrant est celui du Bangladesh : avec plus de 150 millions d’habitants, cet Etat (l’un des plus pauvres de la planète) sera l’un de ceux qui subira de plein fouet les conséquences du réchauffement.
La deuxième raison renvoie à l’éthique du musulman. Ce dernier, s’il souhaite répondre aux exhortations coraniques se doit de préserver l’environnement qui lui a été confié dans la perspective spirituelle d’al amana (le dépôt). La création est en effet, pour le musulman, un don divin. La respecter est une exigence et permet au croyant de renouer avec la tradition prophétique d’un mode de vie écologiquement sain et responsable. Ce mouvement exégétique est aujourd’hui grandement nécessaire tant le décalage est grand entre une insouciance consumériste qui dégrade et la réalité d’un souffle coranique qui érige la nature et son respect en acte d’adoration.
La troisième raison est que la crise écologique est une formidable occasion pour les musulmans d’entrer dans l’ère de la contribution. C’est le moment pour la conscience islamique de rappeler l’exigence du sens dans un monde régit par les impératifs d’un capitalisme sauvage dont le stade ultime est de mettre en péril les possibilités de la vie sur terre. Face à l’appât du gain, à la démesure et à la tendance à un mode de consommation effrénée, il est bon de rappeler et de questionner sur le bien-fondé d’un ordre mondial qui grève l’avenir des générations futures.
Il y a donc urgence à reconsidérer les termes du débat au sein du monde musulman. Alors que certains pays sont déjà victimes du réchauffement de la planète d’autres alimentent, par leur développement tous azimuts, un dérèglement climatique dont ils soupçonnent parfois l’existence. Le cas de l’Arabie Saoudite est à ce sujet frappant. Premier exportateur mondial de pétrole, le pays reste prisonnier d’une logique productiviste et a même été jusqu’à remettre en cause certains travaux scientifiques du GIEC. Alors qu’il détient le monopole de la représentation islamique, on aimerait que ce pays, en accord avec les principes fondamentaux de l’islam qu’il prétend appliquer, mette un terme à la boulimie énergétique qu’il incarne.
Ce retournement de problématique doit s’accompagner d’un mûrissement de la pensée musulmane contemporaine, aujourd’hui trop silencieuse sur ces défis. Ici, le rôle des musulmans d’Occident est primordial. A l’heure du village mondialisé, il leur appartient d’interpeller leurs coreligionnaires dans le monde sur l’importance d’une mobilisation plus affirmée dans un domaine qui mérite de conjuguer les efforts de toutes les composantes de la famille humaine. Le dérèglement du climat qui nous attend a ceci de particulier qu’il nous force à réfléchir sur la signification de faire partie d’une communauté humaine écologiquement interdépendante. Comme le soulignait Benjamin Franklin, « nous devons rester solidaires les uns des autres ou nous mourrons solitaires ». Le désir de justice n’a, il est vrai, pas d’assignation communautaire.