Les nuages amplifient la crise climatique

- Publicdomainpictures/CC0/ Linnaea Mallette
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L’évolution des nuages aura des effets sur le dérèglement climatique, indique une nouvelle étude. Certains nuages devraient être moins refroidissants, quand d’autres risquent d’avoir un effet de serre plus important.
Intensification des précipitations, aggravation des sécheresses, ralentissement de la circulation océanique... Si les phénomènes liés au réchauffement climatique sont bien connus, les effets sur les nuages, eux, le sont bien moins. Leur nombre, leur altitude et leur épaisseur devraient pourtant évoluer avec l’augmentation de la température globale. De quoi atténuer ou amplifier le dérèglement climatique ? Une étude publiée fin juillet dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences renforce la seconde hypothèse : selon ses auteurs, la probabilité que ces changements aggravent le réchauffement climatique s’élève à 97,5 %.
À l’aide d’un algorithme d’une intelligence artificielle, les chercheurs ont pu estimer plus finement la manière dont les vents, la température et le taux d’humidité de l’air influent entre autres sur les nuages. Ils ont ainsi pu prédire avec précision comment cirrus, stratus et autres cumulus devraient évoluer dans les années à venir, confirmant les résultats d’autres études. Tout comme le dégel du pergélisol — causé par l’augmentation de la température — devrait relâcher des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, l’altération de la couverture nuageuse aggravera très certainement le problème.
Les raisons sont très complexes, note Paulo Ceppi, climatologue à l’Imperial College de Londres et coauteur de cette étude. En simplifiant, on peut diviser les nuages en deux types : les nuages bas, qui ont souvent un aspect cotonneux et se situent à un ou deux kilomètres d’altitude, et les nuages hauts, qui s’observent au sein des couches supérieures de l’atmosphère. Les premiers sont comparables à des parasols : ils rafraîchissent la planète en réfléchissant les rayons du soleil vers l’espace. Les seconds agissent à l’inverse comme une couverture : ils bloquent une partie du rayonnement infrarouge émis par la Terre, empêchant ainsi la chaleur de s’échapper de l’atmosphère.

Un effet de serre plus important
Les nuages bas, par leur effet refroidissant, contribuent donc à une température vivable sur Terre. Problème : le réchauffement climatique devrait entraîner une diminution de la fraction couverte par les nuages bas. « Lorsque l’océan se réchauffe, l’air situé à sa surface se réchauffe également ; il peut donc contenir davantage de vapeur d’eau et s’humidifie, explique à Reporterre Camille Risi, chargée de recherche au CNRS et spécialiste des nuages et de leur rôle dans le climat. L’air situé dans la moyenne troposphère [à environ cinq kilomètres d’altitude] ne s’humidifie en revanche pas autant. Lorsque le contraste d’humidité entre l’air proche de la surface et celui de la moyenne troposphère augmente, le mélange qui a lieu en permanence dans l’atmosphère assèche les couches les plus basses, et réduit donc la quantité de nuages. » Leur effet « refroidissant » risque donc de diminuer.
L’effet « couverture » des nuages hauts devrait en revanche augmenter. « L’atmosphère devrait s’étirer avec le réchauffement climatique », remarque Paulo Ceppi. Les nuages hauts devraient donc grimper dans le ciel. Malheureusement, « plus ces nuages sont hauts, plus leur effet de serre est important », poursuit le climatologue. C’est la combinaison de ces deux phénomènes (la réduction du nombre de nuages bas « refroidissant » et l’augmentation de l’altitude des nuages hauts) qui devrait amplifier le réchauffement du climat.
Mieux évaluer les conséquences
Si cette étude ne « révolutionne pas » le domaine, selon Camille Risi, elle fournit de nouveaux indices attestant qu’une modification des nuages intensifiera très probablement le réchauffement climatique. « Il faut un faisceau d’indices concordants pour arriver à une certitude, note-t-elle. Cette étude participe à l’enrichissement de ce faisceau, qui se nourrit également de la compréhension des phénomènes physiques, des données paléoclimatiques, etc. »
Cette accumulation de preuves est d’autant plus importante que la rétroaction nuageuse demeure la principale source d’incertitudes sur l’amplitude du changement climatique à venir. Les nuages sont en effet difficiles à intégrer aux modèles climatiques, ces programmes informatiques très puissants qui simulent la manière dont le système climatique devrait évoluer en fonction de la quantité de gaz à effet de serre que nous émettons dans l’atmosphère. On considère qu’un doublement de la concentration de CO2 devrait augmenter la température terrestre d’environ 3 °C. Les différents modèles évaluent cependant de manière radicalement différente la contribution des nuages à ce réchauffement : pour certains, elle s’élèverait à 1,4 °C, et à 0 °C pour d’autres.
Sans épuiser le débat, cette étude devrait permettre de mieux évaluer les conséquences de la rétroaction nuageuse sur le climat. En s’appuyant sur leurs résultats, les auteurs estiment qu’un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère [1]devrait réchauffer la planète de 3,2 °C — une température aux conséquences catastrophiques pour les êtres humains et la biodiversité. Sans réduction massive et immédiate de nos émissions de gaz à effet de serre, elle devrait malheureusement continuer à croître.