Les plans de relance mondiaux dopent les émissions de CO2

Les émissions de CO2 devraient atteindre un niveau recard d’ici 2023. - Pxhere/CC0
Les émissions de CO2 devraient atteindre un niveau recard d’ici 2023. - Pxhere/CC0
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Climat Politique ÉconomieLes émissions mondiales de CO2 devraient atteindre un niveau record en 2023, alors que les fonds alloués aux énergies propres dans les plans de relance des États sont encore très faibles, relève un rapport de l’Agence internationale de l’énergie.
La mise en pause de l’économie mondiale au printemps 2020 avait nourri l’espoir d’une relance « verte ». Le « monde d’après » la pandémie de Covid-19 pourrait cependant être encore plus polluant que celui d’avant, selon un rapport publié le 20 juillet par l’Agence internationale de l’énergie (AIE). D’après l’organisation internationale, seulement 2 % des fonds débloqués par les États pour relancer l’économie ont jusqu’à présent été affectés au développement des énergies « propres ». Si les gouvernements ne relèvent pas leurs ambitions, les émissions mondiales de CO2 devraient atteindre un niveau record en 2023, et continuer de croître au cours des années suivantes.
Plus de 800 mesures adoptées par cinquante pays ont été analysées par l’Agence. Ses calculs montrent que seulement 380 milliards de dollars (environ 322 milliards d’euros) sur près de 17 000 milliards de dollars ont été consacrés par les États à des projets énergétiques « durables » dans le cadre de leurs plans de relance. Des investissements largement insuffisants pour faire face de manière adéquate à la crise climatique : selon l’AIE, les dépenses annuelles que les gouvernements envisagent d’allouer aux énergies renouvelables entre 2021 et 2023 ne représentent que 35 % du budget nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Ce pourcentage tombe à 20 % dans les pays émergents et en voie de développement, contre 60 % dans la plupart des pays du G20.
Des résultats « très inquiétants »
Le directeur exécutif de l’AIE, Fatih Birol, a confié dans les colonnes du Guardian trouver ces résultats « très inquiétants ». « Non seulement les investissements dans les énergies propres sont loin de ce qui serait nécessaire pour mettre le monde sur la voie de la neutralité carbone d’ici 2050, mais ils ne sont même pas suffisants pour éviter que les émissions atteignent un nouveau record », a-t-il regretté dans un communiqué de presse. L’économiste appelle les pays les plus riches à respecter leurs engagements de 2015 dans l’Accord de Paris, notamment en soutenant financièrement les pays en voie de développement dans leur processus de décarbonation.
Les chiffres de l’AIE confirment ceux de nombreux autres rapports publiés au cours des derniers mois. En mars, après avoir analysé plus de 3 000 politiques fiscales, l’Observatoire mondial de la reprise était parvenu à la conclusion que seulement 18 % des dépenses consacrées par les cinquante plus grandes économies du monde à la relance auraient des conséquences positives sur le climat et l’environnement. Plus récemment, le cabinet de conseil britannique Vivid Economics a publié une étude démontrant que seulement un dixième des fonds consacrés par les gouvernements à la reprise économique a été versé à des projets contribuant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou à la restauration des milieux naturels. À l’inverse, près de 3 000 milliards de dollars (environ 2 500 milliards d’euros) ont été investis dans des activités nuisibles au climat et à la biosphère.

Ce dernier rapport note des différences notables entre les États. Les pays de l’Union européenne sont parmi ceux ayant le plus investi dans des projets durables. 37 % des investissements réalisés grâce aux ƒonds de la facilité pour la reprise et la résilience européenne sont en effet censés lutter contre le changement climatique, le reste des projets ne devant pas nuire à la transition écologique. De nombreux poids lourds de l’économie mondiale, comme la Russie, l’Arabie saoudite, le Mexique et les États-Unis font au contraire partie des mauvais élèves. La Chine et l’Inde sont aussi épinglés par le rapport pour leurs investissements dans des centrales à charbon.
« On peut se demander si ces bouleversements sont réellement perçus comme une urgence »
« Toutes les analyses produites depuis le début de la pandémie ont des méthodologies différentes, et pourtant leurs conclusions sont globalement les mêmes : à l’échelle mondiale, les gouvernements n’ont pas assez investi dans le climat et les solutions basées sur la nature, dit à Reporterre Jeffrey Beyer, économiste pour Vivid Economics et auteur principal de ce rapport. Il y a consensus sur le fait que l’impact de ces plans de relance est globalement plus négatif que positif. »
Selon Henri Waisman, chercheur au sein du programme Climat de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), cette situation révèle « le manque criant de stratégie claire » des différents acteurs de la transition climatique. « Ces plans de relance ont été construits essentiellement en regardant comment était l’économie avant la crise, en colmatant les brèches, indique-t-il à Reporterre. L’essentiel des mesures a été pris en regardant dans le rétroviseur, et non en prenant en compte l’ampleur de la transformation nécessaire et en se demandant comment ces investissements pouvaient y contribuer. »
Le chercheur évoque une « tragédie des temporalités ». La pandémie a en effet poussé les gouvernements à investir dans l’urgence pour relancer l’économie, alors que la transition énergétique requiert une perspective à plus long terme. « Beaucoup d’investissements sont réalisés aujourd’hui sans que nous soyons encore prêts en termes de vision stratégique pour atteindre l’objectif de neutralité carbone, remarque-t-il. Le problème est que la masse d’argent mobilisée pour les plans de relance risque de nous mettre dans des trajectoires desquelles il va être difficile de sortir. Et l’argent sollicité aujourd’hui risque d’être plus compliqué à mettre sur la table plus tard. »
La faiblesse des plans de relance en matière environnementale peut également s’expliquer, selon Jeffrey Beyer, par la vision tronquée de la crise écologique des dirigeants. « Les gouvernements ont mobilisé plus de 17 000 milliards de dollars en quinze mois pour répondre à la pandémie. S’ils perçoivent réellement le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité comme une crise, où est ce niveau d’intervention et d’investissement ? Pour le moment, il ne s’est pas matérialisé. On peut se demander si ces bouleversements sont réellement perçus comme une urgence, ou si nos gouvernants pensent encore que nous pouvons les reléguer au second plan. »