Science du climat : n’oubliez pas les nuages

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ClimatUne importante conférence scientifique sur le climat se tient cette semaine à Paris, et Reporterre la suit au jour le jour. Aujourd’hui, la découverte... qu’il n’y a pas que le CO2 dans la machinerie climatique. Selon les scientifiques, nuages, océans et masses d’air cachent dans leurs interactions la moitié de la réponse à nos interrogations sur l’avenir du climat.
Pour certains géophysiciens, la « pause » du réchauffement climatique diagnostiquée à tort entre 1998 et aujourd’hui a été une bouffée d’oxygène. Car s’il n’y a pas eu plus de ralentissement du réchauffement de la planète, comme l’a montré Thomas Karl et son équipe que d’accord à Copenhague, cette interrogation a eu le mérite de détourner un temps le regard des trop obsédantes émissions de CO2 et gaz à effet de serre pour plonger un oeil au fond des océans.
« La »pause« a enfin permis d’expliquer que le climat, ce n’est pas qu’un taux de CO2 dans l’atmosphère et que d’autres systèmes naturels entrent en jeu », se félicite Sandrine Bony, chercheuse à l’Institut Pierre Simon Laplace. A l’occasion de la journée d’ouverture de la conférence Common Future under Climate Change, l’exposé de l’état des connaissances a permis d’explorer derrière le rideau des gaz à effet de serre les autres rouages du complexe système climatique.
Les nuages font monter le chauffage

Sandrine Bony concentre ses travaux sur les nuages de basse altitude. Derrière le vortex bleu des masses de vapeur tournant au dessus des océans se trouve l’un des plus puissants amplificateurs du réchauffement climatique : « A quantité de CO2 égale dans l’atmosphère, les nuages doublent le changement de température : en maintenant les objectifs et en les retirant de l’équation, la hausse à la fin du siècle ne serait que de 1°C, résume la climatologue. Il s’agit d’une de nos plus grandes incertitudes et les négociations climatiques ne l’évoquent même-pas. »
Il faut aussi analyser le rôle des masses d’airs qui répartissent la chaleur sur la surface de la planète et modifient l’absorption de cette chaleur par les océans. La « pause » apparente du réchauffement pendant quelques années découlerait ainsi d’une augmentation des vents dans le Pacifique qui a étalé les masses d’air chaudes de manière assez homogène à la surface de l’eau pour que celle-ci digère plus le CO2.
La mémoire (climatique) de l’océan
Mais l’accumulation de la chaleur dans les océans contribue à la montée des eaux d’une manière quasi inéluctable. La professeure Kirsten Zickfeld, de l’université canadienne Simon Fraser, prédit ainsi une montée irrémédiable du niveau des mers : « Dans l’hypothèse où nous arriverions à zéro émission de gaz à effet de serre à l’horizon 2100, la quantité d’énergie accumulée dans l’océan profond continuerait de faire augmenter le niveau des mers sur plusieurs siècles », résume la chercheuse, qui s’est basée sur des modèles climatologiques pour calculer l’évolution de la masse des mers en suivant les interactions air-océan.
Et d’ajouter pour clore le débat : « La seule solution qui s’est dégagée pour stabiliser l’expansion des masses d’eau à terme serait d’extraire l’intégralité du CO2 d’origine humaine de l’atmosphère. Mais ça représente des quantités d’énergie inimaginables. »
La pollution qui lutte contre la pollution
Autre paradoxe : certains systèmes s’avèrent plus efficaces pour piéger le carbone quand la pollution augmente ! La découverte vient de Linda Mercado, chercheuse d’origine colombienne à l’université britannique d’Exeter ; elle a étudié l’évolution de la photosynthèse durant les quarante années d’augmentation des aérosols (particules en suspension dans l’air : sulfates, composés organiques ou carbonés, etc.). « En général, seul l’effet »écran« des aérosols est étudié : ils bloquent une partie du rayonnement solaire et nuisent donc à la consommation de CO2 par les plantes. Mais il y en a un second, prévient la scientifique : certaines de ces particules diffusent la lumière, un peu comme les nuages, et lui permettent d’atteindre des zones inaccessibles aux rayonnements du soleil. » Notamment les plantes basses de la canopée, habituellement privées de lumière par l’entremêlement des feuillages.
Dans une étude parue dans Nature, la scientifique s’est penchée sur la canopée durant la période dite de l’assombrissement global (de 1960 à 1999) où l’essor des émissions de particules a réduit le rayonnement solaire au niveau mondial. « Nous avons constaté que la réduction de la luminosité diminuait de 14 % la photosynthèse mais que la diffusion de la lumière jusqu’à des plantes normalement privées de cette énergie augmentait de 24 % la quantité de CO2 absorbée », résume la scientifique. Bilan : l’excès de particules créait 10 % de puits de carbone en plus !

Une complexité à intégrer aux débats
Mais quelle leçon tirer de ces découvertes pour les décisions politiques ? « Nous savons qu’en réduisant les émissions de particules, nous nous privons de ces mini-puits de CO2, il nous faut donc fixer des objectifs de réduction plus ambitieux pour compenser cette perte », tranche Linda Mercado.
« Toutes ces nouvelles pièces du puzzle climatique constituent autant de facteurs d’incertitude qu’il faut intégrer au débat, conclut Sandrine Bony. En France, nous avons parfois l’impression que la recherche est orientée par des questions sociétales. La multiplicité des facteurs d’évolution du climat montre que la recherche fondamentale reste essentielle pour avancer vers des solutions efficaces. »
Vu, lu et entendu à travers la conférence
La banalité des catastrophes
Venue de l’université de Galles du Sud (Australie), Sarah Perkins a calculé l’évolution des risques d’événements climatiques extrêmes de type El Nino dans les années 1980, en 2015... et si la révolution industrielle n’avait jamais existé ! Bilan : alors qu’à l’état « naturel », notre Terre ne s’échaufferait tout rouge qu’une fois tous les cinquante ans, le rythme était d’une fois tous les vingt ans en 1986 et atteint, de nos jours, un incident extrême tous les deux ou trois ans.
Papillon en fuite
Chercheuse à l’Université de Plymouth, Camille Parmesan a fait le point sur l’état des connaissances en ce qui concerne l’adaptation des animaux au changement climatique. La moitié des espèces étudiées ont ainsi modifié leur habitat. Le papillon Empereur Pourpre, qui avait mis vingt ans à traverser la mer Baltique, est remonté de 200 kilomètres vers le nord en cinq ans ! Tout comme les cabillauds de l’Atlantique qui ont migré pour retrouver des eaux à même température. Les espèces de haute altitude, elles, n’ont pas toutes cette chance : bloquées par le plafond des hauteurs, certaines perdent purement et simplement tout possibilité d’habitat.
Les îles du Pacifique ne vont pas disparaître

Tuvalu, Kiribati et consors vont bien, ne vous inquiétez pas pour elles ! Étonnant constat de la chercheuse du laboratoire Littoral Environnement et Sociétés du CNRS Virginie Duvat-Magnan, 83 % des îles coralliennes ont maintenu, voire étendu, leur superficie durant le dernier siècle. Sous cette évolution contraire au sens commun se cachent des mécanismes d’accumulation sédimentaire et de renforcement coralliens qui maintiennent les atolls à flot. De quoi se tranquilliser sur la flottaison des archipels et, comme le souligne la chercheuse, s’intéresser plutôt aux questions de salinisation et de dégradations environnementales qui menacent l’existence des communautés qui les habitent.
Le régime végétarien doit encore se faire sa place au soleil

Converti au régime sans chair animale, j’ai eu l’agréable surprise de découvrir une option « végétarienne » et même « végétalienne » au moment de m’inscrire à la conférence. Las, était-ce le retard à la sortie du point presse, le malchance ou un espoir déçu : au moment d’arriver au buffet ouvert aux participants dans le hall de l’Unesco, la seule alternative aux sandwichs au thon ou aux crevettes empilés sur les tables du déjeuner tenait en une modeste salade de lentille, pois chiche et ananas... Rupture d’approvisionnement ? Tentative d’amadouer la fraction vegan de la recherche internationale par formulaire interposé ? Je tenterai demain d’éclaircir cet étrange écart dans les menus de la conférence.