Reportage — Notre-Dame-des-Landes
Les opposants de Notre-Dame-des-Landes interpellent l’Etat : « Le climat ou l’avion, il faut choisir »

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Notre-Dame-des-LandesLe rassemblement estival des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a attiré près de 15 000 personnes ce week-end. Une mobilisation qui a redonné de l’énergie à la lutte, et un rassemblement axé sur la réflexion. Les débats ont montré que la lutte contre le changement climatique est inconciliable avec la création de nouveaux aéroports.
- Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage
La Gare. Le nom du lieu-dit qui accueille la quinzième édition du rendez-vous d’été des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les 11 et 12 juillet 2015, s’accorde avec la lutte. À notre arrivée, on montre patte blanche : « Vous n’avez pas une tête de journalistes, vous », lâche, rigolard, le bénévole chargé de surveiller le parking. Des jours déjà qu’ils sont des centaines, comme lui, à trimer pour monter les chapiteaux, installer les barrières, les points d’eau, tout vérifier, dans les champs, en plein bocage. Près de 15 000 personnes (environ 7 000 comptées pour chaque journée) ont fait le déplacement, selon la coordination. Avec les années, l’organisation s’est peaufinée, impressionnante.
Et pourtant, toujours ces petits imprévus qui font l’atmosphère si particulière du rassemblement. Un mélange drôle d’invités surprises (les organisateurs n’étaient pas au courant), de gens tranquillement assis ou en pleine sieste au milieu des chemins, d’annonces pour des enfants égarés (signe distinctif, précise le message des hauts-parleurs : « avec une massue à la main »), puis retrouvés (applaudissements nourris).
« On ne veut pas être un Vieilles charrues bis »
Cette année, exit le côté festival des années précédentes. « On se renouvelle. On ne voulait pas être un Vieilles charrues bis. Qui dit gros festival dit gros son, et on avait beaucoup de difficultés à écouter les débats », explique Anne-Marie Chabod, de l’Acipa (Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport de Notre Dame des Landes. De fait, le nombre de débats, de projections, de rencontres a de quoi étancher n’importe quelle soif de comprendre.
- Samedi, tout le monde sous les chapiteaux pour écouter les débats
Alors que dans le même temps, à Bruxelles, des hommes en noir réfléchissent à la manière de réduire l’État grec en cendres, ici, on se cherche plutôt à construire. Dans le chapiteau 1, Gianni Tognioni, secrétaire général du Tribunal permanent des peuples (TPP), est venu parler de l’instruction du dossier déposé en mars dernier par les opposants à plusieurs « grands projets inutiles et imposés » européens, dont Notre-Dame-des-Landes : « C’est la première fois que des peuples européens saisissent le TPP. »
- Gianni Tognioni annonce que le dossier Notre Dame des Landes sera jugé par le Tribunal permanent des peuples
Le dimanche, on parle des Grecs, justement. Intitulé : « Luttons ensemble avec les Grecs contre l’euro-libéralisme destructeur des peuples. » Entre les deux, l’atelier citoyen chargé de fournir une contre-expertise aux études officielles se fait une belle place au soleil, avec quatre conférences. Aussi, beaucoup de choses sur l’écologie, l’énergie, les transports, l’agriculture, la COP21, etc. « Notre-Dame-des-Landes, c’est non à l’aéroport, oui, mais c’est bien plus que ça », résume Geneviève Coiffard-Grosdoy, de l’association Attac, samedi midi.
Décision judiciaire dans les prochains jours
En toile de fond, cette année, la prochaine échéance judiciaire, cruciale, du 17 juillet. Au menu des discussions également, les dernières déclarations du préfet de la Loire-Atlantique insinuant que la promesse présidentielle de ne pas procéder aux expulsions avant l’épuisement des procédures judiciaires pourraient ne pas concerner les appels et les recours devant le Conseil d’État. Tous espèrent cependant pouvoir fêter la victoire en 2016.
Le rassemblement estival est aussi l’occasion de rencontrer d’autres visiteurs autour d’une galette saucisse ou d’une salade vegan/non vegan, à prix fixe ou libre, selon sa sensibilité. A deux pas, devant de la roulotte-restaurant « Black plouc kitchen », un homme torse nu coiffé de fougères joue du tuba. Un autre l’accompagne au violon.
- Plutôt des cerfs-volants que des gros porteurs
Fusil mitrailleur à la sortie
Le temps nettement plus clément que l’an dernier favorise d’ailleurs les discussions. Dans l’autre moitié du champ, une longue série de stands. Une fois par an, associations et partis politiques viennent afficher leur soutien à la cause, y compris le Parti communiste de Vendée, qui a décidé de s’affranchir de la position des instances nationales, en affichant une banderole « Ni ici, ni ailleurs ! Ni capitalisme, ni productivisme, ni aéroport. » Les occupants des Zad de France et de Navarre ont aussi fait le déplacement, avec force brochures et affiches. Une action de blocage d’une usine d’armement de la police à Pont-de-Buis (Finistère), le 25 octobre, est annoncée.
Les uniformes ne sont pas présents que dans les esprits. À la sortie du rassemblement, un barrage, « sur réquisition du procureur », selon les – nombreux – gendarmes déployés. Tous les véhicules sont arrêtés. Papiers, contrôle d’alcoolémie. Fusil mitrailleur, motos, voiture rapide prête à bondir. Retour au monde « normal ».
Climat ou avions, il faut choisir
Le point d’orgue du week-end a été le meeting du dimanche matin. Intitulé "une lutte symbolique au coeur du questionnement sur les enjeux climatiques", il s’agissait de lier la question du trafic aérien et celle du changement climatique.
Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a rappelé les origines militaires de l’aviation : "Cette technologie a d’abord été développée pour tuer, non pour transporter", a-t-il dit, soulignant que les avions présentent un rendement énergétique faible parce que "la technologie militaire cherche la puissance plutôt que le rendement". Pour le transport à longue distance, il a invité à ré-ouvrir le champ des alternatives, entre trains de nuit, dirigeables, avions à hélices...
Ensuite, Lorelei Limousin, spécialiste du transport aérien au Réseau action climat, a indiqué que l’aviation représente au moins 5 % du pouvoir radiatif global en effet de serre. "Si l’aviation était un pays, elle serait au même niveau que l’Allemagne en termes d’émissions de gaz à effet de serre". Plus préoccupant encore, cette part ne cesse de monter, en raison de l’accroissement rapide du transport aérien. Pourtant, les avions échappent à toute taxe, aussi bien à l’international qu’en France, où le kérosène est exonéré et où la TVA sur les vols est à taux réduit. Cela profite-t-il au moins à tous ? Non, puisque "l’avion est utilisé en majorité par les classes sociales les plus aisées"
- Lorelei Limousin, du Réseau action climat, a exposé la lourde responsabilité de l’aviation dans le changement climatique
Des responsables politiques ont ensuite réagi à ces informations. Pour Europe Ecologie Les Verts, Yannick Jadot a rappelé que la COP 21 était sponsorisé… par Air France et souligné le poids du lobby aérien au Parlement européen. Face au monde des grandes compagnies mondialisées, il a plaidé pour « un monde décentralisé, qui préfère le partage à la rente ».
Martine Billard, secrétaire à l’écologie du Parti de Gauche, a stigmatisé le rêve d’aller partout sur la planète : « Il faut faire des choix par rapport aux limites de la planète, et réhabiliter le fait de prendre son temps » appelant à « remettre en cause cette société de consommation qui crée de nouveaux besoins ».
Christine Poupin, porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste, a proposé un « désenvoûtement » de l’aéroport du Bourget : c’est en effet sur ce lieu, site historique de l’aviation et centre de l’aviation d’affaires, que va se tenir la COP 21. Pour elle, il « faut en finir avec la loi du profit et mettre hors d’état de nuire les grands groupes capitalistes ».
« Podemos ! Oui, nous pouvons ! »
Le meeting, animé par Hervé Kempf au nom de Reporterre, comportait un deuxième volet, sur le gaspillage des terres agricoles. Jean-Christophe Robert, porte-parole de l’association Filière paysanne, a rappelé que l’artificialisation des sols se poursuit à un rythme insensé : 60 000 hectares en France chaque année, soit l’équivalent d’un stade de football toutes les cinq minutes, mais aussi près de 400 000 hectares en Europe chaque année, « alors que l’Europe importe déjà un tiers de son alimentation ». Il a souligné que des solutions existaient, et que les luttes étaient essentielles pour les faire émerger, à Notre-Dame-des-Landes, mais aussi à Agen, à Gonesse, à Saclay...
Représentant l’association Nature et culture, Fabrice Jaulin a ensuite exposé le scénario Afterres 2050, qui expose comment une nouvelle agriculture pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en assurant la souveraineté alimentaire. Cela appelle plusieurs politiques : changer l’alimentation, pour y réduire la part des protéines animales au profit des protéines végétales, passer à 50 % des superficies agricoles en bio et 40 % en « agriculture intégrée », réduire la production laitière, développer des énergies agricoles à l’échelle de la ferme et en petites quantités.
Représentant le COPAIN (Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport), Daniel Durand a dénoncé l’illusion que les agrocarburants pourraient réduire les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien : « Pour qu’un seul vol d’A 320 aille vers New York, il faudrait la production de 150 hectares de colza ». La seule voie est selon lui d’aller vers des exploitations agricoles « afterres-compatibles ».
C’était aux politiques de réagir. Pour Christine Poupin, le centre des questions disputées est que « ce système est fondé sur l’appropriation privée de choses qui sont en fait communes ». Yannick Jadot a rappelé que « le climat va devenir un problème majeur pour l’agriculture et pour l’alimentation. La seule solution est l’agriculture paysanne et la relocalisation ». Quant à Martine Billard, elle juge que « pour lutter contre le changement climatique, il faut une remise en cause totale du système ». Une tâche immense ?
« Podemos ! Oui, nous pouvons », a-t-elle conclu. Des mots qui sont au coeur de tous les opposants réunis ce week-end.