Les rivages français ne se préparent pas vraiment à la montée des eaux

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Accentuée par la multiplication des tempêtes, la montée du niveau de la mer provoquée par le changement climatique est inexorable. Mais les rivages s’y préparent mal. Si des bâtiments sont d’ores et déjà évacués, les communes font face à un dilemme : comment continuer à attirer touristes et néohabitants tout en protégeant la population ? Voyage le long de la côte atlantique.
- La Rochelle (Charente-Maritime), correspondance
Il sonne comme un avertissement. Le Signal, immeuble de 4 étages inauguré en 1967 à Soulac-sur-Mer (pointe du Médoc). À l’époque, la Miaca (Mission interministérielle de l’aménagement de la côte aquitaine) organisait l’urbanisation à destination touristique de la côte. Le Signal fut alors construit à 200 m de la mer.
50 ans plus tard, cette marge a fondu et l’immeuble voit le trait de côte s’effriter à quelques mètres de ses fondations. Laissé à l’abandon, il attend patiemment que les expropriations soient confirmées (et le montant des indemnités fixé) pour être enfin « déconstruit ». À moins que, d’ici là, une tempête un peu plus sévère n’entraîne sa chute. Pour l’heure, le contentieux n’est pas réglé entre les propriétaires (qui ont dû quitter les lieux en 2014 et demandent à être indemnisés pour la perte de leur bien) et l’État.
Depuis 70 ans, les communes littorales n’ont cessé de croître en population sous l’effet du développement touristique et de l’arrivée de retraités. « On a trouvé ça bien de vivre à côté de la mer, d’y aller en vacances. Cela correspondait à une période de diminution de l’intensité des tempêtes, constate Emeric Bourineau, membre de l’Université populaire du littoral charentais (UPLC). Mais aujourd’hui, leur force et leur intensité raugmentent. »
« C’est aberrant d’avoir construit sur les dunes »
Entretemps, la mémoire du fonctionnement du littoral n’a pas été transmise, estime-t-il. Seulement son aspect récréatif, et la manne financière qu’il peut rapporter. D’où des constructions en zone inondable (qui ont coûté de nombreuses vies au moment de la tempête Xynthia, en 2010), et plus généralement un manque d’attention à l’évolution du littoral. « Les problèmes actuels sont dus à la mauvaise urbanisation : on a oublié que le littoral n’était pas complètement stabilisé. Pour les anciens, c’est aberrant d’avoir construit sur les dunes », rappelle Vital Baude, conseiller régional délégué au littoral en Nouvelle-Aquitaine.

Or c’est un fait, le littoral recule. Selon l’Observatoire de la côte aquitaine (OCA) dans son rapport de décembre 2016, l’océan avancerait sur le continent de 2,5 m par an en Gironde, et de 1,7 m dans les Landes. En cas de grosse tempête, le recul serait de l’ordre de 20 m d’un seul coup. « À l’horizon 2025, la superficie du littoral exposé à l’aléa d’érosion sur la côte sableuse s’élève à 10,9 km², soit près de 991 terrains de football. En 2050, 20,6 km² de littoral sableux seraient concernés, soit l’équivalent de 1.873 terrains de football », prévoit encore ce rapport. Le phénomène est naturel, et n’a a priori pas encore de lien direct avec le changement climatique. Mais il ne sera que renforcé par la montée du niveau de la mer dans les années à venir.

Les communes situées sur le littoral se retrouvent ainsi dans une situation périlleuse. Selon la Chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine, qui les a auditées, elles doivent à la fois faire face à la « concentration croissante des populations et une concurrence des activités sur un espace aux possibilités d’urbanisation limitées, fragile au plan environnemental et de plus en plus exposé aux risques d’érosion côtière et de submersion marine exacerbés par le changement climatique », selon la synthèse publiée en mai dernier.
Depuis plusieurs années, la réduction des dotations de l’État aux communes force celles-ci à trouver toujours davantage de nouvelles recettes. Pour celles qui ont la chance d’être attractives, le tourisme et l’accroissement de la population ne sont pas négociables. Mais comment maintenir ces dynamiques quand l’océan se fait menaçant ?
« L’importance de cette problématique fait consensus à la mairie, quelle que soit la couleur politique des élus »
À Lacanau (Gironde), une réflexion a été lancée en 2009. Un « forum littoral » s’y tient chaque année afin de faire un point sur le phénomène. « L’importance de cette problématique fait consensus à la mairie, quelle que soit la couleur politique des élus », indique Martin Renard, responsable du service d’urbanisme. En 2012, Lacanau a répondu (avec La Teste-de-Buch, en Gironde, et Labenne, dans les Landes) à l’appel à projets national sur la « relocalisation des activités et des biens ».
« Le front de mer a été construit sur la dune, sur 1,3 km de long. Il est aujourd’hui protégé par un enrochement qui a été refait après les tempêtes de 2013-2014. Pour l’instant, on est tranquille, mais s’il y a de grosses tempêtes tous les 2 ans, on ne pourra pas payer ad vitam pour reconstruire ces protections qui ont coûté plus de 3 millions d’euros », explique Martin Renard. Deux types de scénarios sont donc envisagés : poursuivre la protection de manière plus ou moins dure (réensablement, digue, enrochement…) ; ou bien opter pour la « relocalisation ». « On utilise plutôt le terme de repli stratégique. L’idée n’est pas de déplacer une construction telle quelle, mais de repenser l’aménagement du territoire de manière à équilibrer l’économie. »

Dans l’étude de faisabilité de la relocalisation, réalisée par Lacanau et le GIP (groupement d’intérêt public) Littoral aquitain, le recul du trait de côte est estimé à environ 150 mètres d’ici à 2100. L’étude a délimité un « périmètre de vulnérabilité » large de 200 m. Il comprend 1.200 logements et une centaine de commerces, pour une valeur totale de plus de 300 millions d’euros. Quatre scénarios sont décrits. Trois envisagent des « relocalisations » : le périmètre vulnérable est déconstruit et plus ou moins compensé par la densification urbaine de la partie restante. Le dernier, la « lutte active », envisage la protection durable du front de mer par d’énormes enrochements afin de résister à l’érosion, et même l’augmentation de l’urbanisation afin de créer de nouvelles recettes permettant de financer la protection.
Mais les différentes options de repli coûtent cher : de 250 millions à 600 millions d’euros selon les estimations et les méthodes (le budget de la commune est de 20 millions d’euros). « Aujourd’hui, malheureusement, la commune ne s’est pas décidée sur telle ou telle solution. Les élus locaux n’ont pas toutes les manettes, tant que le positionnement de l’État et des autres institutions n’est pas clair. Ce qui est sûr, c’est qu’il faudra de toute façon protéger le front de mer jusqu’en 2050, le temps que la solution se mette en place », rappelle Martin Renard.
« Plus on attend pour prendre la décision de long terme, plus ça coûtera cher »
Du côté du ministère de l’Environnement, la « stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte » pour 2017-2019 donne la préférence au repli en demandant de « planifier dès à présent la recomposition spatiale du littoral et, lorsque cela est nécessaire, la relocalisation des activités, des biens et des usages » et d’éviter la « défense systématique contre la mer ».
Ce qui bloque aujourd’hui, ce sont les finances, et les outils juridiques qui permettraient de mener à bien ce genre de projet. Députée du Médoc jusqu’en juin dernier, Pascale Got (PS) a porté une proposition de loi sur l’adaptation des territoires littoraux aux changements climatiques. Celle-ci a été bloquée après que des sénateurs en ont profité pour tenter d’affaiblir la loi littorale. Cette proposition de loi aurait permis de créer des « zones d’activité résilientes et temporaires » et des « baux réels immobiliers littoraux ». « Il s’agissait de permettre de délimiter les zones sujettes à l’érosion et de leur donner un fonctionnement particulier : faciliter la préemption, donner le choix aux propriétaires en connaissance du risque, donner des moyens financiers », explique l’ex-députée. « La 2e étape aurait consisté à créer un fonds d’aménagement pour ces opérations », poursuit-elle.

« Plus on attend pour prendre la décision de long terme, plus ça coûtera cher », assure Martin Renard. Selon lui, cette question a tout de même beaucoup avancé depuis 2010 et le passage de la tempête Xynthia. « Maintenant, il faut savoir mettre ça en musique, passer aux actions. C’est là que ça bloque », analyse Pascale Got.
Du côté des associations environnementales, le discours est mitigé. Jean Sireyjol, de l’association Taca, à Bordeaux : « Je trouve super que les communes littorales se préoccupent de l’évolution du trait de côte, qu’elles regardent le problème en face. C’est à force d’en parler qu’on se rendra compte qu’il faut des changements encore plus drastiques », pense-t-il. Lui intervient pour rappeler les hypothèses plus alarmistes : « La dynamique de long terme du réchauffement, même avec une température moyenne du globe à + 2 °C, pourrait entraîner une hausse de 6 m du niveau de la mer, selon des climatologues. C’est un enjeu gigantesque, mais ces données ne font pas encore partie des discussions. » Pascale Got confirme : « À ce jour, il y a des réflexions sur cette problématique qui va vite arriver, mais aucune politique publique. Il est urgent de s’y attaquer. »