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Politique

Les transports, enjeu majeur des élections régionales en Île-de-France

Derrière la « sécurité », il y a les problèmes que peuvent vraiment résoudre les régions, alors que le premier tour des élections régionales a lieu dimanche 6 décembre. Les transports sont l’une des prérogatives des nouvelles régions. En Île-de-France, où les réseaux sont saturés, les candidats ont multiplié les propositions tous azimuts. Quitte à frôler l’irréalisme.

Métro, RER, tramways, autobus… Chaque jour, environ 8,3 millions de déplacements sont effectués dans les transports en commun franciliens. C’est donc tout naturellement que les candidats aux élections régionales d’Île-de-France en ont fait un thème central de la campagne 2015.

Le conseil régional élu en 2010, présidé par le socialiste Jean-Paul Huchon, laisse un bilan contrasté. Le socialiste François Kalfon, conseiller régional et actuel président de la Commission transport, salue « le mandat de la mise en œuvre de la révolution des transports ». « Il y a quinze ans, se félicite Pierre Serne, vice-président EELV du conseil régional chargé des transports. le budget transports de la région était aux deux tiers pour la route, aujourd’hui on est passé à 90 % pour les transports en commun », « Il y a eu une prise de conscience, dire le contraire serait mentir », admet Stéphane Beaudet, tête de liste LR-UDI-MoDem en Essonne, tout en pointant des failles et des retards.

« La situation reste critique »

Mais pour la Fédération nationale des usagers des transports en commun (Fnaut), « la situation reste critique » : pas d’amélioration de la ponctualité sur les lignes les plus chargées, augmentation du trafic, peu de progrès sur les connexions de banlieue à banlieue… « Même les réalisations récentes sont déjà saturées », déplore Marc Pélissier, président de Fnaut Île-de-France.

À ce problème, les réponses des candidats sont très proches. Premier point commun, aucun candidat ne compte revenir sur le Pass Navigo à tarif unique. Pierre Serne (EELV) réclame même la gratuité pour les moins de 6 ans et le Front de gauche souhaite carrément « aller vers la gratuité des transports en commun » en commençant par un Pass Navigo gratuit pour les moins 18 ans et les chômeurs, et à 35 euros pour les seniors.

« Liste au père Noël »

Autre objectif consensuel, réduire les temps de trajet : renouvellement du matériel, renforcement de l’offre de bus en grande couronne, services de nuit, création de parkings à proximité des gares… « En 2021, toutes les rames des lignes RER et Transilien seront neuves ou totalement rénovées », promet la droite dans son programme, pendant que les socialistes promettent un réseau entièrement automatisé en 2025.

Parmi les projets d’ampleur soutenus par les têtes de liste PS et LR-UDI-MoDem : le Grand Paris Express. Ces quatre lignes de métro automatiques, plus l’extension de deux lignes existantes, doivent réduire à la fois la saturation du réseau parisien et l’isolement des habitants de la grande couronne.

Le Grand Paris.

La Fnaut reste « sceptique sur la rapidité avec laquelle les candidats promettent de tout changer ». Par exemple, elle estime qu’il manque encore 250 millions d’euros pour financer le Grand Paris. « On préfèrerait une liste plus réduite de priorités mais des engagements plus fermes. Les programmes font figure de liste au père Noël », regrette Marc Pélissier.

Éric Coquerel, tête de liste Front de gauche à Paris, se prononce en faveur d’un projet moins ambitieux qui favorise « les transports du quotidien, plutôt que des lignes express qui ne serviraient qu’aux décideurs qui veulent aller plus vite d’Orly à Roissy ». Pour Pierre Serne (EELV), le projet du Grand Paris doit être aménagé sur certaines lignes, « en remplaçant le métro par un mode plus léger » de type tram ou bus. D’autant que certaines lignes doivent passer par des terres agricoles et naturelles, rappelle la tête de liste dans le Val-de-Marne. La candidate FN Audrey Guibert, elle, fustige ce qu’elle appelle « le grand huit », « budgétivore et titanesque ». « C’est de la démagogie et cela va peser sur la fiscalité des entreprises », regrette-t-elle.

Lutte contre la pollution

Mais en attendant le Grand Paris, qui ne sera terminé qu’à l’horizon 2030, l’Île-de-France manque de trains. « Le problème, ce sont les heures de pointe, explique Bruno Marzloff, sociologue spécialiste des questions de mobilité. On est obligés de calibrer le réseau sur ces heures là, c’est absurde ! » En plus des solutions évoquées ci-dessus, le PS mise donc sur « la gestion en temps réel du trafic » et, à terme, un fonctionnement des transports en commun 24 h/24. Les candidats envisagent également de demander aux entreprises d’aménager les horaires de travail pour « désaturer » l’heure de pointe.

Autre option relativement rapide à mettre en place pour absorber le trafic : améliorer le réseau de bus. Pour le PS, « doubler le plan bus » et mettre en place des bus de nuit en grande couronne. EELV s’engage à ce que la correspondance de 100 % des bus soit garantie jusqu’à la fin du service, et la droite promet 1.000 nouveaux bus pour la grande couronne.

Plus de bus et de trains, mais moins de voitures… La lutte contre la pollution, elle aussi, se retrouve sur toutes les listes. Priorité évidente des écologistes, elle passe par plusieurs points précis : le covoiturage afin de passer de 1,2 voyageur par véhicule à 2, la sortie du diesel notamment par la promotion de la voiture électrique, le développement du vélo, et la réduction du nombre de véhicules en circulation en favorisant le report modal. Dans la même dynamique, François Kalfon (PS) propose « des voies réservées au covoiturage et aux véhicules en autopartage ». Il indique aussi qu’une prime, complémentaire de la prime de l’État, pourrait être accordée à ceux qui changent leur véhicule diesel et promet une conversion de l’ensemble du parc de bus à l’hybride puis à l’électrique

Forces de sécurité

À droite, la route prend plus de place dans les programmes. Valérie Pécresse propose d’élargir certains tronçons autoroutiers autour de Paris, garantie pour elle de la diminution des embouteillages et donc de la pollution. La candidate FN, elle, veut bien « lutter contre les embouteillages » en réaménageant les points d’étranglement, mais refuse « la persécution des automobilistes ».

La sécurité est aussi un sujet qui préoccupe tous les candidats. De la lutte contre la fraude – qui coûte aujourd’hui 188 millions d’euros par an à la RATP – au renforcement de la vidéosurveillance, aucun ne prend le sujet à la légère. Chez Bartolone comme chez Pécresse, on veut réorganiser les forces de sécurité pour qu’elles n’aient plus qu’une seule direction.

Sans surprise, Audrey Guibert (FN-RBM) propose l’option la plus extrême avec « au moins un binôme d’agents de sûreté dotés de prérogatives judiciaires armés » dans chaque gare de l’ouverture à la fermeture. Sur les listes d’union de la droite, on veut instaurer la détention obligatoire de la carte d’identité, et la mise en place de portiques de sécurité dans les grandes gares. Éric Coquerel (FG), qui estime que « le tout vidéo ne règle rien », et Pierre Serne (EELV) se démarquent. Pour ce dernier, la présence humaine est très dissuasive et doit être renforcée et prolongée la nuit.

Besoins de déplacement

Enfin, la politique des transports ne peut pas être dissociée d’une politique territoriale, rappelle le sociologue Bruno Marzloff : « La moitié des actifs du territoire francilien sort quotidiennement de son bassin de vie pour aller travailler ailleurs. » La faute à la centralisation : les emplois sont à Paris et à l’ouest, et les logements en périphérie et à l’est. « On ne résoudra pas le problème en augmentant l’offre de transports », résume-t-il, mais plutôt en diminuant les besoins de déplacement.

Les candidats affirment avoir cerné le problème. « Les accords de télétravail doivent être promus », avance François Kalfon (PS), Eric Coquerel (Front de gauche) va plus loin : « Aujourd’hui, la région consacre 230 millions par an aux entreprises : on peut mettre des critères sur la relocalisation », estime-t-il. Il prône également l’abandon de projets tels qu’Europa City, centre commercial et de divertissement prévu à proximité de Roissy, car « ces pôles se construisent au détriment de l’économie locale ».

Les grands objectifs semblent tous aller dans le même sens en vue des élections régionales. Mais si les grands projets et les rénovations prennent encore du retard, c’est la grande couronne – que tout le monde prétend défendre – qui sera pénalisée.


LES TRANSPORTS, PLUS D’UN TIERS DU BUDGET DE LAGION

Les transports représentent plus d’un tiers du budget de la région. Et les leviers pour augmenter les recettes sont peu nombreux. Parmi les pistes de financements la droite mise sur les économies. En supprimant les « dépenses inutiles » de la région, et en déménageant son siège en banlieue, Stéphane Beaudet pense pouvoir économiser 450 millions d’euros, et compléter le budget en modifiant le système d’emprunts et en obtenant des subventions européennes. À sa droite, Audrey Guibert refuse de « faire subir une pression fiscale » supplémentaire aux PME et PMI et réclame aussi des « coupes dans les dépenses de fonctionnement ». Comme la droite de Valérie Pécresse l’a inscrit dans son programme, le FN prévoit la « fin de la quasi-gratuité du Pass Navigo pour les personnes en situation irrégulière ».

Au PS, on entend bien profiter d’un coup de pouce du gouvernement et « récupérer 800 millions par an auprès de l’État » pour améliorer les infrastructures, mais aussi bénéficier de quelques subsides européens. Éric Coquerel prend le contrepied : « On est la seule liste à ne pas accepter le cap de l’austérité pour l’IDF. (…) On peut augmenter les moyens de la région sous formes d’emprunts et de taxes et attaquer l’État pour récupérer 1,7 milliard d’euros non donnés en même temps que les transferts de compétences. (…) On envisage aussi de taxer d’avantage les parkings des supermarchés, ce qui rapporterait 130 à 140 millions d’euros », énumère-t-il.

Enfin, l’écotaxe poids lourds régionale est présentée comme un nouvel argument financier. Le PS y voit une manne pour 200 millions d’euros annuels en affranchissant les camions franciliens. En réalité, les recettes qui pourraient en découler restent floues et l’État devra se prononcer sur la question.

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