Lyon-Turin : la mobilisation totale de l’État italien

Le responsable d'extrême droite italien Matteo Salvini en visite médiatique sur le chantier du Lyon-Turin, en juin 2021. - © Mauro Ujetto / NurPhoto via AFP
Le responsable d'extrême droite italien Matteo Salvini en visite médiatique sur le chantier du Lyon-Turin, en juin 2021. - © Mauro Ujetto / NurPhoto via AFP
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Transports Luttes Grands projets inutiles EuropeL’Italie a engagé plus de quatre milliards d’euros pour la construction du tunnel Lyon-Turin. Et mobilise chaque année des centaines de milliers d’agents pour en protéger les chantiers.
Milan (Italie), correspondance
Le gouvernement italien est rassuré. Début juin, Clément Beaune, le ministre français des Transports, a promis trois milliards d’euros pour réaliser les voies d’accès au tunnel de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Depuis que Paris avait évoqué un report de ce chantier à 2045, les voisins transalpins voyaient rouge. Pas question que la France change d’avis ou retarde les travaux, avait prévenu Matteo Salvini, dans Le Figaro, fin mai.
En décembre 2022, alors qu’il venait d’être désigné ministre des Transports, le leader du parti d’extrême droite italien La Ligue annonçait déjà la couleur : sur la ligne Lyon-Turin, « nous foncerons comme des trains », avait-il promis.
Un chantier à près de 10 milliards d’euros
Mais l’engouement italien pour ce projet remonte bien avant Matteo Salvini. Et pour qu’il voie le jour, la péninsule n’a pas lésiné sur les moyens. À ce stade, seulement pour la section transfrontalière, qui inclut un tunnel de 57,5 km de long, le pays a déjà alloué plus de quatre milliards d’euros, selon les chiffres fournis par Tunnel Euralpin Lyon-Turin (Telt), le promoteur chargé de construire le tunnel.
Au total, le coût de ce chantier — réparti entre les deux pays — est estimé à 9,6 milliards d’euros. Un montant en partie remboursé par l’Union européenne (entre 40 et 50 %). À cela, il faut ajouter les travaux sur le territoire national. Résultat : même avec l’intervention de l’Europe, au moins cinq milliards d’euros sortiront des caisses italiennes.
« Les prévisions de trafic étaient insuffisantes pour justifier un tel projet »
Une somme considérable pour un projet jugé inutile par ses opposants. En plus des dommages écologiques et sur les sources d’eau, l’une des critiques porte sur le trafic de passagers et de marchandises. Selon les promoteurs du projet, la ligne permettrait de désengorger les routes des vallées alpines en favorisant le transport sur le rail.
Un argument balayé par Marco Ponti, économiste des transports et auteur d’une analyse coûts-bénéfices, commandée par l’exécutif en 2019. Malgré les attaques des défenseurs de la ligne ferroviaire et le débat soulevé par son étude, l’économiste n’en démord pas : « D’après nos calculs, les prévisions de trafic étaient insuffisantes pour justifier un tel projet », explique-t-il. Un même argument répété du côté français.
Des centaines de milliers de policiers
Parallèlement, l’Italie investit dans des moyens sécuritaires de grande ampleur dans le Val de Suse. En moyenne depuis 2011, entre 180 000 et 200 000 agents des forces de l’ordre sont employés par an, dans un système de rotation, pour protéger les chantiers de Chiomonte et San Didero contre les actions des opposants au projet. Les dépenses en sécurité ont atteint jusqu’à huit millions d’euros annuels.
Ces estimations ont été présentées en janvier 2023, lors d’un procès visant des militants du mouvement No TAV, créé il y a trente ans contre la ligne Lyon-Turin. La préfecture de Turin les a confirmées mais n’a pas souhaité les commenter.
« Il ne verra jamais le jour »
Les sites de Chiomonte et San Didero ressemblent à « des bases militaires avec des barbelés et des centaines d’hommes qui surveillent », décrit Francesco Richetto, un militant No TAV de 43 ans. « En militarisant immédiatement le territoire, ils ont dû penser pouvoir affaiblir et même détruire le mouvement qui s’opposait au projet. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé ».
Pour Francesco Richetto cela ne fait aucun doute : la résistance des opposants a permis de ralentir l’avancement du projet. Et d’éviter la multiplication des chantiers. « Ouvrir un chantier veut dire le militariser, peut-être faire des opérations de police ou judiciaires contre les activistes… Tout cela a un coût », explique-t-il.
En avril, Maurizio Bufalini, vice-directeur de Telt, assurait toutefois que le projet était bien dans les temps. « Le premier train passera en 2033 », a-t-il affirmé. Francesco Richetto a encore du mal à y croire : « On est quasiment sûr qu’il ne verra jamais le jour. Mais c’est clair qu’il ne faut rien lâcher ».