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ReportageGrands projets inutiles

Manifestation contre la désastreuse centrale à biomasse de Gardanne

Dimanche matin, quatre cents manifestants sont venus dénoncer à Gardanne (Bouches-du-Rhône) le projet faussement écologique de la société E.ON. La multinationale de l’énergie veut transformer une unité de la centrale thermique de Provence pour y faire brûler des masses énormes de bois.

-  Gardanne, reportage

Ce dimanche matin, encerclés par l’imposant marché hebdomadaire de la ville ouvrière, quatre cents manifestants sont venus dénoncer une « biomascarade ». Elus, responsables d’associations, syndicalistes, citoyens, ils viennent des territoires concernés par l’aire d’approvisionnement en bois de la centrale et par les nuisances de son fonctionnement : Cévennes, Luberon, Pays de Forcalquier, Hautes-Alpes, Baronnies Provençales, Pays d’Aix, Gardanne, Marseille.

Durant une heure et demie, les prises de parole se succèdent sur le parvis de la mairie. Claude Calvet, du Collectif vigilance citoyenne sur la biomasse de Gardanne, dénonce la spéculation financière menée par E.ON, avec l’aide des subventions publiques. Pour lui, outre le manque d’information et de concertation publique, le scandale est économique. Pour encourager la méga-centrale et le profit de ses actionnaires, le recours à l’argent public serait engagé trois fois. Par le biais des subventions, par la contribution au service public de l’électricité payée par les consommateurs et par les impôts locaux finançant les infrastructures nécessaires à l’approvisionnement. Comme des routes au gabarit adapté pour les camions transportant le bois.

Selon Nicholas Bell, du Collectif SOS forêt du sud, « l’appétit démentiel du mastodonte E.ON » n’est pas un cas isolé. Le recours à la biomasse se fait de plus en plus à travers le monde. Il s’agit de « fausses solutions écologiques qui sont de véritables menaces pour la planète de la même façon que les agro-carburants ». Il donne l’exemple du Royaume-Uni où le développement industriel de la biomasse nécessiterait 60 millions de tonnes de bois par an. Ce qui correspond à neuf fois la production forestière de l’ensemble du pays.

D’autres membres de collectifs et d’associations font part des difficultés économiques et environnementales imposées par la centrale sur leur territoire. Tous s’accordent pour dire que c’est la régénération de la forêt méditerranéenne qui sera mise à mal.

Des syndicalistes de l’Office National des Forêts, CGT et solidaires, assurent que l’ensemble des organisations professionnelles de leur secteur sont opposées. Des élus de la région affirment leur volonté d’enterrer le projet. Parmi eux, Hervé Guerrera (Parti Occitan) et Christian Desplat (EELV) conseillers régionaux, Karine Berger, députée PS des Hautes-Alpes, Michèle Rivasi eurodéputée EELV.

François-Michel Lambert, député EELV de Gardanne, par ailleurs vice-président de la commission développement durable et aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale, se contente d’une timide demande de moratoire.

Bataille pour l’emploi

Au moment même où se déroulait la manifestation en centre-ville de Gardanne, le syndicat CGT énergie organisait un rassemblement devant l’entrée de la centrale pour affirmer la volonté de défendre l’emploi. Le passage à la biomasse lui paraît une nécessité pour pérenniser les emplois sur site. En juillet, les ouvriers de la centrale thermique de Gardanne sortaient de six mois de grève contre un plan social voulu par E.ON. La suppression de 215 postes en France dont 20 à Gardanne était en jeu.

La centrale thermique a été pensée pour brûler le charbon sorti de terre localement. Très énergivore, l’usine d’alumine (connu pour ses rejets de boues rouges) profite directement de cette source d’énergie. Le début de la chaîne a disparu en 2003. En février de cette année-là les mines de charbon ferment définitivement leurs portes. Depuis cette date, l’emploi industriel est en perte de vitesse sur l’ancien bassin minier.

Aujourd’hui, la ville de Gardanne connaît un taux de chômage de 14 %. Soit deux points de plus que la moyenne des Bouches-du-Rhône. La municipalité PCF soutient pour les même raisons d’emploi le projet E.ON. Juste avant de rempiler pour un septième mandat, le maire Roger Meï déclarait dans les colonnes du Monde : « Les Gardannais ne sont pas inquiets. C’est une ville industrielle et quand ils voient fumer les cheminées, ils sont contents, ça veut dire qu’il y a du travail ». La plupart des Gardannais rencontrés sur le marché ce dimanche ne sont pas informés du projet de centrale biomasse.

Des ouvriers sous pression

Après la dispersion du rassemblement en centre-ville, une trentaine d’opposants au projet d’E.ON se sont rendus en voiture à la centrale pour rencontrer les ouvriers. Alors que les voitures font le tour du rond-point devant la centrale pour chercher à se garer, quelques ouvriers se montrent agressifs. « Rentrez chez-vous ! Vous savez que ça va mal se passer ! » lance l’un d’eux.

Les gendarmes sont présents, prêts à s’interposer. Les opposants à E.ON s’approchent en groupe du portail de l’usine. Une quinzaine d’ouvriers roulent des mécaniques en allant vers eux. Ils se rencontrent aux abords du rond-point. Sous la conduite du secrétaire générale CGT, Nadir Hadjali, la discussion s’engage entre les deux groupes. Elle est cordiale et les plus véhéments renoncent à en venir aux mains.

Les anti E.ON proposent de faire se rejoindre les luttes et de « réfléchir ensemble sur comment on consomme et comment on travail ». Nadir Hadjali leur répond : « Si vous continuez à demander la fermeture de la centrale, vous nous verrez jamais avec vous. Je veux que ma fille ait à manger. Demander la fermeture de la centrale, c’est une attaque directe aux familles ».

Tous tombent d’accord sur le fait que « ce qu’il faut abattre, c’est le capital ». L’autre secrétaire général CGT de la centrale, Nicolas Casoni précise qu’il ne défend pas « l’appétit capitaliste des patrons ». Il ne veut pas pour autant de « décroissance ». Son syndicat réfléchit aussi aux problèmes environnementaux et souhaite apporter des solutions.

La centrale est desservie par une ligne ferroviaire et il propose le doublement de la voie pour faire venir le bois en train. Les deux secrétaires généraux ont été mis-à-pied par la direction d’E.ON puis réintégrés durant la dernière grève.

Les cégétistes demandent aux anti E.ON pourquoi aucun d’eux n’est venu les soutenir et les rencontrer durant les six mois de lutte qu’ils ont traversés. La discussion se termine avec des échanges de coordonnées dans le but de se revoir pour la poursuivre.


UN PROJET ANTI-ECOLOGIQUE

Fidèle à l’esprit du Grenelle de l’environnement, Eric Besson, alors ministre de l’industrie, défendait en 2011 le développement de centrales thermiques fonctionnant à la biomasse partout en France. Le combustible de ces centrales se constitue de bois et de déchets végétaux. L’Etat s’est engagé à subventionner ce type de projet, à condition qu’ils mettent en place une cogénération. C’est-à-dire que la fourniture d’énergie soit double : électricité et eau chaude pour le chauffage collectif.

A Gardanne, la multinationale E.ON qui exploite la centrale thermique ne propose pas de cogénération pour l’unité qu’elle souhaite passer à la biomasse. L’Etat a tout de même consenti une dérogation pour verser des subventions dans le but de créer la plus importante centrale biomasse de France : 150 Mégawatts pour 850 millions de tonnes de bois par an parties en fumées.

Selon Pierre-Jean Moundy, ingénieur forestier, responsable des relations institutionnelles biomasse chez E.ON, l’approvisionnement se fera durant les dix premières années avec 40% d’importation des pays baltes, d’Espagne et d’Amérique du Nord, le reste venant de territoires dans un rayon de 400 km autour de la centrale.

Au bout de dix ans, l’objectif est d’arrêter les importations, après structuration de la filière dans les 400 km. 1,5 milliard d’euros d’aides publiques seront engagées sur vingt ans au motif d’encourager les énergie renouvelables.

Dans la région, d’autres projets entrent en concurrence avec E.ON. La papeterie de Tarascon (Bouches-du-Rhône) a des besoin similaire à ceux projetés de la centrale de Gardanne. Elle importe déjà une partie de son bois. La centrale biomasse de Pierrelatte (Drôme) et celle en devenir d’Inova à Brignoles (Var) nécessiteront aussi des volumes considérables de biomasse : de 150 000 à 180 000 tonnes pour chacune. Autant de besoins qui font craindre une surexploitation de la forêt et une pollution atmosphérique importante due au transport par camion (sept cents par jour vers la centrale de Gardanne), aux poussières de bois de la transformation en plaquette (faite sur place dans une zone fortement urbanisée) et aux particules fines issues de la combustion.

Huit communautés de communes et trente-trois communes se sont exprimées officiellement contre ce projet. Le Conseil Régional de PACA demande un moratoire.

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