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ReportageClimat

Marches pour le climat : l’union des « fins du mois » et des « fin du monde »

Le samedi 8 décembre, des dizaines de milliers de personnes ont marché, à travers la France, pour sonner l’alarme climatique et sociale. À Paris, un cortège massif et bon enfant a cheminé, pacifiquement, de Nation à République.

  • Paris, reportage

Ce samedi 8 décembre, il n’est pas tout à fait quatorze heures et la place de la Nation est encore clairsemée. Les bouches de métro délivrent des grappes de citoyens en ciré, en parka ou en polaire, parapluies sous le coude. De nombreux gilets jaunes fluo frappent l’œil, contrastant avec la morosité du ciel grisonnant.

Les groupes éparpillés autour de la place longent Le Triomphe de la République, le monument central, et rallient peu à peu l’avenue Philippe-Auguste. « On est plus chaud, plus chaud, plus chaud que le climat », chante la rue. Les voix s’amplifient à mesure que l’artère se garnit.

Gabriel Mazzolini, béret vissé sur la tête, donne le coup d’envoi de la troisième marche pour le climat, succédant à celles du 8 septembre et du 13 octobre. « On nous avait dit qu’il ne fallait pas le faire », clame le chargé de mobilisation aux Amis de la Terre, en référence aux appels de Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, et de Nicolas Hulot, ancien ministre de la Transition écologique, à reporter l’évènement pour des raisons de sécurité. « On le fait quand même ! Pas par plaisir, ce n’est pas une kermesse, mais parce qu’il y a urgence climatique », alerte-t-il.

Une fois lancé, le cortège paraît croître sans cesse, comme perfusé à chaque croisement de rue. « Le samedi, les gens finissent de déjeuner tard », analyse un étudiant. Des milliers de personnes, 25.000 selon les organisateurs, battent le pavé pour sonner le tocsin climatique et social en pleine COP24 en Pologne. La banderole « Fin du monde, fin du mois, changeons le système, pas le climat » montre la direction souhaitée.

Mickaël, entrepreneur en bâtiment venu de Bordeaux, se faufile sur le trottoir. Le Girondin a passé la matinée à sillonner le centre de Paris, affublé de son gilet jaune. « Grenades lacrymogènes, affrontements… c’était trop violent, déplore le quarantenaire. J’ai préféré rejoindre la marche pour le climat pour continuer de participer pacifiquement à l’élan populaire. » Mickaël confie s’en sortir « correctement dans la vie ». « Mais à quel prix, s’interroge-t-il. Les 35 heures, c’est mon temps de sommeil. Et il ne faut jamais oublier que du jour au lendemain, tout peut basculer. Surtout quand tu es issu d’un milieu modeste. Ce système laisse trop de gens en marge, génère trop de souffrance et de précarité, bouscule les équilibres environnementaux dont dépendent aussi nos fins de mois et nos fins de journée. Nous allons, collectivement, droit dans le mur. »

Les dinosaures n’y étaient pour rien, mais ils ont percuté le mur de plein fouet il y a 66 millions d’années. Un gentil monolophosaure s’est invité à la marche pour prévenir les humains : « Continuez comme ça, et vous finirez comme nous. » Pas très loin, des ours et des gorilles se trémoussent en plein milieu du boulevard de Ménilmontant. Les percussionnistes donnent le la. Trois marionnettes géantes de l’association des Grandes Personnes d’Aubervilliers surplombent la fête. Aux abords du cortège, les bénévoles s’évertuent à sécuriser l’avancée des troupes.

Campée sur sa bécane fleurie, Augustina est la coqueluche des photographes. La sexagénaire a quelques coups de pédale d’avance sur le peloton. « Je pédale depuis un bon moment », philosophe-t-elle. Psychanalyste, elle dit passer sa vie « à écouter la souffrance des gens qui ont bossé toute leur vie pour se retrouver à vivre dans une bagnole. Ce système brise le lien social, entretient la misère, détruit les écosystèmes. Les gens qui vont migrer à cause de la montée des eaux, à cause de nos émissions de gaz à effet de serre, on va vraiment les recevoir comme on le fait aujourd’hui ? » Augustina chancelle et se rapproche dangereusement du bas côté. Elle se reprend à temps pour éviter la chute. « Il faut lever le nez du guidon, sourit la psychanalyste, fière d’incarner et de filer la métaphore. C’est le moment de regarder devant. »

À quelques encablures de sa roue arrière, le flow du rappeur militant Kalune fait chavirer les caboches à l’avant du cortège. Le violon d’Anaïs Laffon, à ses côtés, caresse l’épiderme des marcheurs et des badauds en visite au Père-Lachaise, spectateurs éberlués devant cette marée humaine.

Kalune.

Le long de la station de métro Père-Lachaise, Catherine, sa fille Chloé et Léna, étudiante rencontrée au début de la marche, marquent une pause. À bientôt 70 ans, Catherine a enfilé son gilet jaune et lui a apposé, à la peinture rouge, les mots suivants : « Pauvres de gauche, pauvres de droite, même galère. » « Qu’ils votent d’un côté ou de l’autre, ils sont à genoux et l’expriment juste différemment », pense la retraitée, venue de l’Essonne. En établissant un rapport de force avec l’État, les Gilets jaunes ont, à ses yeux, « redonné une voix aux victimes silencieuses de la violence économique, aux gens à qui l’on demande de se contenter de ce qu’on veut bien leur donner, de travailler et de se taire. » Ce mouvement « n’est pas du tout anti-écologique, mais signifie surtout que l’effort de transition ne peut pas simplement peser sur les plus pauvres », dit Catherine.

Catherine, sa fille Chloé et Léna.

Sa fille, Chloé, est éducatrice spécialisée. Elle travaille auprès de mineurs isolés étrangers, « ces enfants qui subissent à la fois les sécheresses, les pillages de leur environnement, une misère économique et sociale » : « Ils sont contraints, dit-elle, de fuir leur pays et j’observe une volonté politique de les casser dès qu’ils arrivent en France. Un même combat pour une justice sociale et environnementale me paraît donc très cohérent dans ce contexte où ces deux facteurs sont mêlés dans les soucis des gens. »

Sur l’avenue de la République, au niveau de l’avenue Parmentier, Marianne et Charlotte distribuent des tracts et mettent leur énergie au service de la forêt de la Corniche des forts, à Romainville, menacée par un projet de base de loisirs.

« L’histoire de cette forêt prouve bien que justice sociale et climat sont indissociables, explique Charlotte, enseignante et habitante de Romainville. Ce projet de base de loisirs est très lié à des volontés de requalification sociale, destinées à chasser les habitants des classes populaires et à faire venir des gens en accession à la propriété. Il leur faut donc un joli parc… C’est toujours la même chose : la pression du fric, des lobbies de la grande finance. Y’en a marre. Encore une fois, qui trinque ? La faune, la flore et les “petits” qui gagnent 1.300 euros. »

Le cortège se déverse sur la place de la République à partir de 16 heures. Des milliers de personnes sont déjà là : Gilets jaunes, chauffeurs, commerçants, cheminots, retraités, forains, chômeurs, infirmiers, étudiants... La foule est bariolée. Le McDonald’s est totalement bunkerisé pour éviter d’éventuelles dégradations.

Les associations organisatrices de la marche (Les Amis de la Terre, Attac, Alternatiba, ANV-COP 21...) souhaitaient la prolonger par des prises de paroles et un concert, mais elles n’ont pas obtenu d’autorisation pour installer une scène. Cyril Dion, réalisateur du film Demain, s’empare tout de même du micro, remerciant les milliers de Gilets jaunes : « Ils nous ont montré qu’on a besoin d’aller à la confrontation. A la confrontation pacifique mais à la confrontation tout de même. »

Dans le même temps, une réplique de La Liberté guidant le peuple, la célèbre toile d’Eugène Delacroix, est hissée sur la statue de la République. Dans cette version revisitée, Marianne arbore… un gilet jaune.


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