Masques usagés : ils les recyclent en fournitures scolaires

Dans l'entreprise Plaxtil, à Chatellerault (Morbihan), en mai 2021. - © Jean-François Fort
Dans l'entreprise Plaxtil, à Chatellerault (Morbihan), en mai 2021. - © Jean-François Fort
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Déchets Covid-19 Alternatives3,4 milliards de masques chirurgicaux sont jetés chaque jour dans le monde. En France, aucune filière n’est née pour les recycler. Mais dans la Vienne, une entreprise réussit à les transformer en matériel scolaire.
Locminé (Morbihan), reportage
En fin d’année 2020, lassé de voir des masques traîner sur les terrains d’athlétisme où il est bénévole, Mickaël Offret, conseiller municipal à Locminé dans le Morbihan s’est mis en quête d’une solution. « Dès le début de l’épidémie, il manquait un maillon dans la chaîne », dit-il : le recyclage. Grâce à un reportage télé, l’élu a entendu parler de la société Plaxtil, qu’il a contactée. Sa commune de 4 000 habitants a donc été l’une des premières à donner une deuxième vie à ces dispositifs de protection contre le Covid-19. Les masques usagés se réincarnent en kits de géométrie, en supports pour téléphones... « En ce qu’on veut, on peut quasiment tout faire », dit à Reporterre Olivier Civil, cofondateur de l’entreprise.
Basée à Châtellerault dans la Vienne, cette entreprise créée en septembre 2020 recycle bel et bien les masques à usage unique, « mais ce n’est pas notre cœur d’activité », indique M. Civil. L’entreprise s’occupe habituellement de textile. « Quand on a vu arriver les masques, on s’est dit que c’était de la folie d’en mettre dans les mains du grand public sans avoir de solution pour les gérer après. » On estime que 3,4 milliards de masques chirurgicaux sont jetés chaque jour dans le monde en ce moment — et ils mettent des centaines d’années à se décomposer. Le polypropylène, issu du pétrole et dont ils sont composés à 90 %, met en moyenne 400 ans à se dégrader. « On avait la technologie pour les recycler », conclut-il.
À Locminé, la municipalité distribue aux enfants règles, équerres et rapporteurs faits à base de masques. « C’est motivant pour les jeunes, ils voient que leurs actions sont concrètes », dit Mickaël Offret. Les principaux intéressés confirment : « Ça évite qu’ils se retrouvent dans la nature, on peut en faire des objets au lieu d’acheter des nouvelles choses en plastique », commente Alexis, 11 ans, à l’école Notre-Dame-du-Plasker. Les élèves jouent le jeu. « Certains ramènent même des sacs de masques de chez eux ! » dit Florian Cadoret, le directeur. « Depuis qu’on les collecte, j’en vois beaucoup moins dans la cour. »

L’entreprise s’y est mise dès juin 2020. Mais il a fallu s’adapter : les masques pouvant être contaminés, il a fallu prendre des mesures spéciales. Une mise en quarantaine et le passage dans un tunnel de désinfection aux UV ont permis de montrer que le traitement des masques chirurgicaux ne représentait pas de danger pour les opérateurs. « On a demandé une autorisation auprès de l’Agence régionale de santé et on a obtenu l’accord du maire », raconte M. Civil. En juin 2020, Plaxtil a installé une cinquantaine de points de collecte dans l’agglomération du grand Châtellerault. Aujourd’hui, l’entreprise collecte les masques d’une cinquantaine de collectivités. « Après quelques reportages, on a eu beaucoup de demandes, on n’était pas prêts à un tel afflux », rigole-t-il.
Le conseiller municipal Mickaël Offret, qui a installé une vingtaine de bornes de collecte à Locminé, confirme l’enthousiasme. « J’avais peur que les habitants ne jouent pas le jeu et continuent de mettre leurs masques dans le sac jaune. Mais ils attendaient que la Ville fasse quelque chose. » Depuis la mise en place, il estime que 50 000 masques de sa commune ont été recyclés et transformés. « Le plastique peut avoir une dizaine de vies », assure le cofondateur de l’entreprise. Avec certaines limites : il n’est par exemple pas possible d’en faire du plastique alimentaire.
680 euros pour recycler 10 000 masques
Une fois les bornes collectées, les masques passent dix jours en décontamination naturelle dans les locaux des services techniques. Ensuite, ils sont acheminés dans un Esat (Établissement et service d’aide par le travail), où la barrette en métal, qui ne se recycle pas, est séparée du reste. Puis les masques ainsi préparés sont envoyés à Plaxtil, où ils sont broyés et passés aux UV désinfectants puis mélangés avec du polypropylène pour faire des billes. Direction la presse à injection. « Tout le monde a acquis que le verre se recycle, il faut avoir le même réflexe avec le plastique », dit Olivier Civil. Mickaël Offret confirme : « Je préfère voir du plastique dont on se sert, plutôt que des masques qui virevoltent dans la nature. D’autant qu’un kit de géométrie, je n’en ai jamais vu dans les océans. Alors que des masques, oui. »

Ce processus repose sur l’économie circulaire. « Les cinq bornes en extérieur ont été créées par iPrint, une entreprise de Locminé », dit l’adjoint. Le « délissage », séparation des barrettes en métal du reste du masque, est réalisé à l’Esat Addequat, à Grand Champ, à quelques kilomètres de Locminé. Une à trois personnes s’y relaient. Pour ouvrir les masques et retirer la partie métallique, le coup de ciseau des trois ouvrières du jour est précis, assuré. « C’est un coup de main à prendre, mais après, c’est facile et puis c’est bien que les masques puissent être recyclés », assure l’une d’elles, Karine Arhuro. « Il faudrait que ce soit fait partout. »
Mickaël Offret résume : « On fait travailler une PME — Plaxtil —, une boîte locale et un Esat du coin. Niveau économie circulaire, c’est ce qu’on recherchait. » La commune paye 680 euros pour le recyclage de 10 000 masques et reçoit en retour 400 règles, équerres ou rapporteurs. L’élu espère que son initiative servira d’exemple. Il a reçu des demandes de conseils de toute la France. « Certains m’ont demandé de prendre leurs masques, mais je ne peux pas. Il faut qu’ils se lancent, qu’ils se structurent à leur niveau. »

Difficile de se lancer, assurent nombre de ses interlocuteurs, notamment en raison du coût et de la logistique. C’est le cas de Brest Métropole. « On avait besoin de recycler 30 000 masques par semaine. Il fallait prendre des précautions pour les décontaminer, c’était compliqué à gérer. On a calculé, ça représentait un budget de près de 14 000 euros par mois », indique Tristan Foveau, vice-président chargé de la gestion durable des déchets. Avec une campagne de communication, l’agglo a préféré faire le choix d’inciter les habitants à mettre les masques dans la poubelle classique pour les « valoriser en chaleur » — c’est-à-dire les envoyer à l’incinérateur.
Un gisement de plastique « relativement faible » selon l’Assemblée nationale
Au niveau national, aucune filière n’est structurée. Une campagne de sensibilisation a été mise en place pour inciter les consommateurs à jeter ces déchets dans la poubelle classique. Interrogée fin mai 2020 dans Ouest France, Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire assurait que si ces déchets n’étaient pas recyclés, c’était parce que « la règle pour les déchets médicaux à risque infectieux est la destruction ».
Du côté de Plaxtil, ce n’est pas faute d’avoir essayé. « On a rencontré le ministère de l’Économie, le Haut conseil à la santé publique et l’Assemblée Nationale », liste Olivier Civil. Le but : discuter avec d’autres acteurs, partager le savoir-faire et faire émerger un recyclage national.

Dans son avis rendu le 12 novembre 2020, le Haut conseil à la santé publique recommande d’« évaluer le bénéfice environnemental du recyclage des masques par rapport à l’élimination dans les déchets telle que pratiquée actuellement, compte tenu des opérations logistiques qui seraient nécessaires ». Si ces études sont concluantes, il conseille « de favoriser [des] expérimentations visant la mise en place d’une filière de valorisation de ces masques portés en population générale et éventuellement par les professionnels de santé ».
L’Assemblée nationale, dans une réponse du 10 novembre 2020, rappelle que « le recyclage des plastiques est un enjeu majeur de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire » et que « les initiatives [de ces] entreprises méritent d’être encouragées ». Pourtant elle indique qu’« à ce stade, le gouvernement n’envisage pas de créer de filière de traitement ad hoc pour ces déchets », estimant que « le gisement de plastique considéré est relativement faible par rapport à la quantité totale de produits en plastique mis sur le marché ».

Les masques représentaient tout de même 40 000 tonnes de déchets non recyclés par an en France en 2020, selon une mission menée par les députés Danielle Brulebois et Gérard Leseul en janvier 2021.
En France, une poignée d’entreprises se sont positionnées sur ce secteur. Mais aucune filière nationale de recyclage des masques n’a émergé. « On n’a pas l’influence que peuvent avoir des grosses entreprises, dit Olivier Civil. Si une grosse boîte avait lancé l’idée, je suis sûr que ça aurait fleuri partout. S’il y avait une volonté nationale, ça irait cent fois plus vite. »
« Il y a quand même eu une mission parlementaire et des initiatives au niveau régional », nuance Véronique Prieto, directrice marketing et communication de Recygo, qui travaille également au recyclage de masques et d’équipements de protection individuelle (EPI) jetables avec l’entreprise Versoo. Et conclut, optimiste : « Maintenant, ce sont des déchets qu’on sait recycler. Sur le long terme, il pourra y avoir une collecte pour les EPI jetables. On pourra aussi miser sur des masques biodégradables, comme ça se fait à Bordeaux, et encourager ces modèles-là. »