Mégabassines : « Ne nous engouffrons pas tête baissée dans ce modèle »

Le convoi des opposants aux mégabassines, parti de Sainte-Soline pour rejoindre Paris, fin août 2023. - Twitter/Bassines non merci
Le convoi des opposants aux mégabassines, parti de Sainte-Soline pour rejoindre Paris, fin août 2023. - Twitter/Bassines non merci
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La députée LFI Clémence Guetté défendra dès le 21 novembre un moratoire contre les mégabassines, des retenues d’eau favorables à l’agroindustrie. Une question « vitale », explique-t-elle.
Suspendre tous les projets de mégabassines en France pendant dix ans. Voilà l’objectif d’une proposition de loi, portée par la députée Clémence Guetté (La France insoumise, LFI), qui sera discutée en commission du développement durable de l’Assemblée nationale le 21 novembre, puis lors de la niche parlementaire de La France insoumise le 30 novembre.
Le temps sera compté pour les élus LFI : lors de cette niche, ils auront exceptionnellement — comme tous les groupes d’opposition — la main sur l’ordre du jour des séances de discussion à l’Assemblée. Les élus LFI pourront donc proposer au vote tous les textes de loi qu’ils souhaiteront, le 30 novembre, de 9 heures à minuit.
Passé minuit, même si les députés débattront encore, la séance se terminera et le texte de loi sera rejeté. En outre, sans soutien du gouvernement, il est rare que les propositions de loi issues d’une niche parlementaire soient votées.
Pour la députée Clémence Guetté, il est pourtant essentiel d’instaurer un moratoire sur les mégabassines — ces grandes retenues d’eau remplies en pompant dans la nappe phréatique et tapissées de bâches plastiques. Ces retenues sont à destination d’une minorité d’agriculteurs irrigants : en France, seulement 7,3 % de la surface agricole utile a été irriguée en 2020.
Reporterre — Pour quelle raison avez-vous choisi de présenter une proposition de loi sur les mégabassines ?
Clémence Guetté — Nous n’avons qu’une niche parlementaire par an, donc nous essayons de trouver un équilibre entre les questions sociales, démocratiques, écolos… Il nous a semblé qu’un moratoire sur les mégabassines était un bon point d’entrée, un moyen transversal d’aborder différents enjeux à la fois.
D’abord, cela permet de parler de la question de l’eau, qui va être centrale dans le contexte du changement climatique. C’est une ressource qui va se raréfier, alors que c’est un bien commun indispensable à la vie. Cela va créer des conflits.
C’est aussi un bon angle pour parler de la question agricole. Contrairement à ce qui a pu être avancé dans les médias, la majorité des exploitants en France ne sont pas irrigants. Les bassines ne profitent donc qu’à une minorité d’agriculteurs.

Le dernier angle, c’est la question démocratique. Il n’y a pas dans le pays d’organisation de la gestion de la ressource en eau, qui permette un débat serein, apaisé, qui prenne au sérieux les projections hydrologiques pour 2050 ou 2070, et durant lequel il serait permis d’avoir un choix collectif sur ce qu’on priorise.
La niche parlementaire est très courte, elle s’arrête à minuit, donc on doit choisir des dispositifs très courts. Une proposition de loi, avec un article unique visant à instaurer un moratoire sur le déploiement des mégabassines, paraissait être un bon dispositif pour aborder des questions qui sont en réalité très vastes, vitales, et jamais débattues. Les mobilisations citoyennes comme celle de Sainte-Soline [en mars 2023 dans les Deux-Sèvres] ont été très médiatisées, mais c’est la question de la répression qui a attiré les médias, au détriment de toutes les questions de fond.
Pourquoi demander un moratoire, soit la suspension de tous les projets de mégabassines en France, pendant dix ans ?
C’est la demande de tous les collectifs et des syndicats agricoles qui sont engagés sur cette question. Depuis les années 90, on a construit des bassines en France. J’ai auditionné des hydrologues qui m’ont dit qu’on ne savait pas s’il y avait 600 000 ou 800 000 retenues artificielles aujourd’hui dans le pays. On ne sait pas les calculer !
Or, même si elles sont de petite taille, cumulées les unes aux autres, elles ont un effet indéniable sur le cycle de l’eau — notamment à cause de toute l’eau qui est prélevée dans le milieu naturel, et à cause de son évaporation. Mais on n’en mesure pas toutes les conséquences aujourd’hui. Il y a un gros manque de données.
« Ne nous engouffrons pas tête baissée du fait de la pression de lobbies agricoles »
Un moratoire pendant dix ans, symboliquement, c’est une mesure qui ramène à la question démocratique et permet de dire : on n’a pas assez de données scientifiques sur cette question, ne nous engouffrons pas tête baissée dans un modèle, du fait de la pression de lobbies agricoles qui ne représentent qu’une minorité d’agriculteurs.
Pourquoi privilégier un moratoire à l’aspect national, plutôt que des enquêtes publiques locales, au cas par cas ?
La question est très juste, dans le sens où le système hydrologique français n’a rien à voir d’un endroit à un autre. Par contre, la pression pour la généralisation du modèle agricole irrigué est identique en tous points du territoire. Et elle ne prend justement pas en compte le fait qu’il y a de l’eau disponible dans certains endroits, et pas dans d’autres.
Depuis trente ans, il y a une augmentation des terres agricoles irriguées, alors que ce serait plus instinctif de se dire que, si la ressource en eau baisse, il serait urgent de développer des surfaces non irriguées de cultures résilientes à la sécheresse. Et on connaît pourtant très bien ces types de cultures, qui ne sont pas le modèle de maïs fourrage irrigué, qui est destiné à l’alimentation animale et à l’exportation.
C’est en réalité un problème qui se pose à l’échelle nationale. Les projets de mégabassines ont d’abord commencé dans la zone du Poitou-Charentes, puis se sont multipliés comme des petits pains. Il y a une position nationale des lobbies agricoles — soutenue d’ailleurs par le ministère de l’Agriculture — qui vise tout le territoire français.
Nous sommes toujours partisans des débats locaux, mais cela nous ramène au caractère très factice et artificiel des enquêtes publiques, telles qu’elles sont menées aujourd’hui. Même quand les avis sont majoritairement négatifs, cela n’empêche pas les projets de se faire. D’ailleurs, encore faut-il savoir qu’il y a une enquête publique ! Il y a un problème d’information citoyenne très large.
Quels sont les groupes parlementaires qui pourraient voter cette proposition de loi ?
Lors des Rencontres de Saint-Denis [le 17 novembre 2023] avec Emmanuel Macron, la Nupes — soit La France insoumise, Les Écologistes et le Parti socialiste — a apporté quatorze propositions, dont une sur un moratoire sur les mégabassines. Cela donne une indication de vote pour ces trois groupes-là.
De leur côté, les groupes Renaissance et Rassemblement national ont déposé des amendements identiques de suppression de la proposition de loi. Ils seront main dans la main pour soutenir les projets néfastes de mégabassines.

Pourtant, on a fait réaliser un sondage sur nos propositions pour la niche parlementaire, et le moratoire sur les mégabassines est une proposition extrêmement partagée. 71 % des Français s’y déclarent favorables ! Et ce, quelle que soit leur appartenance politique. 84 % des électeurs des Écologistes y sont favorables, 77 % des électeurs de La France insoumise, 72 % de ceux du Rassemblement national, 71 % de ceux des Républicains, 69 % de ceux d’Emmanuel Macron…
Ça ne reflète pas les votes à l’Assemblée nationale, mais cela reste un indicateur sur le fait que, aujourd’hui, il existe une inquiétude partagée sur la question de l’eau.