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Quotidien

Menus sans viande à Lyon : les contre-vérités des politiques

L’annonce d’un repas sans viande dans les cantines scolaires de Lyon a déclenché une vaste polémique. Certains politiques au sein même du gouvernement ont fustigé une mesure relevant, selon eux, de la démagogie et excluante envers les enfants des classes populaires. Ces déclarations vont à l’encontre des principales études sur le sujet.

Des vaches broutent quelques brins de foin étalés sur le bitume. Juste à côté, des petits chevreaux mignons sont pris en photo par des badauds. Lundi 22 février, des agriculteurs ont installé une miniferme place de la Comédie, devant l’hôtel de ville de Lyon afin de protester contre l’instauration d’un menu sans viande par la ville servi provisoirement dans les cantines scolaires de Lyon. Ce menu unique — qui n’est pas végétarien puisqu’il contient du poisson — vise à fluidifier le service des repas afin de renforcer le protocole sanitaire pour lutter contre l’épidémie de Covid.

Cette annonce a déclenché une vaste polémique, notamment auprès des élus locaux d’opposition comme l’ancien maire Gérard Collomb. Pourtant, une mesure similaire avait été prise sous son mandat lors du premier confinement en mars 2020.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, est également monté au créneau. Dans un message posté sur Twitter samedi 20 février, il a dénoncé « l’insulte inacceptable aux agriculteurs et aux bouchers français » ainsi qu’une politique qui « exclut les classes populaires ». Il assure que de nombreux enfants n’ont souvent que la cantine pour manger de la viande et fustige une « idéologie scandaleuse ».

Pourtant, quatre jours plus tôt, Barbara Pompilli, la ministre de la Transition écologique, assurait que la future loi Climat résilience « proposerait plus de menus végétariens dans les cantines publiques ». Le jour de la manifestation lyonnaise, la ministre était même présente à Saint-Denis-d’Oléron (Charente-Maritime) pour promouvoir les menus végétariens dans les cantines scolaires.

Les déclarations gouvernementales vont à rebours de nombreuses études sanitaires, sociales ainsi que des mesures législatives.

Incohérence du gouvernement sur les menus sans viande

L’exécutif n’est plus vraiment à une incohérence près. Quand certains défendent le végétarisme, d’autres font l’apologie de la viande. Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation a d’ailleurs saisi le préfet du Rhône sur cette affaire. « Arrêtons de mettre de l’idéologie dans l’assiette de nos enfants ! Donnons-leur simplement ce dont ils ont besoin pour bien grandir. La viande en fait partie », commente-t-il sur Twitter.

Toutes ces déclarations gouvernementales vont à rebours de nombreuses études sanitaires, sociales ainsi que des mesures législatives. En effet, depuis novembre 2019, tous les établissements scolaires doivent proposer au moins un menu végétarien par semaine, comme le prévoit la loi Egalim. Les trois quarts des communes appliquent désormais cette règle, comme le montre une enquête de Greenpeace. D’après une étude réalisée par l’Association végétarienne de France et Greenpeace (à paraître bientôt), plus de deux cents villes proposent déjà une option végétarienne quotidienne dans leurs cantines. Notons que la ville de Tourcoing (Nord), dont le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a été élu maire au printemps dernier avant de laisser sa place quelques semaines plus tard [il est toujours élu municipal], propose une option sans viande.

Une forte consommation de viande nuit à la santé

Réduire la consommation de viande pour les enfants répond à des recommandations sanitaires s’appuyant sur de nombreuses études. En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé la viande rouge comme « probablement cancérigène pour les humains » et la viande transformée comme « cancérigène pour les humains ». Quant au Haut Conseil de la santé publique (HCSP), il explique que les sources de protéines animales ne sont pas nécessaires à chaque repas. Un menu végétarien hebdomadaire en restauration scolaire peut même « contribuer à la couverture de l’ensemble des besoins nutritionnels des enfants […] à la condition que celui-ci soit équilibré », assure l’agence gouvernementale Anses. D’autant que, selon Greenpeace, qui s’appuie sur une étude de l’Anses, les enfants mangent deux fois trop de viande à la cantine.

Les classes populaires mangent plus de viande que les classes aisées

Analysons à présent l’argument social, selon lequel les enfants des classes populaires ne mangeraient de la viande qu’à la cantine. Une étude du Credoc démontre le contraire : la consommation de viande est aujourd’hui supérieure chez les ouvriers (avec 151 grammes par jour) que chez les cadres (113 grammes par jour). Une note d’analyse du ministère de l’Agriculture parle même d’inversion des marqueurs sociaux à propos de la consommation de produits carnés.

Fatima Ouassak, politologue et cofondatrice du collectif Front de mères, sait bien que le sujet est explosif. En 2016, elle avait bataillé pour obtenir un menu végétarien dans la cantine de ses enfants, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), commune populaire d’Île-de-France, et avait été accusée… de communautarisme. Car évoquer la viande, c’est évoquer une certaine idée de l’identité française. « Traditionnellement, la France considère que la nourriture est un moyen d’intégrer et d’assimiler les citoyens français. L’identité passe par la nourriture, » explique-t-elle. Cinq ans plus tard, les écologistes rejoignent les personnes racisées sur le banc des accusés.

60 % des viandes vendues en restauration collective sont importées

Selon l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev), 60 % des viandes vendues en restauration, notamment collective, proviennent d’autres pays. Réduire la consommation à l’école ne risque donc pas de pénaliser les éleveurs français — contrairement à ce qu’affirme le syndicat agricole FNSEA, qui avait appelé à manifester devant la mairie de Lyon.

L’instauration d’un menu végétarien permet de réduire les coûts et donc de servir de la viande de meilleure qualité dans la restauration collective.

Si les enfants mangent en grande majorité de la viande importée, c’est parce qu’elle coûte moins cher. Or, l’instauration d’un menu végétarien permet de réduire les coûts et donc de servir de la viande de meilleure qualité, ce que démontre l’Observatoire national de la restauration collective bio et durable. « En obligeant les gestionnaires de cantines à servir de la viande tous les midis, il est impossible d’augmenter significativement la part de produits locaux, bio, et de bonne qualité », dit Élyne Étienne, responsable du pôle Végécantines ‎pour l’Association végétarienne de France (AVF).

Une polémique stérile

Alors pourquoi une telle polémique ? Interrogé par Reporterre, le président de l’association de parents d’élèves FCPE Rodrigo Arenas estime que l’attitude du ministre est irresponsable.

Quand on parle de ces sujets, il faut être sérieux. Gérald Darmanin est victime d’une certaine culture française qui est de dire qu’un repas sans viande n’est pas équilibré. C’est une idéologie de l’après-guerre qui entretient de l’ignorance. Quand on est ministre, on ne peut pas se permettre de propager de telles idées reçues. Il ferait mieux de s’inquiéter de ce que mangent les étudiants qui font la queue à la soupe populaire. 

Reste un argument qui assez peu visible dans le débat : celui de l’écologie, déplore Fatima Ouassak. « Les menus végétariens sont un combat d’écologie populaire qui rejoint la justice sociale, l’égalité de traitement envers les enfants, la liberté de conscience et les enjeux environnementaux. Nous sommes en pleine crise du Covid. Ne serait-ce pas plutôt le moment de nous interroger sur le rôle de l’élevage industriel dans les pandémies plutôt que ces polémiques stériles ? Nous devons dans tous les cas réduire notre consommation de viande et le rôle des pouvoirs publics serait de nous y préparer. »

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