Mine de lithium dans l’Allier, les habitants en colère

La mine de lithium d'Imerys sera à proximité immédiate de son site de Beauvoir, dans l'Allier, et sera souterraine. - Twitter/Imerys
La mine de lithium d'Imerys sera à proximité immédiate de son site de Beauvoir, dans l'Allier, et sera souterraine. - Twitter/Imerys
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Mines et métauxLe géant minier Imerys souhaite ouvrir une carrière de lithium dans l’Allier. Un projet aux « contours flous » selon les habitants. De quoi aiguiser la grogne.
Coutansouze (Allier), reportage
« Croyez-moi, je suis en colère de vous voir débarquer chez nous », peste un habitant. Recouverts d’une vieille tapisserie jaunâtre, les quatre murs de la petite salle des fêtes de Coutansouze n’avaient pas connu pareille querelle depuis belle lurette. Il y a un mois, l’annonce en grande pompe du projet d’ouverture de la toute première mine de lithium française a laissé bouche bée jusqu’au moindre habitant de cette paisible bourgade de l’Allier. Que fallait-il penser de ce « projet Emili », tombé sans crier gare et soutenu à bras le corps par Emmanuel Macron en personne ?
Pour éclairer les premiers concernés, une délégation du géant minier Imerys a donné rendez-vous aux riverains auvergnats lors d’une réunion publique le 29 novembre. Et force est de constater que la stupéfaction initiale s’est transformée en grogne générale. À la tombée de la nuit, revêtue d’une laine violette, Daniela Liebetegger, la directrice développement durable d’Imesys, a ouvert le bal sous une nuée de regards courroucés. « Excusez mon léger accent, je suis née en Autriche. On ne choisit pas ses origines, mais je vous garantis que mon cœur bat pour les Bleus », a-t-elle dit en référence à la Coupe du monde au Qatar. L’opération de séduction, aussi périlleuse soit-elle, a pu enfin débuter.
Avec un investissement estimé à 1 milliard d’euros pour la phase de construction, la multinationale Imerys entend extraire chaque année quelque 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium. Et ce, à partir de 2027 et pendant un quart de siècle. Cette précieuse poudre blanche servirait à équiper les batteries de 700 000 véhicules électriques par an. Une aubaine pour l’Hexagone et l’Europe, actuellement à la merci du monopole chinois. « Rassurez-vous, a poursuivi Daniela Liebetegger, rien n’est inscrit dans le marbre. Ce projet, on souhaite le construire main dans la main avec vous, en totale transparence. »

Des questions restées sans réponse
D’entrée de jeu, la délégation d’Imerys a tenu à désamorcer le centre névralgique des tensions : le devenir de la forêt domaniale des Colettes. Classée site Natura 2000 et zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique, elle abrite l’une des plus belles hêtraies naturelles d’Europe. Des crapauds sonneurs à ventre jaune, des busards Saint-Martin, des rosalies des Alpes et autres taxons y évoluent paisiblement depuis des décennies. Or, dans le permis exclusif de recherche, octroyé par l’État en 2015, la zone de 12,17 km² venait empiéter sur ce précieux écosystème. Ce débat est désormais clos : « Les Colettes ne seront pas du tout concernées. Jamais ! »
Dans cette bataille argumentaire, la meilleure carte du jeu d’Imerys reste le choix d’une mine souterraine, et non à ciel ouvert. « Cela va réduire, voire supprimer totalement, les impacts sur l’environnement », a promis Fabrice Frébourg, chef de projet environnement. Pour éviter un interminable ballet de camions aux alentours du site, le mica [1] extrait du gisement sera également acheminé vers un entrepôt de chargement via des conduites souterraines. De là, il grimpera sur les rails en direction de l’usine de conversion pour être transformé en poudre de lithium. « Notre projet s’inscrit dans la durabilité, a affirmé sa voisine. La préservation de la biodiversité et des sols est notre priorité. »

À croire l’entreprise, tout a été pensé pour façonner une mine propre. Pourtant, au moment de tendre le micro aux habitants, l’assurance jusqu’ici affichée a laissé place à des visages décomposés, ensevelis par une avalanche de questions habilement rédigées. « Où allez-vous implanter ces usines ? » « Il faut en moyenne 200 millions de litres d’eau pour fabriquer 1 tonne de lithium... Où allez-vous la prendre à l’heure des sécheresses répétées ? » « Pouvez-vous nous garantir qu’il n’y aura aucun impact sur les nappes phréatiques ? » « Combien de trains circuleront chaque jour ? » « Et les déchets, qu’en sera-t-il de ces roches inoffensives sous terre que vous allez réveiller ? » Chacune de ces interrogations a buté sur une même et unique réponse : « Nous ne pouvons pas encore vous le dire, nous reviendrons vers vous. »
« Je suis persuadé que vous mentez »
Venus exhiber un projet potentiellement écocidaire, les représentants du géant minier ne sont même pas parvenus à décrire le procédé d’extraction envisagé. « On analyse en ce moment des échantillons de micas en laboratoire, pour déterminer quelle technique serait la plus judicieuse, s’est contenté de dire Dominique Duhamet, responsable de l’opération. On teste des recettes et on vous en dira plus l’année prochaine. »
Si l’on s’en fie aux mines de lithium existantes, ces « recettes » se sont révélées très énergivores et demandent bien souvent de grandes quantités d’eau et de produits chimiques. Lesquels ? Suspens. « Comment se peut-il qu’une si grande multinationale soit si peu préparée ? Je suis persuadé que vous mentez, a explosé un habitant, tenant dans sa main une feuille sur laquelle étaient gribouillées quelques notes. Des milliards d’euros sont en jeu et vous nous faites croire que rien n’est ficelé ? »
Dans une ultime tentative de persuasion, Fabrice Frébourg a assuré qu’Imerys utilisera une flotte de véhicules électriques pour se déplacer dans la mine. « On développera aussi des projets annexes pour faire de la compensation carbone », a ajouté Daniela Liebetegger. Sa voix a été aussitôt recouverte par les railleries d’une partie du public. Seul l’argument du millier de futurs emplois créés a séduit quelques personnes, parmi lesquelles Denis James, le maire de Coutansouze : « Il y a des pour, des contre, des extrêmes. Moi, je suis plutôt pour. Les mines font partie de l’histoire de notre territoire. »

« C’est de ma maison dont il est question. Tous les matins, je me lève avec la boule au ventre. J’ai peur », a confié Alesk, à la sortie de la salle. Elle vit à moins de 500 mètres de la carrière de kaolin [2], exploitée également par Imerys. Le lithium devrait être extrait à proximité, sans qu’Imerys ait précisé où. « En 2007 et en 2014, Imerys a déversé ses eaux usées dans des rivières d’Amazonie, au Brésil. Ces pollutions ont contraint des populations locales à fuir. Ça a été une catastrophe écologique et sociale », a-t-elle lancé, impuissante. « Comment peuvent-ils affirmer qu’ici la mine sera plus propre qu’à l’étranger ? Les multinationales minières sont toutes occidentales, a précisé son voisin. Soit elles ne savent pas extraire le lithium sans détruire l’environnement, soit elles n’ont pas de cœur et sont prêtes à sacrifier des vies humaines pour leur juteux business quand c’est à l’autre bout du monde. »
Pour l’heure, le permis de recherche actuel ne permet pas à l’entreprise d’extraire de roches. L’année prochaine, la Commission nationale du débat public (CNDP) sera saisie pour définir les règles du débat. « On va s’organiser, s’informer et lutter, a prévenu une femme, appuyée sur sa canne. Ce n’est que le début ! »