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ReportageTransports

Nantes, Lille, Montpellier… La folie des grandeurs des aéroports français

Les extensions d’aéroports se multiplient partout en France. Affaibli par la crise sanitaire, le secteur tente d’attirer le public, y compris à coup de jeu-concours.

« Combien de temps faut-il pour aller de Montpellier à Paris, à pied ?
— Une semaine ? 10 jours ?
— 17 jours, alors qu’on ne met qu’une heure en avion… et ça coûte bien moins cher que le train ! »

La scène se déroule devant l’entrée du centre commercial Odysseum, à Montpellier. Quelques passants se sont arrêtés devant une camionnette bleu ciel décorée de nuages. L’auteur de la devinette est un employé de l’aéroport. En cette fin novembre, il lançait un « grand jeu-concours » avec à la clé « pas moins de 400 billets Montpellier/Paris-Orly » à gagner. Derrière l’orateur, une affiche enfonce le clou : des tickets à partir de 30 euros pour voler jusqu’à la capitale. Car sous ses atours de tombola, l’opération commerciale vise surtout à relancer le trafic aérien, plombé par la crise sanitaire. Et particulièrement la ligne Montpellier-Paris, « poumon économique » de la plateforme aéroportuaire, qui concerne plus de 45 % des passagers.

Après une demi-heure de questions/réponses, une des participantes repart, ravie, un billet en main. Les autres s’en vont les poches remplies d’étiquettes à bagages et de porte-clés à l’image de la Tour Eiffel. Quelques mètres plus loin, le petit groupe est alpagué par deux militants d’Alternatiba, tracts en main : « On peut se rendre à Paris en train, en 3 h 20, et ce trajet émet quarante-cinq fois moins de C02 qu’un vol », explique Stuart. « C’est sûr qu’il ne faut pas prendre l’avion pour le moindre déplacement, mais c’est parfois nécessaire, pour voyager », répond une jeune femme, employée dans un commerce de la zone, avant de s’éloigner.

« On n’est pas contre l’avion, commente Cathy, gilet vert sur le dos. Mais quand il existe des alternatives plus écolos, il faut absolument les privilégier. Surtout, il faut arrêter de parier sur la croissance du trafic aérien. » Le collectif montpelliérain se bat contre le projet d’extension de l’aéroport, déjà bien entamé. La construction d’une nouvelle aérogare doit permettre de passer de 1,9 million de passagers annuels à 3,5 millions, à terme. « Cet agrandissement n’est qu’une première étape pour faire définitivement entrer Montpellier Méditerranée dans le cercle fermé des grands aéroports régionaux et lui permettre d’être mieux armé face aux plateformes de Toulouse et Marseille, peut-on lire sur le site de l’aéroport. Le nombre de destinations directes au départ de Montpellier devrait ainsi bondir à cinquante à moyen terme, contre une trentaine aujourd’hui. » Cerise sur le tarmac, autour de la plateforme aéroportuaire, hôtels, bureaux, équipements sportifs et entrepôts logistiques devraient fleurir.

À Paris, Nantes, Mulhouse, Lille...

À Montpellier comme ailleurs, les agrandissements aéroportuaires ont la vie dure, malgré la crise climatique. En février dernier, le Réseau Action Climat recensait ​une dizaine de projets d’extension d’aéroports, déjà débutés ou à l’étude. Et ce, à Paris, Nantes, Mulhouse, Lille, Nice, Caen, Rennes, Marseille ou Bordeaux. « S’ils peuvent prendre diverses formes — extension de pistes, création ou réaménagement de terminaux, création de nouveaux parkings de stationnement pour les avions — ces projets ont tous pour objectif d’​augmenter les capacités d’accueil des aéroports, le nombre de passagers, et auront une incidence directe sur l’augmentation du trafic aérien et des émissions de gaz à effet de serre​ », écrivait le réseau dans un communiqué.

De son côté, Greenpeace a sorti la calculette. Si l’on cumule le nombre de passagers supplémentaires par an qu’ils devraient permettre d’accueillir, tous ces projets représenteraient « l’équivalent d’au moins deux, voire de cinq aéroports Notre-Dame-des-Landes ».

Lire aussi : Les fantasmes d’une aviation écologiquement responsable

À Caen, « il s’agirait d’allonger la piste actuelle pour permettre à de gros porteurs d’atterrir, précise Pascal Gourdeau, de l’association Acapacc, qui lutte contre le projet. Il existe déjà cinq autres aéroports en Normandie, dont celui de Deauville situé à 45 kilomètres ». À Nice, l’une des villes les plus polluées de France, la société Aéroports de la Côte d’Azur (Saca) entend construire un troisième terminal afin d’atteindre 21,6 millions de passagers en 2030, soit 7 millions de voyageurs de plus qu’en 2019. « Cette extension, qui s’intègre dans un projet plus vaste, avec un dépôt pétrolier de cinq millions de litres de kérosène et un nouveau parking, devrait causer une augmentation de 20 000 mouvements — décollages et atterrissages — par an. Soit 50 à 60 vols quotidiens en plus, avec une augmentation de la saturation du territoire, des nuisances sonores, des émissions de polluants et de gaz à effet de serre », nous écrit le Collectif citoyen 06.

À Beauvais, « l’aéroport annonce pouvoir passer de quatre à six millions de passagers à court terme, nous dit Dominique Lazarski, présidente de l’association Adera. Pour cela, il faudrait que des avions volent la nuit, alors que nous avions jusqu’ici un couvre-feu de minuit à cinq heures, pour préserver la santé des riverains ». Ces opérations se font bien souvent avec le soutien, sinon l’aval, des autorités locales, qui financent et participent à l’administration de ces équipements.

L’aéroport de Nice Côte d’Azur. Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Olivier Cleynen

Hors la loi

Pourtant, les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat avaient proposé de revoir radicalement nos politiques en faveur de l’aviation. Les citoyennes et citoyens proposaient d’interdire les extensions d’aéroports en cours et prévues ainsi que de fermer les liaisons aériennes quand le trajet était faisable en 4 heures de train. Las, « la loi Climat a revu ces ambitions largement à la baisse », constate Pierre Leflaive du Réseau Action Climat. Seuls les vols faisables en moins de 2 h 30 par le rail ont été finalement bannis — soit 5 lignes en France sur les 108 qui existent. En octobre, les aéroports ont d’ailleurs lancé un recours à Bruxelles pour faire annuler cette disposition.

Côté agrandissement, « la loi ne changera pas grand-chose », poursuit Sarah Fayolle, chargée de campagne sur le transport à Greenpeace. D’abord parce que le texte voté n’est pas rétroactif : les projets commencés avant le 1er janvier 2022 ne sont pas concernés. Surtout, l’interdiction des extensions ne s’applique qu’aux projets « qui ont besoin de nouvelles parcelles pour s’étendre, et donc d’exproprier d’autres propriétaires, précise Sarah Fayolle. Or dans la très grande majorité des cas, les aéroports disposent de réserves foncières, donc de suffisamment de place pour s’étendre sur son propre terrain, sans avoir besoin d’expropriation, et donc de déclaration d’utilité publique pour procéder aux travaux. » Ainsi, aucun des principaux projets d’extension en cours ne tombe sous le coup de la loi.

Pollution et écosystèmes fragiles

C’est le cas à Montpellier : « L’aéroport est propriétaire de près de 470 hectares, sur lesquelles il peut s’étendre, sans avoir à se soumettre à la loi Climat », regrette Stuart. Du côté de la société gestionnaire, on fait valoir de gros efforts en faveur d’un « développement résolument durable ». Objectif, selon le communiqué de la société, « diminuer les émissions de CO2 de l’aéroport au minimum de 50 % d’ici 2026 et aboutir à la neutralité carbone en 2030 », grâce à l’utilisation de LED pour l’éclairage, le recours à des véhicules électriques et « la création d’une centrale solaire sur les parkings ».

Des mesures qui ne convainquent pas Stuart : « La démarche de réduction des émissions ne concerne que l’aéroport, et pas les avions qu’il accueille, c’est donc très limité », rappelle-t-il. D’après ses calculs, la centrale solaire devrait permettre un gain de 4 200 tonnes de CO2 par an ; dans le même temps, le trafic aérien à Montpellier a généré 99 490 tonnes de dioxyde de carbone. 

Outre l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, l’agrandissement de l’aérogare — avec ses projets immobiliers et commerciaux — pourrait directement menacer le fragile écosystème lagunaire qui l’entoure. L’aéroport est en effet situé sur une rive de l’étang de l’Or, classé zone Natura 2000. Le Service technique de l’aviation civile (Stac) a lui-même reconnu que « cette plateforme [était] certainement celle qui possède la plus grande richesse ornithologique » en France. En 2019, un projet d’entrepôt logistique a ainsi été stoppé par la justice, car il portait atteinte à une trentaine d’espèces protégées, dont l’outarde canepetière.

Ironie du sort, c’est finalement le changement climatique qui pourrait mettre un terme aux velléités d’expansion de l’aéroport. Déjà, les berges de la piste principale s’érodent. Et la quasi-totalité de la surface aéroportuaire pourrait se trouver sous les eaux d’ici quelques décennies.

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