Climat : « Le Giec a fait sa part du boulot »

Discussion entre les groupes I et II du Giec, lors de leur deuxième session conjointe, à la 51e session plénière du Giec, en 2019. - © IPCC/IISD/ENB/Mike Muzurakis
Discussion entre les groupes I et II du Giec, lors de leur deuxième session conjointe, à la 51e session plénière du Giec, en 2019. - © IPCC/IISD/ENB/Mike Muzurakis
Toute la semaine, scientifiques et États vont négocier le 6e rapport de synthèse du Giec. Les pourparlers s’annoncent « difficiles », selon la chercheuse Kari De Pryck, tant les États veulent que « leurs intérêts soient servis ».
Du 13 au 18 mars, les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et des délégations du monde entier se réunissent à Interlaken, en Suisse. Leur mission : approuver le sixième rapport de synthèse du Giec et son résumé aux décideurs, qui seront publiés le lundi 20 mars. Ces documents sont « brûlants », explique Kari De Pryck, maîtresse assistante à l’Université de Genève et autrice de Giec, la voix du climat (éd. Presses de Sciences Po).
Reporterre — Les scientifiques du Giec et des délégations du monde entier sont réunies en Suisse. Comment s’annoncent les négociations autour du résumé aux décideurs ?
Kari De Pryck — Les 195 pays membres du Giec et les scientifiques impliqués dans les différents rapports vont négocier, ligne par ligne, le résumé à l’intention des décideurs. Ils vont tenter d’établir un consensus sur l’état des lieux des dernières connaissances scientifiques. Cette coconstruction permet aux États membres de devenir eux-mêmes, d’une certaine manière, des auteurs du rapport. Et, dans l’idéal, de mieux se l’approprier.
En général, ces négociations sont tendues, difficiles. Les pourparlers démarrent toujours lentement, puis se précipitent dans les derniers jours. Les retards sont fréquents : sur trois rapports des groupes de travail du Giec, seul le premier a été adopté en temps et en heure.
Lire aussi : Ce qu’il faut retenir des six derniers rapports du Giec
Pourquoi est-ce si difficile ? Les États ne peuvent ni inventer de nouvelles conclusions, ni introduire des connaissances qui ne figurent pas dans le rapport à résumer...
Ces résumés sont brûlants, car il subsiste une énorme marge de manœuvre dans la manière de formuler les phrases, d’approfondir certains passages ou de les amoindrir.
Aujourd’hui, tout le monde est d’accord sur le fait que le changement climatique est réel et sévère. Ce n’est plus vraiment un sujet de controverse au sein du Giec. Par contre, la question des stratégies d’adaptation et d’atténuation est devenue centrale. Quelles solutions faut-il valoriser, plutôt que d’autres ? Le nucléaire, les énergies renouvelables, la séquestration carbone ? À ce jeu, les États font très attention à ce que leurs intérêts soient servis, à ce que leurs politiques économiques et de développement ne soient pas remises en cause.
« Des rapports de pouvoir nous empêchent d’aller vers l’action »
Par exemple, l’Arabie saoudite, pays exportateur de pétrole et de gaz, cherche à tout prix à affaiblir les formules faisant référence à la sortie des énergies fossiles — dont la nécessité apparaît clairement dans les rapports du Giec. Dans le même temps, d’autres pays œuvrent à rendre le texte plus incisif. Je pense notamment aux petits pays insulaires qui ont réussi à ajouter, dans le résumé du groupe de travail 2, que la hausse du niveau des mers représentait pour eux « une menace existentielle ». Cette négociation est également une tribune importante pour les délégations du Sud, autour des enjeux de développement, d’éradication de la pauvreté et d’équité.

Les résumés aux décideurs sont les plus repris par les médias. Existe-t-il un résumé sans filtre, que les États n’auraient pas pu aseptiser ?
Le Giec produit aussi des « résumés techniques », qui ne sont pas négociés ligne par ligne par les gouvernements. Si vous voulez vraiment quelque chose de clair, de plus fort, c’est ceux-là qu’il faut regarder. Ils peuvent être téléchargés sur la page internet des rapports du Giec.
Que doit-on attendre du rapport de synthèse attendu le 20 mars ?
Comme c’est un rapport de synthèse et que sa production est étroitement liée aux rapports des trois groupes de travail publiés précédemment, il n’y aura pas grand-chose de nouveau. De nouveaux messages pourront néanmoins émerger grâce aux conclusions des rapports précédents. On peut espérer qu’il ouvre une nouvelle brèche pour parler conjointement de changement climatique, de ses impacts et solutions, puisque les rapports précédents abordaient ces trois questions séparément.
Le Giec s’apprête aussi à poursuivre le business as usual, en préparant un septième rapport. Tout semble pourtant avoir été dit ces cinq dernières années ; ces documents ont-ils encore un sens ?
Non. Ça n’aurait pas de sens de mobiliser toute la communauté scientifique pour un nouveau cycle d’évaluation. La fabrique des rapports est chronophage pour les scientifiques. Ils travaillent dessus en plus de leurs recherches, sans être rémunérés. Un nouveau cycle pourrait les emmener jusqu’en 2030... La vérité, c’est que nous avons les informations essentielles depuis longtemps. Les conclusions principales du cycle AR6, incontestables, sont quand même très proches d’AR5, publié en 2014. Le Giec a fait sa part du boulot.
Il est temps de faire des choix et des rapports plus courts, sur des questions très spécifiques. Cela pourrait aider les décideurs à différentes échelles internationales, nationales ou locales. Plusieurs membres du Giec poussent par exemple à la production d’un rapport spécial sur le rôle des villes dans la transition climatique. Des chercheurs en sciences sociales pourraient aussi travailler sur les blocages, sur les rapports de pouvoir qui nous empêchent d’aller vers l’action. Mais bon, c’est un sacré défi : le Giec reste un organisme intergouvernemental et les gouvernements valident les conclusions principales. Dire aux États-Unis « Vous avez financé pendant plus de trente ans le déni climatique » — ce qui est vrai —, ce n’est pas certain qu’ils apprécient.