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Rapport du Giec : « Les climatosceptiques ne se tairont jamais »

Sur Twitter, en France, près de 10 000 comptes actifs se sont donnés pour mission de semer le doute sur la réalité du changement climatique.

Le Giec rend son sixième rapport de synthèse lundi 20 mars. Malgré le consensus scientifique, certains climatosceptiques ne seront jamais convaincus, explique le mathématicien David Chavalarias.

Mathématicien, David Chavalarias est directeur de l’Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France. En 2016, il y a lancé le projet Politoscope, dédié à l’analyse des réseaux sociaux et du militantisme en ligne. De ce travail, le chercheur a tiré l’ouvrage Toxic Data : comment les réseaux manipulent nos opinions (Flammarion), ainsi qu’une étude sur les climatosceptiques de Twitter.



Reporterre — Le 20 mars, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) publiera son nouveau rapport de synthèse. Celui-ci peut-il faire taire les climatosceptiques ?

David Chavalarias — Il y a deux types de climatosceptiques. Ceux qui doutent, de bonne foi, après avoir lu quelque part des articles fallacieux qui les ont convaincus. En leur opposant des arguments scientifiques solides, ils peuvent encore sortir de l’endoctrinement dénialiste [1]. L’important est d’identifier leur disposition d’esprit pour savoir si ça vaut la peine ou non d’essayer de les persuader.

Et puis, il y a les climatosceptiques par principe ou stratégie. Le compte le plus influent dans la twittosphère dénialiste est un ancien militant antivaccins. Il est ensuite devenu un relais de la propagande du Kremlin, au lendemain de l’invasion russe de l’Ukraine. Désormais, il se définit comme chercheur indépendant, expert du climat. Un opportuniste absolu ! Il change d’identité dans l’unique but de faire de la contestation sociale.

Ceux-là, quels que soient les rapports du Giec publiés, on n’arrivera pas à les raisonner. Quoi que vous leur disiez, ça n’aura aucune utilité. Pour eux, la question n’est plus de savoir s’il y a ou non un réchauffement climatique, mais s’ils parviendront à freiner les mesures prises pour lui faire face. Ils ne se tairont jamais.


Dans votre récente étude, vous parlez d’un regain de climatosceptiques sur Twitter. Qui sont-ils ?

Sur Twitter, en France, on parle de près de 10 000 actifs. Les comptes qui émergent en ce moment ont participé pour majorité au relais de la propagande du Kremlin contre l’Ukraine, ainsi qu’aux polémiques du passe vaccinal et de la vaccination. Ils ne sont pas rattachés aux groupes politiques traditionnels, de gauche comme de droite, mais plutôt à de micropartis, comme l’Union populaire républicaine de François Asselineau ou les Patriotes de Florian Philippot. Sans être affiliés au sens strict du terme, ils grenouillent dans leur sphère d’influence.

Par ailleurs, la communauté utilise de faux comptes pour amplifier sa parole. Il s’agit de robots qui relaient l’information. Cette stratégie est très fréquente sur les réseaux sociaux, mais les dénialistes y ont beaucoup plus recours que les proclimat.

« Il est difficile de déceler les vrais motifs des dénialistes »

En observant à la loupe les dynamiques des communautés numériques dénialistes, on s’aperçoit qu’il existe un cœur extrêmement cohésif de comptes très engagés. Cette base, entretenue par des gens qui se fichent de la recherche de vérité, permet à la communauté climatosceptique de se maintenir à flot dans le temps. Comment ? En recrutant, en périphérie, une multitude de personnes susceptibles de relayer temporairement leurs informations.

Pour ce faire, leur stratégie consiste à désinformer et manipuler à partir d’enjeux sociétaux, comme la crise climatique. Toute la journée, ils partent à la rencontre des utilisateurs de Twitter, commentent les publications liées aux recommandations du Giec, tiennent de longues conversations et essaient de semer le doute parmi ces personnes-là.


Qu’ont-ils à y gagner ?

Il est difficile de déceler les vrais motifs des dénialistes. Il y a le facteur économique, avec des personnes qui considèrent que les mesures liées à la crise climatique vont à l’encontre de leurs intérêts. D’autres, à la marge, profitent des crises sociétales majeures comme les convois de la liberté pour lancer des cagnottes censées soutenir les causes en question… avant de tout simplement détourner l’argent.

Et puis, à côté de ça, on retrouve les motivations politiques : par exemple, aux États-Unis, les partisans des Républicains dénigrent toutes les mesures climatiques fortes parce qu’elles sont défendues par les Démocrates. Il y a très probablement aussi des enjeux géopolitiques : depuis le début de la crise de l’énergie et la guerre semi-ouverte avec la Russie, le Kremlin agit sans doute sur ces terrains numériques pour semer la discorde, créer du dissensus et faire avancer ses intérêts de producteur de gaz et de pétrole.


Les recommandations du Giec semblent aujourd’hui incontestables. Doit-on vraiment s’inquiéter de ces détracteurs ?

En dehors de Twitter, deux études consécutives publiées en juin et en octobre, ont montré que 8 % des Français pensent que le réchauffement climatique n’existe pas. Si on y ajoute ceux qui pensent qu’il n’est pas réellement anthropique, on grimpe à 37 %. Aux États-Unis, ils sont près de 45 %. Ce n’est pas négligeable. L’impact de la dissémination des idées dénialistes doit être pris au sérieux. Et ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux est un bon thermomètre de la situation générale.

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